La sanction
18h00. J’arrivai au CCSEG.
J’étais parti un peu plus tôt de la fac pour ne pas avoir à courir. Juste marcher. Presque un privilège. Je présentai ma carte à l’entrée.
Bip.
Je m’assis sur un banc en métal. D’autres garçons attendaient, la tête baissée, comme moi, sous l’attente écrasante.
Un garçon sortit d'un bureau, passa devant moi. Il avait les yeux remplis de larmes.
Puis 120‑4811 clignota sur l’écran. Mon tour.
Je me dirigeai vers la porte indiquée. Mendez était assis derrière son bureau, les mains jointes. Son regard me foudroya dès l’instant où je franchis le seuil. Il me fit signe d’entrer d’un geste sec. Je m’avançai, les jambes flageolantes, presque incapables de porter mon corps.
— Tu es convoqué parce que tu vas être sanctionné.
Sa voix, glacée, tranchait l’air comme un couteau émoussé.
— Tu n’as pas laissé ta place à une personne âgée dans le bus. C’est inacceptable. Infraction de niveau 1.
Les mots jaillirent de ma bouche, maladroits, comme s’ils ne m’appartenaient plus :
— C’est que… je n’avais pas vu, je vous assure…
Mendez ne cligna même pas des yeux. Son regard me traversa, profond, comme un puits sans fond.
— Tu n’as pas vu ?
Pas de cri. Pas de colère. Juste cette voix, uniforme, qui écrasait tout sur son passage.
— Tu as des yeux.
Il se pencha en avant, les coudes sur le bureau, les doigts entrelacés comme une cage.
— Tu as un cerveau. Tu as choisi de ne pas voir. Tu as décidé que ton confort valait plus que le respect.
Ma bouche était sèche, je n’arrivais pas à respirer normalement. Mes muscles se tordaient sous la pression.
— Je…
— Tais-toi.
Il se leva. Le bureau grigna sous ses paumes. Il fit lentement le tour, comme un prédateur qui scrute sa proie avant de l’atteindre.
Il s’arrêta devant moi. Trop près. Je sentis son souffle calme sur ma peau. Le mien était un râle, un bruit étranglé.
— Les excuses, les justifications…
Il secoua la tête, un dédain imperceptible dans son sourire.
— Un châtiment corporel est une sanction adaptée.
Il sourit de plus belle, mais ses yeux ne souriaient pas.
— Paraît que ça améliore la vision dans les bus. Mieux que des lentilles de contact. Tu verras tout, la prochaine fois. Même les détails.
Mon sang se glaça.
Quoi ? Une punition physique ? C’était… réel ?
Il ouvrit le tiroir.
Une pagaie. Un large rectangle de bois dur avec un manche. Le bois était poli, lisse, les trous parfaitement alignés. Il la fit tourner entre ses doigts. La lumière se refléta sur le bois comme un éclat de verre.
Il me fixa, un sourire aussi froid qu’une lame.
— Déshabille-toi. Entièrement.
Ma gorge se serra. Une vague de nausée, acide, monta dans ma poitrine. Mes mains tremblaient. Je les forçai à bouger. Les boutons de ma chemise sautèrent un à un, comme des os qui se brisent. Le pantalon glissa, et je me retrouvai nu, une fois de plus, sous son regard implacable.
L’air froid me mordit, me brûla. Ma peau se hérissa, chaque follicule pileux se tendant, comme si mon corps savait ce qui allait venir.
Il attrapa la pagaie. Le bois grinça légèrement sous sa prise.
— Mains à plat sur le bureau. Fesses en arrière.
Je m’exécutai. Le métal du bureau était froid. Mes doigts se crispèrent, se tordirent autour de la surface froide. Chaque fibre de mon corps se tendait, attendant ce qui allait suivre.
Un silence.
Un silence pesant, infini, qui m’écrasa, me maintint dans une sorte de léthargie.
Puis —
Le sifflement de l’air.
CLAC.
La douleur explosa. Comme un éclair de feu traversant ma peau. Un choc d’acier, brûlant, du bas du dos jusqu’aux cuisses. La brûlure se répandit, insoutenable, comme si on avait appliqué un fer rouge. Mes fesses étaient une douleur vive, gonflées, marquées.
Je serrai les dents, mais un cri étouffé m’échappa.
— Un.
Je respirai par saccades. Mes jambes tremblaient. La douleur brûlait tout autour de moi. Et Mendez reprit.
CLAC.
Cette fois, ce fut bien pire. La douleur n’était plus une simple brûlure localisée. Elle remontait le long de ma colonne vertébrale, serpentait jusqu’à mes épaules, puis redescendait dans mes jambes. Chaque cellule de mon corps hurlait.
Je mordis l’intérieur de ma joue, le goût du fer se mêlant à ma douleur.
— Deux.
Je fermai les yeux, essayant de ne rien sentir.
Mais déjà, le bois s’abattait à nouveau.
CLAC.
Le choc résonna dans ma tête, mes os vibrèrent sous l’impact. Mon corps se tendit, mes muscles se crispaient sous l’intensité. Mes fesses, presque en feu, la douleur se diffusait dans chaque fibre de ma peau.
— Trois.
La pagaie s’abattit encore une fois.
CLAC.
Cette fois-ci, la douleur emplit mon ventre, me tirant un râle de souffrance. Je voulais m’effondrer. Mais je restai là, raidi, impuissant.
— Quatre.
Je n'avais plus de souffle. La douleur me submergeait, me noyait. Mes bras se tendirent contre le bureau. J’avais l’impression d’être brisé, chaque fibre de mon corps se déchirant sous le poids de la souffrance.
Puis...
CLAC.
Le bois entra de plein fouet dans ma chair, m’arrachant un cri que je n’arrivais pas à retenir. La douleur explosa dans tout mon être, chaque fibre de ma peau brûlait sous l'impact. Je perdis toute sensation, tout contrôle. Je me pliai en deux sous l’effet, les larmes brûlant mes joues.
— Cinq.
Mendez posa la pagaie sur le bureau. Je restai là, plié en deux, haletant, les larmes coulant sans que je puisse les arrêter.
— Tu peux te rhabiller.
Je me redressai en chancelant. Mes mains tremblaient. Je remis mes vêtements. Le tissu de mon pantalon frotta contre les marques brûlantes. Chaque mouvement me déchirait.
— La prochaine fois, tu céderas ta place, dit-il en rangeant la pagaie. Enfin, dans un mois, lorsque tu pourras de nouveau prendre le bus. Et tu salueras la personne. Compris ?
Je hochai la tête, incapable de parler.
— Maintenant, sors.
Dehors, dans le couloir, je marchai comme un vieillard, chaque pas réveillant la douleur. Les regards des autres convoqués me brûlaient. Je savais qu’ils avaient tout entendu.
Je sortis du bâtiment en trébuchant. L’air frais me fit mal. Je pressai mes mains contre mes fesses, comme si cela pouvait apaiser l’incendie sous ma peau.

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