La voix qui endort

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Le prof parlait d’une voix monocorde, traînante, soporifique. Ses phrases étaient tellement longues que lorsqu'il arrivait à la fin d'une phrase, on en avait oublié le début. Son ton ne variait jamais, même lorsqu’il semblait vouloir insister sur une idée : tout sonnait plat, lisse, anesthésiant.

D’habitude, l’amphi était vide. La semaine précédente, nous n’étions que neuf à assister au cours. Neuf sur plusieurs centaines d'inscrits.

Moi, je venais parce que j’étais un étudiant sérieux. J'avais toujours été plutôt bon élève d'ailleurs. Pas le premier de la classe, mais dans le premier tiers. Je travaillais régulièrement, sans éclat ni paresse. Au lycée, j’avais de très bonnes notes en français et en histoire-géo, et des résultats corrects ailleurs. Même en maths une matière difficile, peu interessante, et peu utile, je réussisais à grappiller un petit onze de moyenne.

Alors je venais en cours par habitude autant que par devoir. La semaine dernière, je faisais partie des neuf présents, et j’avais même passé mon cours à plusieurs absents.

Mais ce matin, l’ambiance avait changé. Il y avait les cinq filles de la semaine dernière et... tous les garçons ou presque.

Le bruit des stylos sur les tables, les froissements de feuilles, les regards échangés : tout vibrait d’une nervosité contenue.

Et Sam, à côté de moi, n’écoutait pas une seule seconde. Son regard glissait sur le tableau sans le voir. Il triturait nerveusement le capuchon de son stylo, les doigts tremblants. Soudainement, il se pencha vers moi et chuchota, la voix étranglée :
— Je ne pourrai pas supporter la sanction, Clément. Je ne pourrai pas.

Je le regardai. Son visage était fermé, les lèvres blêmes.

— C'est pas sûr que tu aies la pagaie, Sam. Mais si c'est le cas, c'est un mauvais moment à passer. Après tu as encore mal, mais la douleur finira pas s'estomper.

Sam secoua la tête, nerveusement.
— Et si… j’y allais pas ?

Je pris une grande inspiration. Il n’y avait pas de bonne réponse, mais je ne pouvais pas mentir.
— Sam, t’as pas vraiment le choix. Si tu n’y vas pas, ce sera pire. La sanction sera plus dure. Tu y vas, tu serres les dents, et c’est fini.

Il resta silencieux quelques secondes. Le professeur continuait de parler, indifférent à la tension qui montait dans les rangs. Sa voix semblait flotter dans l’air, lointaine, comme un bruit blanc au-dessus de nos pensées.

Sam reprit, presque pour lui-même :
— Cinq coups…

Je ne répondis pas. Il n’y avait rien à dire. Il le savait, moi aussi.

Le professeur fit une pause, but une gorgée d’eau, puis reprit, plus lentement encore.
L’air semblait épais.

Je sentis Sam bouger à côté de moi. Ses doigts tapotaient la table, nerveusement. Puis il reprit d’une voix basse :
— J’ai peur, Clément. J’ai vraiment peur.

Je lui mis la main sur l'épaule. Parce que les mots ne servaient à rien.

Puis il dit :
— Alors pourquoi on continue ? Pourquoi on accepte ?

Je n’eus pas le temps de répondre. Le professeur venait de poser une question, et quelques élèves se redressèrent brusquement, faisant mine de suivre.

Je me demandai ce qu’ils feraient si Sam décidait vraiment de ne pas y aller. S’il osait désobéir.
Et, malgré moi, cette idée me traversa : et si moi non plus, je n’y allais pas la prochaine fois ?

Mais la pensée s’effaça aussitôt, remplacée par ce vieux réflexe d’obéissance. On ne désobéissait pas. Pas ici. Pas maintenant.

Le cours reprit, interminable, et les minutes s’étirèrent, lentes comme du plomb fondu.
Quand la cloche sonna enfin, nous sortîmes libérés de ce supplice.

Nous nous dirigeâmes vers le RU.

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