Juste se taire
Sur le chemin terreux, ils se retournent mais il n’y a que leur ombre qui les talonne telle une amante fidèle. Seul car l’absente est partie, ne reviendra plus, s’est évanouie pour jamais. L’absente est une qu’ils n’ont pas rencontrée, pas reconnue, peut-être pas sue. Aujourd’hui, ne rien en dire. Se taire, juste. Juste se taire. Parce que les mots n’y font rien, sauf de soi à soi, aujourd’hui. Un bruit là-haut et leurs yeux se lèvent. Dans l’azur, un petit avion trace son couloir. Ils pensent en silence à elles, s’apaisent à l’idée qu’un ciel est un grand livre d’écriture où les lignes sont à n’en plus finir et les avions pareils à des ramiers qui achemineraient leurs mots tus à l’amour défunte, interdite ou inaccessible. Dehors, le ciel est froid, soudain. Quelque part, un jardinier guette sa terre. Qui sait, se dit-il, qui aura le dernier mot, du chiendent ou de la dent de lion. De l’amère broussaille ou de la tige vernale. Du caillou ou de la graine. Qui le sait. Un jardin est une promesse qui n’en finit pas. Les croissants de lunes, d’une fois l’autre, jusqu’au cercle parfait. Las, le jardinier cherche du regard un dieu, s’agenouille puis se ressaisit. Face contre terre, mieux vaut se taire. Se taire, juste. Juste se terre. Dehors, le ciel apparaît. Ici, des hommes se frottent les yeux, s’étirent, passent une main sur leurs joues grenues. Là, d’autres poussent un portail, déposent un baiser, soupirent et s’étonnent, aujourd’hui le labeur les aura absorbés. Quelque part, une enfant s’est éveillée, amusée et surprise par le chant d’un oiseau moqueur. Sur les chemins de l’ici et du très loin, on marche vers la fin des mondes. Vers l’oubli. Le jardinier sommeille encore son rêve. Ne le réveillez pas. Ecrire l’instant. L’écrire et se taire. Surtout se taire. Se taire, juste. Juste se taire et attendre que le ciel lève le voile et que le sort fasse le premier pas.

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