La tension du midi
11h30. Le cours enfin terminé, nous nous dirigeâmes vers le RU, encore un peu sonnés par les trois heures du cours de méthodo.
Sam lança à Lucas :
— Putain, il est dur ce cours. T’as pigé la différence entre entretien semi-directif et entretien non directif ?
Lucas secoua la tête, l’air complètement perdu.
— Franchement, pas du tout. C’était pas clair. Et toi, Clément, t’as compris ?
Tous les regards se tournèrent vers moi.
— Euh… oui… enfin, non.
Ma voix trembla un peu, hésitante. Mes joues chauffèrent instantanément.
Mehdi me lança un regard en coin, un sourire accroché aux lèvres.
— T’es chelou ce matin, toi.
Je rougis presque instantanément.
— Tu vas au CCSEG pour ta sanction, c’est ça qui te stresse ? demanda Mehdi.
— Oui, répondis-je, comme si c'était ça la raison.
Nous entrâmes dans le RU, chacun prit un plateau. L’ambiance était étrange, suspendue. Sam, visiblement plus nerveux que d’habitude, lâcha soudainement, sans préambule :
— Putain, cette histoire de sanction, ça me stresse à mort. J’étais en retard de cinq minutes à un TD, cinq minutes ! Convoqué vendredi. C’est abusé, non ?
Il secoua la tête, puis enchaîna en me regardant, la voix un peu plus basse :
— Et toi, sanctionné pour avoir laissé une vieille debout dans le bus… Sérieux ? Comme si être privé de bus pendant un mois, c’était pas déjà assez.
Il soupira, puis me fixa avec insistance.
— Tu me diras ce qu’ils t’ont fait, hein ?
Je hochai la tête, sans grande conviction.
— Ouais, je t'ai déjà dit oui, Sam. Arrête de flipper. Ce sera sûrement pas aussi sévère que tu crois.
Je lui adressai un sourire un peu trop forcé, un peu faux.
Lucas, qui avait senti la tension, tenta un virage à 180° :
— Alors, samedi soir… On fait quoi finalement ?
Sam haussait les épaules sans grande conviction, visiblement préoccupé par autre chose.
— Je sais pas… J’ai pas trop la tête à faire la fête. Pas avec tout ça qui me trotte dans la tête, tu vois… La voix un peu trop basse, presque absente.
— T’inquiète, Sam, ça ira, le rassura Lucas, avec un sourire faussement confiant. Ça va être juste une soirée entre potes. On décompresse, on oublie un peu…
— Ouais, mais… tu sais, je sais pas si j'ai envie de sortir, ajouta Sam, avec un regard furtif vers moi. Peut-être qu’un truc tranquille chez Mehdi serait mieux. Au moins, je suis pas obligé de sourire à tout le monde.
Mehdi lança :
— Bon, franchement, sortir, c’est un peu surcoté, non ? Avec tout ce qui nous tombe sur la tête, un bon vieux film à la con et des chips, ça me va. Pas de pression. Pas de discussions sérieuses. Juste de quoi rigoler un peu, au moins ce soir.
Lucas acquiesça d’un air faussement sérieux, pesant les pour et les contre :
— Ok, mais si on fait ça… je veux un film d’action débile, genre explosion toutes les cinq minutes. Un truc où on peut juste… se vider la tête, sans réfléchir.
— Deal, répondit Mehdi, un sourire en coin... Et à boire.
Sam eut un petit rire, faible, presque imperceptible, mais c’était déjà quelque chose. Il se pinça les lèvres, comme s’il se forçait à accepter.
Lucas, toujours en quête de légèreté, poursuivit :
— Parfait. Samedi soir, c’est décidé. Plan tranquille chez Mehdi. Film, pizzas, chips, bières. Pas de CCSEG, pas de sanction. Juste… la soirée d’un groupe de gars qui essaient de survivre à cette putain de semaine.
Le déjeuner continua. Les discussions roulèrent sur le film, mais mon esprit dériva. Il revint vers Raph, vers son sourire. Puis il repartit vers la sanction, vers ce soir, vers le CCSEG. J'étais serein, mais l'angoisse de Sam m’avait contaminé.
Je vis deux filles passer, insouciantes, un plateau à la main. Elles riaient, légères, comme si rien de grave ne pouvait jamais leur arriver. Je les enviai.
— Putain, la fille de gauche, elle déchire, vous trouvez pas ? dit Lucas, en la suivant du regard.
— Ouais, lâchai-je, juste par réflexe, comme j’avais fini par prendre l’habitude de le faire quand un gars parlait d’une fille.
À ce moment-là, Adam arriva avec son plateau :
— Je peux me mettre avec vous ?
Adam, était un pote du lycée, il n'était pas en sciences sociales avec nous, mais en lettres modernes, sur le même campus.
— On a presque fini, mais viens, mets-toi, répondis-je.
— Putain, ce matin, je me suis fait goaler par deux contrôleurs en venant à la fac.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Je fumais une clope et j’ai jeté le mégot par terre. Bon ok, je sais, c’est pas top, mais y’avait pas de cendrier. Je pouvais pas le foutre dans la poubelle et tout foutre en feu.
— Le mec m’a dit que si t’as pas d’endroit où jeter ton mégot, faut pas fumer ou le garder avec toi. Résultat : 30 heures de travaux d’intérêt général à nettoyer les rues et une sanction pour infraction niveau 1. Je sais même pas ce que c’est cette connerie. Sérieux, 30 heures pour un putain de mégot. Ils sont à l’ouest ou quoi ?
— Moi, c’est pire. J’ai plus le droit de prendre le bus pendant un mois et je suis convoqué ce soir pour ma sanction.
— Sérieux ?
— Ouais. Y’avait une personne âgée debout dans le bus, moi j’étais assis, je regardais par la fenêtre, je l’ai pas vue. Et paf.
— Putain, mais c’est pas possible, ça ! Faut qu’on se rebelle contre ces conneries.
— On n’a plus de smartphone, plus de réseaux sociaux… Alors je vois pas trop comment on pourrait s’organiser, dis-je, un peu déprimé.
— Ah, et les grèves et manifs de masse au XXe siècle, ils avaient peut-être des portables et des réseaux sociaux, eux ? Vous apprenez rien en sciences sociales, en fait, rigola Adam.
Je me figeai un instant. Je réalisai l'énormité que je venais de sortir.
13h30. Reprise des cours. On avait un TD, et on finissait à 15h.
J’avais prévu d’aller travailler à la bibliothèque après, mais je savais déjà que je n’y resterai pas longtemps. Je devai écourter pour aller au CCSEG. Pas le choix.

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