Chapitre 5 : Le venin du serpent
Wighlem arriva comme un lapin apeuré, il était tenu par le bras et poussé violemment dans la chambre par le Géant jumeaux. Son regard fuyant évaluait le lieu dans lequel il se trouvait. J’étais assise sur un des fauteuils près du feu. Mon nouveau seigneur avait exigé que je m’asseye alors que je tremblais comme une feuille. Il m’avait parlé avec des ordres brefs et directs pourtant une pointe d’inquiétude perçait ses yeux à chacun de mes mouvements.
Wighlem nous dévisagea sans honte et je frissonnais en pensant à ce que mon image reflétait : celle d’une femme nue après un moment de passion avec son mari. L’envahisseur en face de moi travaillait sa lame avec une pierre ponce et ne semblait pas penser un instant à cette éventualité. La seule réaction qui émana de lui fut un hochement de tête à l’adresse de l’homme qui lui ressemblait.
Ce dernier souffla un bon coup et s’apprêtait à partir mais il fut interrompu par le nouveau seigneur des lieux : « Mon frère, tu pourras dire à Lindor de venir le chercher dans dix minutes. Quant à toi. » Interpela-t-il Wighlem. « Le générale Lillemord t’a informé de ce que tu devais faire. Ton temps est impartit, fait ce que tu dois faire, vite et bien. Lindor te conduira ensuite pour que tu prépare mon bain. »
Lillemord, que je comprit maintenant être le nom du jumeaux du seigneur, parti en levant les yeux. Wighlem prit cela comme un signal pour commencer son travail au moment où le seigneur reprit la parole : « Demain matin, quand ta dame se sera levée, change la paille de la pièce et nettoie les draps, puis tu descendras préparer un bac d’eau et tu la soigneras.
— Mon seigneur ce n’est pas de mon… » Tenta de s’opposer Wighlem qui fut interrompu par un doigt accusateur. L’homme avait posé ses deux bras sur les accoudoirs dans une posture majestueuse.
« Je ne suis pas ton ancien seigneur, je n’aime pas que l’on contredise mes ordres et je suis pas du genre que l’on peut séduire, Humain. » Son ton était calme, sa voix ne s’était pas élevée, mais simplement posée pour qu’elle s’imprègne dans l’air ambiant. Moi-même, je ressentais sa force et ma respiration se bloqua d’appréhension.
Wighlem remis à sa place, murmura un faible : « Désolé mon seigneur, je le ferai comme exigé. » Et se dirigea vers moi posant au sol sa sacoche de pommade.
J’étais réticente à lui laisser mon corps comme à chaque fois qu’il venait après le départ de Bruder. Je regrettais de ne pas pouvoir faire appel à Madaigh, ma nourrisse et femme de chambre, malheureusement elle n’avait pas les compétence médicinal pour mes blessures profondes.
Alors que Wighlem sortait un pot en bois de santal, je pris sur moi pour me redresser et lui montrer mes blessures. Avec des gestes lents, il dévissait le couvercle qu’il avait taillé de formes pastorales. Pendant ce moment de silence et de gêne, il examinait mes blessures cette fois son visage était différent, fermée, il ne souriait pas en s’imaginant ce que son maître avait fait à ce corps. Je savais que au fond de lui il fulminait de ne plus avoir le pouvoir de son côté.
A mes côtés, l’ennemi avait repris son travail sur son épée. Il jouait les indifférents mais je sentais son regard quand il leva les yeux pour voir le travail de Wighlem. Il m’avait demandé de me lever et de laisser tomber la peau qui me couvrait. Le maitre des lieux avait eu le temps d’observer mes blessures et les cicatrices que m’avait laissées Bruder comme une marque qui me rappellerait à jamais à lui.
Chaque regards qui se posaient sur moi me procuraient des frissons mais avec le temps que s’était écoulé, j’avais compris qu’il ne ressentais aucun désir pour moi. Je sentis les doigts froids de Wighlem passer sur mes plaies et je réfrénais un mouvement de recule. Je voulais absolument paraître forte et ne pas succomber aux sentiments qui m’assaillaient.
Je détestais être touchée, surtout par lui, et très vite mon esprit se détachait pour s’empêcher de penser à tout ce qu’il rêvait de me faire. A chaque fois, Wighlem finissait son travail sans que je ne puisse le remarquer et s’ennuyant de mon manque de réaction, il prenait ses affaires et partait retrouver son maitre. Mais cette fois-ci, il dut faire autrement. Son nouveau chef lui demanda s’il y avait des dangers, des endroits plus sensibles que d’autres qui nécessitaient plus d’attention. Wighlem lui répondit que non et que tout ce dont j’avais besoin était du repos et de faire aucun exercice excessif. Son ton était suffisant et il me j’étais régulièrement des regard haineux alors que je remontais ma robe sur mes épaules, ressentant enfin le soulagement de cacher mon corps.
