Chapitre 4 : Le brouillard de la peur

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Je me sentis chanceler un instant alors que la fête battait son plein, l’adrénaline qui anesthésiait mon corps laissa soudain la place à la douleur. Mes jambes se mirent à trembler et les blessures sur mes bras et mon ventre semblèrent brûler mon corps. Du coin de l’œil, je vis Wighlem, le serviteur de Bruder me regarder alors qu’il parlait avec l’une de mes conseillères, Astrid. Un étrange malaise grandit en moi en les voyant ainsi, ils faisaient partie du cercle restreint de mon ancien mari, toujours à me rabaisser quand j’avais le dos tourné.

Autour de moi, les voix étaient indistinctes et bourdonnaient dans ma tête en écho au vacarme assourdissant de la pièce. Une main me prit le bras, la fermeté me figea tout de suite. Des souvenirs de violence remontèrent dans mon esprit et je dus faire appel à beaucoup de concentration pour conserver le rythme de ma respiration.

Je tournai légèrement la tête vers l’homme qui venait de prendre mon coude. C’était mon futur mari qui me regardait en fronçant les sourcils. J’étais trop dans le brouillard pour comprendre ce qui le tourmentait. L’instant d’après je sentis la pression de sa poigne m’intimer d’avancer. Il me conduisait vers l’escalier pour reprendre le chemin de la chambre. Nous fûmes interrompus par quelques personnes, l’une d’entre elle fut Verbjorn, un autre de mes conseillers qui me regarda avec beaucoup d’inquiétude dans les yeux.

L’homme les salua rapidement et remonta avec moi les marches. Comme avec Bruder, mon corps répondait tout seul, mon esprit étant ailleurs, enfoui aux tréfonds de moi-même pour ne pas souffrir. J’avais l’impression d’être sur le chemin du pilori. Les pierres se refermaient sur moi et l’obscurité qui grandissait me remplissait d’angoisse.

On rentra dans la chambre et une fois la porte fermée, il me lâcha pour avancer dans la chambre. La tête avait disparu, la paille avant été changée et le lit retourné : la plupart des peaux qui le recouvraient avaient été jetées au sol. L’homme grogna et les remit sur le lit sans faire attention à les mettre correctement.

« Va te coucher. » m’ordonna-t-il d’un ton ferme comme si il était frustré par quelque chose.

Je sentis une larme rouler sur ma joue et défit mécaniquement les lacets de mes vêtements. L’homme me regarda faire et au moment où je fis glisser le tissu par-dessus mon épaule, il se rapprocha de moi en deux enjambées. Par réflexe, je reculai d’un pas, terrorisée, je mis mes mains devant mon visage pour me protéger. Je m’attendais à un coup, à la douleur.

Un hoquet m’échappa, je venais de sentir ses doigts sur ma joue. Dans une caresse douce, il avait éloigné une larme. En levant les yeux, la peur toujours au ventre, je fus surprise de voir la myriade d’émotions qui traversait ses iris. Il était incrédule, inquiet, en colère, interrogateur. Je m’empressai de détourner le regard pour ne pas me plonger dans le sien une nouvelle fois. Un grognement sortit de sa bouche et il s’éloigna de moi.

Je ne comprenais pas ce que je devais ressentir, ni ce que je ressentais. Mon corps entier fut soulagé de le voir s’éloigner, mais le grognement qu’il venait de faire ralluma mon angoisse. Sans que j’y pense, ma main enserra mon bras, plantant mes ongles dans ma peau pour calmer les tremblements de mon corps.

L’homme se retourna de nouveau vers moi, cette fois une forme de détermination et d’assurance illuminant ses yeux. Il me fit de nouveau peur, il s’approcha de moi et me pris la taille. Mes blessures s’en plaignirent et je poussai un cri de douleur. L’homme fronça les sourcils une nouvelle fois et retira ses mains comme si je les avait brûlées. Il me regarda de la tête au pied, son regard s’attardant sur les marques laissées par mes ongles.

