Le vertige de l'inévitable

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Cette histoire de week-end de cohésion me minait. Si Lucas, Mehdi et les autres avaient déjà reçu leur convocation, il y avait de fortes chances que je sois aussi concerné. J’attendais le week-end depuis plusieurs jours : souffler un peu, décompresser, passer une soirée tranquille entre potes. Et voilà qu’à la veille du jour J, tout pouvait s’effondrer d’un coup, sans prévenir. Une simple lettre, une main invisible et cruelle, allait peut-être m’arracher ce petit bout de liberté. Tout ce que j'avais prévu, tout ce à quoi je tenais, pouvait être balayé par un bout de papier glissé dans ma boîte aux lettres.

En arrivant au RU, on croisa Adam. Lui aussi avait reçu sa convocation. 7h00 demain. On se regarda sans un mot, comme des soldats attendant un ordre qu’ils ne peuvent ni comprendre ni contester. Lucas, Mehdi et Adam se demandaient si on serait tous ensemble, mais impossible d’en être sûrs. Les horaires différaient, les infos étaient vagues. Le CCSEG ne donnait pas de détails : on était là pour obéir, point.

On prit nos plateaux.
Une chape de plomb.

Sam était totalement silencieux. Présent physiquement, mais ailleurs. Je voyais bien ce qui le rongeait : la sanction qui l’attendait dans quelques heures. Ce genre d’angoisse qui grignote tout, qui te colle au ventre, qui rend chaque seconde plus lourde que la précédente. L’approche d’un moment inévitable.

Adam me demanda, d’un ton faussement détaché, ce qui m’était arrivé la veille. Quelle avait été ma sanction ? Je lui racontai. Pas les détails sordides, juste l’essentiel. De quoi comprendre. Lui, il bouillonnait : il voulait qu’on s’organise, qu’on se rebelle, qu’on arrête de se laisser marcher dessus.

Sauf que dans ma tête, ce n’était pas aussi simple.

Quand tu prends ce que j’ai pris juste pour une putain de place dans un bus, tu comprends vite qu’une révolte… ça peut coûter très, très cher. Parfois, la seule stratégie, c’est d’encaisser et de ne pas se faire remarquer.

On s’assit à une table, en silence. Léa et Emma finissaient leur repas avec Manon, une de leurs amies. Elles avaient toutes les trois séché ce matin, sans aucun risque. Loin des contrôles du CCSEG, loin des sanctions, loin de cette pression permanente qui, nous, nous écrasait.

En quittant le RU, elles vinrent nous saluer. Je ne pus m’empêcher de remarquer la façon dont Emma regardait Mehdi : un peu trop appuyée. Je l’avais déjà remarqué, déjà dit à Mehdi, qui, lui, ne captait rien. Mais c’était évident qu’elle en pinçait pour lui.

Emma, Léa et Manon était souvent ensemble, un peut comme Lucas, Sam, Mehdi et moi.

Manon avait quelques années de plus que nous. Cela faisait un moment qu'elle était à la fac. Une année de médecine abandonnée parce qu’elle détestait ça, suivie d'une année en sciences politiques arrêtée pour les mêmes raisons. Ensuite, deux ans de droit, qu’elle avait lâchés en découvrant qu’elle n'aimait pas le droit. Et maintenant, première année de sciences sociales. Je me demandais combien de temps il lui faudrait pour détester ça à son tour.

La soirée chez Mehdi était évidemment annulée. Lucas et lui seraient pris par le week-end de cohésion. Peut-être Sam et moi aussi. Il était très possible que deux convocations nous attendent déjà chez nous.

Après le repas, il restait encore un cours, puis ce serait le début du week-end. Pas de cours lundi matin : on reprenait en début d’après-midi. Un week-end, peut être un peu spécial.

Je me pressais pour rentrer chez moi, le cœur serré. Chaque pas semblait plus lourd que le précédent. Une petite voix dans ma tête me murmurait que peut-être tout le monde n'était pas convoqué… Peut-être que je n'avais pas à m'inquiéter, que je pourrais encore échapper à ça, à ce week-end de cohésion.

Mais plus je m'approchais de l'immeuble, plus la certitude de l'inverse m'envahissait.

Arrivé au pied de l'immeuble, je me dirigeai lentement vers la boîte aux lettres. Mon esprit tournait en boucle, chaque pensée se cristallisant autour de cette putain de convocation. Je pouvais presque l'entendre, cette lettre, m'attendant là, quelque part dans l'ombre, prête à m'écraser sous son poids.

Ma main tremblait légèrement en l’insérant dans la fente. Je me forçai à respirer, mais l’air semblait se faire plus dense à chaque seconde. J’ouvris la boîte, mes yeux fixés sur l’intérieur, mais je savais déjà ce que j’allais y trouver.

Et voilà. Une enveloppe blanche, froide, mais suffisamment familière pour me faire frissonner. Le CCSEG. Le poids du papier me frappait plus lourdement que tout ce que j'avais imaginé. Je l’attrapai d’une main un peu trop brusque, et je laissai échapper un souffle que je ne savais pas retenir.

Le silence autour de moi semblait dévorer tout ce qui pouvait encore respirer.
Je l'ouvris.
Convocation.
8h00 demain.
Putain.

C’était bien ça. Ce putain de week-end de cohésion me concernait, il allait se dérouler. Et tout ce que j'avais prévu, tout ce à quoi je m’étais accroché, venait d'être balayé en une simple ouverture d'enveloppe.

La lettre dans ma main pesait une tonne. Une tonne qui écrasait mes poumons.

Je montai les escaliers, la lettre à la main.

La journée avait été pourrie du début à la fin :
Mal partout, mais obligé de courir jusqu’au stade.
Raph appelé par le coach juste au moment où je voulais lui parler.
Un cours lamentable.
Et maintenant, cette convocation qui venait de planter mon week-end.

Je m’installai à mon bureau et tentai de travailler. Tant bien que mal. Le soir tombait lentement, mais l’angoisse, elle, ne faisait que monter.

Ma mère rentra. Elle passa la tête dans l’embrasure de la porte.

— Tout va bien ?

La question rituelle. Toujours la même. Toujours la même inquiétude derrière.

— Je suis convoqué demain par le CCSEG pour un week-end de cohésion, lui dis-je d’un ton faussement détaché. La plupart d’entre nous le sont. Ce sera… l’occasion de s’aérer un peu.

Comme si j’étais content. Comme si c’était une promenade.

Elle me dit que si j’avais besoin de parler, elle était là.
Traduction : je vois bien que ça ne va pas.

Je dînai dans ma chambre, en continuant à travailler.
Il y a encore peu de temps, les vendredi et samedi soirs étaient synonymes de fête.

Ce temps-là était révolu.

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