L’homme reporta son regard sur moi, étudiants mes mouvements encore saccadés. Il semblait me regarder comme cet amant qui s’inquiétait de sa compagne à l’annonce d’une maladie, d’une blessure peu grave ou d’une grossesse.
Un souvenir me revient, un souvenir qui me semblait heureux, où un homme massif et brun de cheveux demandait à une jeune fille de seize ans de se calmer et de ne pas courir au bois. C’était mon premier jour de mariage, je venais de tomber de mon étalon que j’avais depuis toute petite. J’avais mesuré l’amant du regard mais par simple principe de contradiction. L’homme m’avait conduit à mon lit pour soutenir ma cheville tordue et m’avait bordée. Un mois plus tard, j’apprenais que j’étais enceinte. Peut-être que ce qui m’avait sauvée à l’époque était que nous étions déjà amant de longue date.
Je retiens une larme avant de me reconcentrer sur le présent. Je fus surprise de ce que je vis dans le regard de cet homme aux allures de rustre sanguinaire qui depuis son arrivée ne cessait de me montrer des formes de respect et d’honneur. Il m’avait plusieurs fois montré que je lui appartenais sans vraiment me traiter comme tel. J’étais enfermée dans cette chambre mais je doutais que j’en étais vraiment prisonnière. J’étais à son niveau, un chef dont il devait se méfier mais dont il s'évertuait à lui prouver qu’il pouvait y avoir une paix sans domination. Je ne savais pas pourquoi mais j’obéirais à cet ordre implicite sans qu’il ne me le demande car tout était passé par ce regard.
Une personne frappa à la porte quand Wighlem eu finit ses explications. Le seigneur l’autorisa à rentrer. Mon regard ne se dirigea pas tout de suite vers la porte car j’étais encore plongée dans mes pensées. Un homme rentra et s’avança pour prendre Wighlem par le bras. À l’instant où mon regard se plongea dans le sien, un frisson plus profond encore remonta tout le long de mon dos. Ses yeux ne m’était pas seulement familier, je les connaissais et je me souvenait très bien où je les avais vu car sur le moment il m’avait parut autant fascinant que maintenant mais cela ne pouvait être possible.
« Je l’emmène ? » demanda l’homme aux cheveux blond à son chef. Ce dernier se releva légèrement.
« Fait. »
Enfin il sortit et je pu reprendre une grande respiration, le soulagement m’envahit en même temps qu’une nouvelle forme d’angoisse, après les soins venaient toujours la solitude et l’enfermement dans ce lieu maudit.
« J’ai toujours du mal à comprendre ce que tu ressens. Un instant tu es terrifié, l’autre sur de toi puis de nouveau l’angoisse revient. Pour lui, n’ayez crainte, il y aura toujours quelqu’un avec lui ici pour éviter qu’il ne cause des problèmes. Cependant tes sautes d’humeur m’énervent. Vous vivez tous dans le mensonge ici, chaque membre de cette forteresse est trop lâché pour t’aider à te sortir de cette situation et ça me dégoute. »
Je fus frappée par la dureté de ses mots. Il avait dans la voix une douleur et une haine que je n’avais pas ressentit depuis longtemps. C’était la haine que ressentait un étranger qui ne comprenait pas les gens du territoires dans lequel il se trouvait. Nous étions trop différent de ses moeurs qu’il pensait meilleure et au-dessus des autres.
Je comprenais désormais qu’il nous voyait tous comme des personnes faibles, fuyant le moindre danger quitte à se plier au souhait du plus fort, quitte à mentir pour se faire aimé et cela le répugnait. Il pensait que j’étais aussi sournoise que Wighlem et que je me jouait de sa peine pour garder ma place. Il ne comprenait pas pourquoi je m’infligeais la présence de Wighlem qui me gênait et me terrifiait. Il n’avait pas envisagé que je voulais qu’aucun autre de mes serviteurs ne sachent pour mes blessures et ne s’inquiète de ma santé, que je ne voulais pas les impliquer dans le cycle de violence de Bruder. Je ne pouvais donc pas faire autrement que de prendre sur moi.
Je me retrouvais dans une impasse, acculée par son ton autoritaire qui paralysait chaque fibre de mon corps. Pourtant je voulais à tout pris lui montrer que j’était plus forte, que je n’était pas aussi lâche, que l’on m’avait élevé pour tenir tête au plus borné dans homme. Un souffle de courage montait en moi comme quand adolescente je contredisais mon père. Plongeant mes yeux dans les siens, je mesurai ma voix pour paraître plus noble, il fallait que j’abandonne cet état misérable, il n’était pas Bruder : « Pour ma par peut être suis-je ainsi parce que je suis sens cesse sous le joug de maitre qui ne me font que souffrir. Pour mes serviteurs ce n’est pas de la lâcheté, j’ai moi-même pris la décision de les éloigner. Ils pensent que je suis malade et que je suis incapable de diriger parce que Bruder le leur à fait croire cela. Je suis la seule qui me cache. Alors je suis peut-être là car j’agis quand il est parti mais pouvez-vous vraiment m’en vouloir pour cette faiblesse. Savez-vous ce que cela fait quand la moindre de vos actions sont réprimandées violemment ? Vous blâmez mes réactions, vous ne faites pas d’effort pour les comprendre car au fond vous êtes peut-être aussi fermé d’esprit que celui dont vous avez tranché la tête. »
Le regard de l’homme s’assombrit, il n’avait pas aimé ma manière de penser. L’instant d’après je baissais les yeux et regrettais mon geste. Bruder me punissait dans ce genre de situation, même avant notre mariage, il détestait que je parle de ce que je ressentais.