Un grognement animal sortit de nouveau de sa bouche, il ne dit rien et recula avant de se retourner.

« Retire tes vêtements. »

Un frisson me parcourut, son ordre était direct, alimentant inlassablement ma peur. Cette fois je perdis complètement le contrôle de ma respiration, mais mes mains prirent quand même les manches de la robe pour les descendre doucement.

Petit à petit mon corps se révéla sous la lumière du feu. Je tentai d’oublier ce que j’étais en train de faire. Ma bouche était devenue sèche et j’hyper-ventilais. Mes épaules normalement blanches se dévoilèrent, colorées de bleus qui variaient entre jaune et mauves. L’homme se retourna et me regarda. Au fur et à mesure que son regard glissait sur mon corps nu, mon angoisse montait dans ma gorge et pénétrait tous mes muscles. Quant à l’homme, son visage se fermait.

J’arrêtai mon geste quand mon haut se posa sur mes hanches. Le long de mon flanc droit, une longue traînée colorait mon ventre et ma poitrine. Du sang avait séché autour de quelques coupures, on percevait des traces de main , de doigts et d’ongles.

« Qui vous a violentée de la sorte ? Ce ne peut être un de mes hommes. Je veux une réponse. » Sa voix était claquante, elle crépitait comme le feu dans l’âtre. Mon regard se perdit finalement dans le sien et mes yeux s’emplirent de larme.

Je ne devais pas pleurer, je devait rester forte, mais je n’avais qu’une seule envie : m’évanouir, disparaître, être tranquille.

L’homme fit un nouveau pas et mon corps se tendit. Il s’arrêta.

« Réponds-moi. Qui t’a fait ça ?

— L’homme dont vous m’avez présenté la tête il y a quelques heures maintenant. »

Ces mots m’arrachèrent un hoquet, je me mis à pleurer et mes jambes se dérobèrent. Je me donnais en spectacle ; l’homme m’observait toujours mais je n’osais pas relever les yeux. Avec Bruder, quand je le faisais, c’était toujours de la satisfaction et de la haine que je percevais à l’intérieur de son regard.

Je finis par me calmer, il ne fit même pas un pas vers moi, me regardant, intrigué comme si j’étais un animal qui remettait en question sa manière de penser le monde. Dans un dernier sanglot, je réussis à me relever et à murmurer dans l’espoir de le faire réagir : « Mon mari est celui qui m’a fait ça. Si il vous prend de ressentir de la peine, puissiez-vous m’aider. J’ai vu Wighlem, un valet, dans la salle. Il est le seul au courant de ces violences. Bruder avait toute confiance en lui. Wighlem aimait servir de défouloir plus que moi sûrement. »

L’ennemi me regarda avec surprise, sans que je sache si c’était pour mes allusions crues, mes remarques cinglantes ou mon ton hautain contrastant avec mon état déplorable.

Il chercha cependant à se reprendre, resserrant les poings et reprenant le fil de ses questions : « Qu’entends-tu par « défouloir » exactement ? Ce « soldat » n’avait pas l’air de souffrir de blessures comme les tiennes depuis mon arrivée. Je dirais même qu’il suppliait d’épargner son maître quand son cou se trouvait sous la lame de mon épée. » Cette remarque m’aurait presque fait sourire, tant je m’y serais attendue.

Ce jeune homme, à la rousseur et la ruse du renard, avait réussi à glisser dans les mailles glaciales du filet de Bruder. Il n’avait que 15 ans quand il était arrivé à la Cour et pourtant il semblait déjà en connaitre tous les rouages. Il n’avait pas tardé à me prendre le peu de sentiments humains que m’accordait encore le roi. Bruder avait alors prit plaisir de l’assigner à mes soins et Wighlem se délectait de voir la haine de son amant se refléter sur ma peau.

