Le sourire
7h30. Nous entrâmes dans la salle de douche.
Les vêtements tombèrent un à un. Raph était là, nu, comme la veille et l'avant-veille. Il s’avança sous le pommeau, L’eau ruissela sur ses épaules, suivit les courbes de ses pectoraux, s’accrocha à ses tétons avant de descendre en fines rigoles le long de ses abdos, de ses hanches, de ses cuisses. Elle glissa entre ses jambes, disparut dans l’ombre de son entrejambe, puis réapparut en perles sur ses mollets.
Je le regardais. Hypnotisé. Incapable de détourner les yeux.
Je rêvais de m’approcher, de poser une main sur son dos, juste ça, juste la chaleur de sa peau sous ma paume. Mes doigts qui glisseraient sur son flanc, peut-être, un effleurement timide, presque accidentel. Je me demandais s’il frémirait. S’il retiendrait son souffle. S’il comprendrait enfin ce qui m’arrivait quand il était trop près.
Je voulais qu’il se retourne. Qu’il me voie. Qu’il capte ce que je ne parvenais plus à cacher : mon désir brut, ma fascination, cette attirance qui me brûlait depuis des jours. Je voulais ses mains sur mes hanches, son corps contre le mien, un rapprochement trop rapide, trop direct, comme s’il en avait eu envie lui aussi. Je voulais son baiser. Pas un baiser sage, un baiser qui dit tout d’un coup, qui arrache le silence, qui mord un peu.
Mais lui… qu’éprouvait-il ?
Sentait-il mon regard glisser sur sa peau ? Remarquait-il la façon dont mes yeux s’accrochaient à lui ? Était-il possible qu’il sache ? Était-il possible qu’il ressente, ne serait-ce qu’un fragment, de ce qui me traversait ?
La douche terminée, nous nous rhabillâmes dans un silence dense, presque pesant, comme si chacun de nous portait une chaleur qui ne venait pas seulement de l’eau.
Nous quittâmes le stade. L’air froid du matin nous mordit la peau. Les neuf garçons, dont Raph, partirent vers l’arrêt de bus. Moi, comme d’habitude, je pris la direction inverse, prêt à courir jusqu’à la fac.
Je jetai un dernier regard à Raph avant de partir. Un geste presque machinal. Et pourtant.
Nos regards se croisèrent. Un instant suspendu. Pas long. Pas évident. Mais assez pour que tout s’ouvre, d’un coup.
Je lui souris. Un sourire timide, maladroit, comme si mes lèvres hésitaient à se risquer.
Et là, il me sourit en retour.
Pas un sourire poli, pas un truc vague et automatique. Non. Un vrai sourire. Celui qui creuse les fossettes. Celui qui allume les yeux. Celui qui transforme l’espace entre deux garçons en quelque chose de trop proche, trop intime, trop dangereux.
Un sourire qui disait : Moi aussi.
Ou Enfin.
Ou Et maintenant ?
Putain.
Il m’a souri.
À moi.
Mon ventre se noua. Ma peau s’embrasa. Tout le monde disparut. Il ne resta que lui, que ce sourire précis, coupant, qui me transperça comme un éclair.
Mes doigts tremblèrent. Mon souffle se coinça. Je me demandai, avec une peur presque douce : Est-ce que j’invente ? Ou est-ce que, pour la première fois, quelque chose passe entre nous ?
Je ne bougeai pas. Je le regardai encore, buvant ce sourire comme on boit après des jours à sec.
Et dans ce silence chargé, une pensée jaillit, brûlante :
Et si c’était le début de tout ?

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