J’aurai voulu reprendre la parole, pour me rabaisser, par réflexe mais je me retiens. J’essayais de me rappeler qu’il n’était pas Bruder mais ça ne me servait à rien, je n’y arrivais pas. Je serrai les poings pour ne pas faire couler mes larmes.
Je revoyais l’ombre qui planait dans les formes que dessinaient le feu. L’angoisse remonta le long de mon corps et je me mis à agripper mon bras. J’inspirais fort pour continuer de m’exprimer, même la voix tremblante : « Je ne désire rien, j’attends patiemment que le temps m’emporte, je reste passive même si je désire les faire disparaitre. Je désire juste pouvoir vivre librement, avec ceux que j’aime, avec mes enfants… »
Ma voix se brisa et je m’apprêtais à m’effondrer de nouveau en repensant à leur visage. Il me manquait déjà tellement, alors que je ne pourrais plus jamais les revoir.
A cet instant je voulais tout lui dire, pourquoi jamais je donnerais la mort volontairement à une personne, pourquoi je tremblais en regardant ce plafond qui se recouvrai d’ombre mouvant et oppressante, pourquoi la folie me gagnait en pensant à mes enfants en danger dans la forêt. Je ressentais au fond de moi qu’il me comprendrait mais à la place d’ouvrir mon cœur, ma voix disparut dans les tréfonds de mon corps.
L’homme immense venait de se lever et de s’approcher de moi. Si je n’étais pas tendue comme un pic, mes genoux auraient lâché et je me serai effondrée en boule prête à encaisser les coups.
Son regard de glace essayait de se plonger en moi pour forcer le contact mais le mien fuyait dans tous les sens cherchant un lieu aussi loin de lui, du lit, du feu, de l’emplacement vide dans le coin de la chambre, de la fenêtre, de tout ce qui composait mes cauchemars.
« Ne m’approchez pas… » C’était un murmure, rien d’audible, qui sortit comme une supplique quand sa grande main se leva près de mon visage. Je reniflai n’ayant même pas pris conscience que des larmes coulaient sur mes joues, elles étaient faites de colère, de tristesse, d’une part de résignation et de beaucoup de peur.
Cette main qui se rapprocha de moi, disparut de ma vision quand mes yeux se fermèrent violemment. Puis j’attendis, j’attendis un coup, j’attendis une brulure, j’attendis mais rien ne vient. Ce fut d’abord doux, puis tendre, enfin ça s’affirma, l’homme venait de poser ses doigts chauds sur ma joue. Ils caressaient mes larmes, les priant de partir. Ils déplacèrent une mèche de cheveux, la réinstallant derrière de mon oreille. Ils descendirent dans ma nuque pour détendre les tensions qui y restait. Ils prirent mon menton et tout disparut devant son regard. Son regard de loup. Son regard d’homme souffrant.
Il me disait des mots qui me calmèrent, il me disait des mots qui me touchèrent.
Il me dit son nom qui rendit tout réel comme une berceuses que je connaissais depuis longtemps : « Misrord. » Cela venait d’une langue que je ne parlais pas, une langue que pourtant je connaissai. Tout provenait de rêves bien réels qui me survenaient quand je portais un enfant me reliant au passé. Ce savoir me venait de là. Ce nom me promettait tant de chose que je n’arrivais pas à comprendre.
Misrord comprit que j’étais dans un état second, en proie à l’une de ces crises d’angoisse qui me suivaient comme les ombres du plafond. D’un geste doux il me prit dans ses bras. Le silence s’était installé. Il me permettait juste de respirer, me portant pour pas que je tombe. J’entendis la porte de bois s’ouvrir, l’eau arriva. D’un grognement, Misrord fit comprendre au serviteur de se dépêcher de sortir.
Dans un mouvement brusque, ses bras vinrent soulever mes jambes et il me déposa dans le lit. Il s’éloigna et revient avec un linge, je sentais qu’il ne savait pas comment s’occuper de ce genre de crise mais je le remerciai quand le froid de l’eau se posa sur ma tête. Je m’endormis en proie à une grande inquiétude, toujours une boule au ventre mais sans craindre la haine d’un homme. Dans un dernier instant de conscience je pus l’entendre parler avec un autre géant : « Ninah, prépare-la demain, et renseigne-toi sur ce genre de crise… Je pensais enfin pouvoir me confronter à sa vraie personnalité… quelque chose la terrifie… Merci pour les senteurs… » Puis plus rien.
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