Je ne m’en formaliserais pas si sa tête rejoignait son cher et tendre. A cette pensée, je me sentis impure et méchante. Je ravalai ce sentiment, m’accrochai au peu de courage qui m’était revenu et poursuivis mon discours sarcastique : « Mon mari était une brute au lit, du moins avec moi puisque chaque personne ayant témoigné de son plaisir me le décrivait très tendre dans la paillasse du petit personnel et en particulier celui de Wighlem. Il le voyait comme un moyen de se détendre sans penser aux conséquences sur l’héritage. Wighlem le vénérait car il avait toute l’attention de son roi. Il lui était plaisant de me savoir souffrante et de recevoir les mêmes privilèges que ceux d’une épouse. Il ne connaissait pas sa limite. »

Un grognement de colère sortit des tréfonds de la gorge de mon interlocuteur, il se rapprocha de moi à une vitesse fulgurante pour me coller aux pierres froides du mur. Son visage se rapprocha du mien et son souffle bouillant effleura mes joues comme si du feu sortait d’entre ses lèvres. Mon rythme cardiaque s’accéléra, la distance entre nous avait brisé tous les murs que j’avais formés pour lui tenir tête. Je redevenais la fille tremblante de peur à l’idée de recevoir un coup. Quand serais-je enfin en paix ? Quand n’aurai-je plus à souffrir de mes cauchemars passés ? Ces jours me semblaient aussi inaccessibles qu’un rêve paisible.

Revenant à moi après cet accès de panique, j’essayai de fixer un point derrière l’épaule massive du seigneur pour ne pas me confronter à ses yeux de glace. Ça lui importait peu que je le regarde, ses paroles arrivant quand même à me toucher : « Tu parlais avec beaucoup de suffisance alors que l’espace d’un instant, tu étais effondrée. »

Je sentais son regard me sonder comme s’il cherchait une réponse pour justifier mon comportement. À la façon d’un prédateur pour amadouer sa proie, je sentis son attitude changer. Il se rapprocha encore plus de moi réduisant mon champ de vision à son épaule. Son corps se détendit et s’affaissa comme s’il était en train de perdre un combat. Son doigt se posa sur ma mâchoire, j’aurais aimé avoir la force de le rejeter mais tout mon corps semblait figé, suspendu à ses mouvements.

« Pourquoi ne me regardes-tu pas ? » Je retiens mon geste de surprise pour ne pas risquer de le regarder mais comme par envoutement je me sentis obligé de répondre d’une voix faible et timide : « J’ai peur. »

Ses sourcils se froncèrent et il tenta de tourner ma tête.

« Regarde-moi. »

Mue par ce même envoutement, mon regard se plongea dans les yeux bleus de l’ennemi. Ils avaient un effet magnétique. Leur couleur froide, le cercle noir autour de ses iris qui mangeaient tout le blanc de ses yeux, leur pupille profonde dont les bords ne semblaient pas nets et se fondaient comme de l’encre dans de l’eau. On aurait dit des yeux de loup, comme celui que j’avais croisé à la chasse après mon mariage. Mais alors que je m’abandonnais à son regard, il se recula et s’éloigna vers la porte me laissant pantelante, frigorifiée par le froid. Et en proie à cette peur parasite qui ne cessait de m’envahir.

Le géant ouvrit la porte. Derrière celle-ci se tenait l’autre envahisseur qui lui ressemblait.

« Va chercher Wighlem ? Dis-lui qu’il sera à mon service et qu’il devra soigner les bleues de ma dame jusqu’à ce qu’ils disparaissent. Après, il rejoindra son maitre, il est un danger pour la stabilité du peuple humain.

— Pourquoi ne pas s’en débarrasser directement ? Ninah est sûrement plus compétente.

— Non, j’ai des choses à lui faire comprendre. » Sur ce, il referma la porte et se dirigea vers le coffre pour se changer. Je demeurai paralysée jusqu’à l’arrivée du serviteur.

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