Chapitre 3

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  • C'était obligé ?

Virgile se tenait debout dans l'entrée du salon. Il se massait le cou.

  • Si je te dis oui, tu vas me croire ? fit la jeune fille sans broncher.
  • Sur parole... Mais la prochaine fois, préviens-moi. Tu es toujours aussi violente lors du premier rendez-vous ? Non, parce que si c'est le cas, prends un punching-ball comme petit copain. Au moins, lui s'en tirera mieux que moi. Il pourra peut-être même y prendre plaisir.
  • Je m'excuse mais c'était nécessaire.
  • Ah d'accord, maintenant je me sens mieux...

Encore sonné, Virgile n'arrivait même pas à se mettre en colère bien qu'intérieurement il bouillait.

  • Tu comptes faire quoi ? Te venger ?
  • Pour être honnête, je crois que cette idée m'a bien traversé l'esprit quelques secondes mais comme je ne sais pas du tout où je suis et pourquoi, je crois que je vais m'abstenir pour le moment. Cela dit, je pense que j'ai gagné le droit d'avoir quelques explications, tu ne crois pas ?

La jeune fille esquissa un sourire et hocha la tête.

  • Nahash : c'est un nom qui te cause ?

Virgile fit la moue.

  • C'est ton prénom ? Pas facile à prononcer, ni à porter d'ailleurs.

La jeune fille ôta ses lunettes pour la première fois. Elle paraissait déjà jolie au premier abord et en découvrant ses yeux, Virgile se dit qu'il avait peut-être encore l'option de tomber amoureux.

  • Ah ah ah. Je suis morte de rire. Je peux te poser une question ?
  • Vas-y toujours...
  • Tu ne prends jamais rien au sérieux ou bien c'est juste pour moi que tu me fais ce numéro ?
  • Je prends tout au sérieux mais c'est pas pour autant que je vais m'empêcher d'être drôle ou sarcastique. Et sérieusement, vu qu'on est sensé se parler un peu plus longuement que ce à quoi je m'attendais, je pense qu'il n'est pas insensé de faire les présentations. Après, je te répondrai.

Il ignorait s'il allait marquer un point en saisissant au vol la possibilité de renverser le rapport de force qui jouait en sa défaveur depuis le début avec cette fille.

  • Alice.
  • Et nous sommes dans le pays des merveilles, c’est ça ?

Elle était facile celle-ci mais Virgile ne put s’en empêcher. Alice lui jeta un regard en biais.

  • En quelque sorte.
  • Et donc, je fais quoi, ici ? D’ailleurs où sommes-nous ? J’ai eu comme une petite absence.

La jeune fille lui indiqua une chaise où il pouvait s’asseoir.

  • Nous avons besoin de toi.
  • Nous ?
  • Oui, nous.
  • Comme cela, d’intuition, j’aurais plutôt dit que tu avais besoin de moi.
  • Alors pars du principe que c’est moi.

De toute évidence, la conversation semblait mener nulle part s’il continuait ainsi. Alice paraissait vouloir esquiver toute question trop précise.

  • Nahash. Tu disais ? Bien sûr que ce nom me cause. C’est de l’hébreu et ça désigne le serpent. Pourquoi me demandes-tu cela ?
  • Parce qu’il faut qu’on le retrouve.
  • Comment ?
  • Comment quoi ?

Virgile se laissa quelques secondes avant de répondre. Dire que la conversation avec cette "Alice" lui apparaissait décousue et absurde était un euphémisme. Dans le même temps, il lui semblait que tout était parfaitement cohérent avec le point de départ. Que devait-il faire ? Comment devait-il aborder les choses pour les faire rentrer un peu en ordre ? Fallait-il qu’il continue d’avancer à coups de questions hasardeuses ou bien fallait-il qu’il change son angle d’attaque pour tenter de résoudre le mystère de l’intrigue dans laquelle cette "Alice" semblait vouloir l’entraîner ? Il devait choisir mais bien sûr, aucune des options ne lui semblait meilleure que l’autre. Il navait aucun élément, aucun repère pour trancher.

