Week-end de cohésion
Samedi, 6h30
Ce matin, je me levai à 6h30, une sorte de grasse mat' comparé à l'habitude de me lever à 4 heures.
La douleur dans mes fesses était encore là, un souvenir vivace de la sanction de l'avant-veille. Elle s'était un peu atténuée et elle finirait bien par disparaître. Mais chaque geste, chaque mouvement, me rappelait encore ce qui m'avait été infligé.
Il fallait être au CCSEG à huit heures, alors je me pressai. Le temps filait. Je pris un petit déjeuner expédié, m’habillai vite, attrapai mon sac et quittai l’appartement. Les rues étaient encore vides à cette heure-là, tout semblait figé, comme si même la ville refusait d’accueillir un autre jour.
Un peu avant huit heures, j’arrivai au CCSEG. Je présentai ma carte. Bip. J'entrai.
Une quarantaine de garçons étaient déjà là, certains s’étaient regroupés en petits cercles, chuchotant. D'autres arrivaient encore, le visage fermé.
Je reconnus trois gars de la fac, sympas mais juste des connaissances.
Et puis… je vis Raph.
Putain, Raph était là.
Je n'avais pas pu le voir la veille après la séance de sport. Aujourd'hui, ce serait ma chance.
J'avais à peine le temps de me rendre compte de la rapidité avec laquelle je m’approchais de lui, que déjà il me souriait.
— Salut, Clément, me dit-il, avec son sourire sincère.
— Salut, Raph, répondis-je, un peu plus rouge que je ne l’aurais voulu.
Il rigola légèrement.
— Prêt pour un week-end de cohésion ?
Je le regardai, un peu dépassé.
— Putain, j’y crois pas… c’est ouf, répondis-je, à peine capable de cacher la tension dans ma voix.
Mais avant qu’il ait le temps de répondre, un gars du CCSEG, en uniforme gris, s’avança d’un pas sec vers nous.
— Les gars de la cohorte 8h00, suivez-moi.
Sans un mot, nous sortîmes par une porte qui menait vers la cour arrière du CCSEG. L’air était froid, presque glacial. La brume s’élevait du sol, laissant tout autour de nous une sorte de mystère glaçant. Nous étions une cinquantaine, peut-être plus. La plupart des visages étaient fermés. Personne n’avait envie d’être là, mais personne ne disait rien.
Le gars du CCSEG, toujours aussi froid, se tourna vers nous.
— Vous allez vous mettre en rang. Des lignes de dix, en utilisant le marquage au sol. Regard droit. Mains le long du corps.
L’ordre fusa dans l’air, et comme un seul homme, nous nous exécutâmes. Pas de résistance, juste un silence lourd, presque étouffant. Nos pas résonnaient sur le sol humide, un bruit régulier et ininterrompu.
Le gars passa entre nous, scrutant chaque mouvement, chaque respiration. Son regard était perçant, comme s’il mesurait notre courage, notre obéissance.
— Ce week-end a pour objectif de renforcer la cohésion, le sens du collectif, la discipline, de vous développer physiquement et de vous faire vous dépasser.
À peine eut-il terminé sa phrase qu’un nouvel ordre tomba.
— On va commencer par vous habiller pareil. Déposez vos affaires dans la benne au fond. Vous les récupérerez demain soir. Ensuite, vous irez prendre un short et un t-shirt. Vous les enfilerez, et vous reviendrez vous replacer dans le rang. Exécution.
Le silence qui suivit était lourd. Chacun échangea un regard déconcerté et agacé. Mais il n'y avait pas de place pour l'hésitation. On obéit. On n'avait pas le choix.
Sans un mot, nous nous dirigeâmes vers la benne, déposant nos affaires en silence. Puis, comme des automates, nous nous dirigeâmes vers les sacs contenant les t-shirts et les shorts. Les mêmes que ceux que Raph et avions mis à 5h30 tous les matins cette semaine. Nous enfilâmes ces vêtements, uniformes, tous dans la même indifférence. Moi, je m’y étais fait, à force des séances de sport imposées où il fallait endurer cette tenue de merde, même quand le froid glaçait la peau. Mais pour beaucoup d’entre eux, c’était une première. Je les voyais se raidir, frissonner sous l’air glacé, serrer les bras contre leurs corps dans une tentative de conserver un peu de chaleur. Pourtant, personne n'osait protester. On obéissait, comme des soldats.
Une fois habillés, nous revînmes dans nos rangs, les regards fuyant, évitant de se croiser. Le silence était presque palpable, lourd. Il n’y avait que le bruit de nos pas dans l’humidité, le froid mordant qui nous piquait la peau, et ce sentiment oppressant d’être coincé, sans échappatoire.
Le gars du CCSEG observa les rangées d’un air satisfait, comme s’il se délectait de notre inconfort.
— Bien. Le week-end va se dérouler en pleine nature. Vous allez camper. Une tente pour deux. Vous vous mettez par deux, vous prenez un sac à dos, chacun. Vous y mettez un sac de couchage, une tente que vous répartissez sur les deux sacs. Ajoutez de l’eau et des rations. Une fois que vous êtes prêts, vous vous mettez devant moi.
Je cherchai Raph du regard.
— On se met ensemble ? demandai-je, la voix un peu hésitante.
— Ouais, répondit-il, simple mais sincère.
Ensemble, nous allâmes chercher les sacs à dos. Je pris un sac de couchage et une partie de la tente. Noud avions également reçu l'ordre de prendre une petite pelle, ressemblant presque à une truelle, on ne savait pas trop pourquoi. Nos gestes étaient rapides, presque synchronisés. Sans un mot, mais dans l’urgence, dans cette frénésie de mouvement. Tout semblait fluide entre nous. Presque instinctif.
Les autres étaient plus lents, maladroits, mais nous fonctionnions comme une équipe, sans avoir besoin de le dire. Nos actions parlaient pour nous.
Une fois les sacs remplis, nous nous plaçâmes devant le responsable du CCSEG, qui nous gratifia d’un regard approbateur,
— Vous allez faire une marche. Elle sera longue et difficile. Vous allez devoir vous dépasser. Si l’un de vous n’arrive plus à avancer, ce sera aux autres de porter son sac, et même de le porter, lui. Si collectivement, vous échouez, on recommencera le week-end prochain. Et celui d’après. Jusqu’à ce que vous y arriviez. La cohésion, la forme physique et le dépassement de soi sont des valeurs importantes.
Un frisson parcourut le groupe.
Puis, l’ordre tomba :
— Allez. On bouge.
Et nous partîmes. En rang, vers l’inconnu, dans le froid glacial, chaque pas résonnant dans l’air, un bruit lourd et inévitable. Nous avancions, piégés dans un monde où il n’y avait que des ordres et des gestes mécaniques.

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