8h20. J’arrivai à la fac après une course douloureuse.

À peine avais-je franchi les portes du hall que je compris que quelque chose clochait : tous les garçons parlaient de la même chose, regroupés par petits cercles, voix tendues, gestes nerveux.

Un week-end de cohésion.

Lucas tenait sa convocation d’une main crispée, la feuille déjà froissée.
— Écoutez ça, fit-il en lisant. « Dans le cadre de ses missions d’encadrement, le CCSEG organise un week-end de cohésion et de développement physique obligatoire. Tu es convoqué… »

— C’est quoi ce délire ? T’as reçu ça ? demandai-je.

Lucas me répondit nerveusement :
— Quand je suis sorti de chez moi ce matin, y’avait un type en gris, écusson du CCSEG sur la veste. Il était sur le point de glisser une lettre dans ma boîte. Quand il m’a vu, il a demandé : « 120-0982 ? » C’est mon numéro, alors je lui ai dit « oui ? ». Il m’a demandé ma carte, l’a scannée, et m’a tendu ça. Je dois être demain à 8h30 au CCSEG.

Il replia la feuille.
— Et toi, t’as rien reçu ? demanda Lucas.

— Non. Mais, je suis parti de chez moi à quatre heures du mat, au pas de course, pour aller à ce putain de sport.

Mehdi déboula, le souffle court, son sac rebondissant contre sa hanche.
— Moi aussi, j’ai une convocation. Demain, 7h30. Putain, ils abusent. Une convocation le vendredi pour le samedi ? Sérieusement ? On avait des plans… Et hier soir, j’avais rien dans ma boîte !

Une colère sourde monta en moi. Un week-end entier ? Prévenus la veille ? Mais merde… j’avais juste prévu de souffler un peu, de passer une soirée tranquille avec mes potes. Putain, c'est pas possible...

Lucas ajouta, la voix grave :
— Et regardez ça, en bas de la convocation : « Il est rappelé qu'une absence à un week-end de cohésion et de développement physique est une infraction de niveau 3. » Putain…

Niveau 3 ? Vu ce que j'ai pris une infraction de niveau 1... Niveau 3 ? Le mec, il doit vraiment morfler, pensais-je.

Sam nous rejoignit, l’air nerveux, les mains enfoncées trop profondément dans ses poches. Il hochait la tête, mais n’écoutait qu’à moitié. Ses yeux cherchaient les miens.

Puis, d’une voix basse :
— Moi, j’ai rien reçu. Enfin… j’ai pas regardé ma boîte ce matin.

Il fit une pause. Son regard se planta dans le mien. Direct. Sans échappatoire.
— Clément… hier soir… c’était quoi, ta sanction ?

Je sentis ma poitrine se serrer. Une chaleur étrange, presque honteuse, me remonta dans la gorge. Il fallait le dire.
— Cinq coups, murmurai-je. À la pagaie.
— Cinq… quoi ? demanda Sam pétrifié
— L’OSD m’a infligé cinq coups de pagaie. Sur les fesses. En pleine chair.

Le silence retomba comme une chape. Même le bruit du hall semblait s’éloigner.
— Et… ça fait… comment ? demanda Sam, la voix tremblante.

Je pris une seconde, puis lui dis :
— Je vais pas te mentir, Sam. Ça fait super mal.

Je ne lui révélai pas que j’avais encore mal. Que je sentais encore le bois contre ma peau. Que ce n’était pas une simple sanction. Que c’était une humiliation. Tout ce que je voulais oublier, tout ce que je ne voulais plus revivre.

À la place, je lui dis :
— Mais écoute… on n’a pas le même OSD. Peut-être que pour toi, ce soir, ce sera différent.
— Tu dis ça pour me rassurer ? murmura-t-il.
— Oui...

Je posai ma main sur son épaule.
— Et aussi parce que c’est peut-être vrai.

Il inspira profondément, comme pour empêcher son corps de trembler.
— Et toi… ça va ? demanda-t-il enfin, avec une voix minuscule, presque étrangère.

Je haussai les épaules.
— Ça… ira.

Mensonge. Mais il n’avait pas besoin de porter ma douleur en plus de la sienne.

Sam déglutit, incapable de cacher l’angoisse qui décolorait son visage. Un silence épais s’installa.

Mehdi souffla :
— Putain… « week-end de cohésion et de développement physique ». Rien que le titre, ça pue.
— Ouais, dit Lucas. Notre soirée ciné de demain… on peut oublier. Putain…

On entra dans l’amphi.