  • Euh… Alice…
  • Oui ?
  • Je vais essayer d’être le plus clair possible et je vais essayer de résumer la situation telle que je la vis.
  • Ok.
  • J’ai reçu un message urgent, ce matin, me demandant de me rendre à un lieu de rendez-vous particulier. Je ne sais pas qui me l’a envoyé mais au final, c’est toi qui es venue. On a blablaté trois minutes et tu m’as demandé de te suivre sans m’expliquer le pourquoi du comment. Ce que j’ai fait. Après quoi, tu m’as assommé et je me retrouve dans cet appartement toujours avec toi. J’ai quelques vertèbres cervicales en miettes mais pas la gueule de bois, ce qui tend à me signifier que je ne suis pas dans un mauvais trip suite à l’ingestion d’alcool ou d’une drogue quelconque. Je te demande ce que je fais là et là, tu m’affirmes qu’il faut retrouver un serpent et si possible en l’appelant en hébreu. Alors comment dire ?... Je ne sais pas si c’est intelligible pour toi mais pour l’instant, l’hypothèse selon laquelle j’aurais ingéré à mon insu quelques champignons ou autre substance hallucinogène m’apparaît cent fois plus plausible que celle qui me dirait que je suis actuellement bel et bien réveillé en parfaite condition mentale et intellectuelle. Donc.
  • Donc ?
  • Donc si tu ne tiens pas à ce que je me jette par la fenêtre pour tenter de me sauver d’un mauvais cauchemar ou que je refuse d’aller plus avant dans ton délire, je crois mais j’en suis sûr, que tu aurais tout intérêt à me faire des réponses en forme de réponse et non en forme d’énigme et composer des phrases de plus de quatre mots. Est-ce que tu comprends ceci ?
  • Je pense.
  • Et donc ?
  • Je vais essayer d’éclairer ta lanterne.
  • Ah… Cool…
  • Je vais commencer par te dire qui je suis, ce que nous sommes et pourquoi nous sommes dans une situation qui présente tous les symptômes d’une maladie psychique.

*

  • Je m’appelle Alice. Je ne viens pas du pays des merveilles même si je préférerais. En fait, j’étais encore étudiante, il y a deux mois. J’ai passé mon diplôme et depuis j’ai cherché à avoir un emploi. Sans grand succès. Je suis programmeuse. Je sais, le mot n’est pas très joli mais je le préfère à celui de développeuse. Je trouve que le mot est plus explicite pour les gens. Je pourrais dire pisseuse de lignes de code mais ça aurait une double connotation péjorative. Pisser de la ligne de code, c’est vraiment restreindre mon job à la partie la plus insignifiante de mon travail et pisseuse, ça ramène tous les clichés sur le genre féminin (je t’épargne les détails). Tout a commencé, il y a une semaine. Je travaillais sur un projet personnel, une sorte de programme d’intelligence artificielle version new-age. Ce n’est pas une chose très simple à expliquer avec des mots mais pour essayer de faire simple et rester dans le domaine de l’intelligible, ça traite tous les éléments que les gens, les logiciels actuels ne traitent pas. En vrai, j’ai juste inversé l’algorithme de sélection. En principe, ce n’est pas possible, les différentes couches de sécurité qui se sont empilées au fur et à mesure des années protègent les données contre ce genre de traitement. C’est pour éviter qu’un programme malintentionné puisse exploiter des informations à l’insu du node. Quelque part c’est normal. Sauf que… Je trouvais cela dommage. Donc voilà, j’ai écrit ce bout de code. En fait, cela fait plus de deux ans que je travaille dessus. Il y a une semaine, comme j’estimais que la première version était stable, j’ai décidé de sauter le pas et je me suis dit qu’il était temps de passer aux choses sérieuses. Mais bon… Il y avait un problème de taille pour faire cela. Je devais le diffuser via le market et attendre que les gens le prennent et l’essayent. Mais pour cela aurait-il fallu que le programme ait une utilité. En vrai, il n’en a pas. En tout cas, il ne fait rien qui puisse intéresser quelqu’un. De plus, il y avait un second obstacle : c’est que pour être dans le market, il faut montrer patte blanche et mon programme étant donné la manière dont il fonctionne : ce n’est tout bonnement pas possible. Alors, j’ai décidé de contourner cet écueil. J’ai fait appel à un ami. Lui possède tout un tas de softs qu’il diffuse via le market. Ce sont des trucs basiques et parfois un peu débiles mais ça marche. Je lui ai demandé s’il n’y avait pas moyen que je passe par lui pour distribuer mon programme. Bien entendu, on ne pouvait pas le faire de manière directe, ça serait trop visible mais empaqueté dans une mise à jour, cela pourrait passer inaperçu. Donc on a fait comme cela.

Alice se tut quelques instants. Virgile, lui, l’écoutait religieusement. Il ne voyait toujours pas le rapport entre lui et son histoire mais comme la jeune fille semblait enfin encline à dire tout ce qu’elle savait, il n’osait pas la couper. Il pensa même qu’il lui fallait l’encourager. Alors même s’il n’était pas convaincu, il se surprit à lui dire :

  • Et donc, vous l’avez diffusé ?

Alice hocha la tête.

  • Oui et c’est à partir de là que les choses ont commencé à déraper.

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