Un souffle suspendu
Lors de la course pour aller à la fac, je ne pensais qu’à ça.
Au sourire.
Je courais plus vite, beaucoup plus vite que d’habitude. Mes jambes semblaient voler, comme si la fatigue n’avait plus de prise sur moi, alors que j’avais pourtant enchaîné deux heures de rameur. L’air frais me fouettait le visage, mais je ne sentais presque rien. Tout en moi vibrait encore de ce moment.
Son sourire.
Comme une brûlure douce.
Comme une étincelle que je n’arrivais pas à éteindre. Que je ne voulais pas éteindre.
J’arrivai à la fac presque en avance, le souffle étonnamment calme. Lucas et Mehdi me croisèrent près de l’entrée.
— T’as l’air bizzare ce matin, Clément, fit Mehdi, un sourcil levé.
Je relevai à peine la tête, juste assez pour lui répondre.
— Hein ? Ah… non, rien.
Je forçai un demi-sourire, le genre de sourire qui ne veut rien dire, celui qu’on sert pour clore une conversation avant qu’elle ne devienne gênante. Mehdi me regarda encore une seconde, comme s’il cherchait à comprendre, puis haussa les épaules.
Nous nous s’installâmes dans l’amphi.
Sam était déjà là. Il se pencha vers moi :
— Putain, j'ai reçu ma convoc. Je dois y aller vendredi à 17h30.
Je lui mis la main sur l'épaule comme pour le rassurer.
Le prof alluma son vidéoprojecteur.
Les sacs s’ouvrirent, les stylos grattèrent.
Moi, je revoyais Raph.
Ses fossettes, la lumière au fond de ses yeux, ce minuscule instant où nos regards s’étaient accrochés.
Il m’a souri.
À moi.
Puis, brutalement, un doute me frappa en plein ventre.
Et si j’avais tout inventé ?
Et si ce sourire n’était qu’un réflexe ? Un truc banal, sans intention, un mouvement des lèvres qu’il aurait offert à n’importe qui ? Peut-être que j’avais tout projeté, tout imaginé, comme un type assoiffé qui voit des mirages dans le désert. Peut-être que je m’étais accroché à un rien.
Le cours continuait, mais tout devint flou.
Les mots du prof se dissolvaient, glissant autour de moi comme un bruit de fond sans relief. Les rires, les stylos, les chuchotements… tout s’éloigna, étouffé, comme si le monde avait perdu sa netteté. Je restai seul avec cette question qui tournait en boucle :
Et maintenant ?
C’est là que la vérité me frappa, simple et terrifiante.
J’étais nul en relations amoureuses.
Absolument nul.
Je ne savais pas comment on faisait. Comment on passait de « tu m’as souri » à « est-ce qu’on se voit ? ». Comment on franchissait ce minuscule fossé qui, soudain, ressemblait à un gouffre.
Est-ce que demain, je devais lui dire, cash :
« Hier, tu m’as souri. Moi aussi. Tu veux qu’on parle ? »
Ou fallait-il jouer finement, avec des sous-entendus maladroits ?
« Tu fais quoi ce soir ? » lâché d’un ton détendu, alors que rien, absolument rien, ne serait détendu chez moi.
Putain.
Comment on fait, exactement ?
Est-ce qu’on attend un signe ? Un autre regard, un geste, un frôlement ?
Est-ce qu’on prend le risque ?
Ou est-ce qu’on reste pétrifié, paralysé par la peur de se ridiculiser ?
Mes mains devinrent moites. Mon cœur battait trop vite, comme s’il voulait m’échapper.
Je restai là, les doigts crispés sur mon stylo, incapable d’écouter le cours, incapable d’exister ailleurs que dans cette pensée qui me trouait la poitrine :
Je suis amoureux.
Et je n’ai aucune idée de ce que je dois faire maintenant.

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