[Partie I - La Providence] Chapitre 18 : Omega

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Chapitre 18 : Omega

Le retour à la Providence s’opéra sans incident, Sulina, blessée, suivant la cadence mesurée des agents qui l’entouraient. Le second groupe d’agents les rattrapa rapidement et la jeune fille comprit instantanément que leur traque de l’individu énigmatique avait été vaine. Les alarmes avaient cessé de vociférer et le calme relatif semblait être revenu.

Arrivée aux abords du bâtiment principal, Sulina, toujours encerclée par ses gardes, s’achemina à proximité de l’attroupement d’adolescents qui s’étaient rassemblés dans la cour d’Honneur. Sans qu’elle ne puisse réellement distinguer qui que ce soit, elle ne pouvait néanmoins ignorer les commentaires qui fusaient de la part de ses camarades stupéfaits dans un brouhaha diffus : « Que se passe-t-il ? », « Elle est bizarre depuis quelques jours », « Tu crois qu’elle a tenté de fuguer » ou encore « elle est blessée, regarde son visage tuméfié ».

Sans tarder, les agents menèrent Sulina dans l’aile du bâtiment légèrement excentrée qui abritait la section disciplinaire Omega. L’angoisse de la jeune fille s’intensifiait crescendo, au fur et à mesure qu’elle approchait de l’endroit tant craint, source de fantasmes les plus vils les uns que les autres. Elle n’avait jamais été contrainte de s’y rendre par le passé. Ses camarades qui y avaient séjourné se devaient de garder le silence sur ce qu’ils avaient vécu au cours de leur enfermement. Une clause spécifique interdisait, en effet, à tout résident à qui une sanction disciplinaire avait été appliquée de divulguer la moindre information sur les méthodes employées, l’organisation du séjour d’enfermement et les modalités de sortie. Des fantasmes étaient nés et ces silences ne faisaient que renforcer le sentiment de peur suscité par cette section. Sulina ne savait donc pas ce qui l’attendait entre ses murs qui abritaient plus largement des « déliquants » mineurs du Royaume. L’entrée de la section, une immense porte noire en acier sur laquelle figurait un emblème gigantesque doré et brillant représentant un Homme à genou, tête baissée portant à bout de bras le symbole Ω, le tout encerclé d’un serpent, emblème de la justice, était vigoureusement surveillée par une horde d’agents superviseurs.

Le caractère impressionnant de cette entrée n’était pas le fruit du hasard et tout était minutieusement organisé afin de pouvoir effrayer les résidents aux caractères les plus récalcitrants. Une voix familière et inquiète s’adressa alors à la jeune fille. Il s’agissait de Molène, sa nutrix, qui avait accouru à l’entrée de la section en apprenant les déboires de sa protégée :

– Sulina ! cria-t-elle alors qu’elle se précipitait vers elle.

Les yeux de Sulina se remplirent alors d’émerveillement mêlé de larmes.

– Molène !

Les agents laissèrent la nutrix s’approcher et échanger quelques instants avec la jeune fille. Incrédule face aux événements qui s’étaient déroulés, Molène ne put cacher sa stupeur alors qu’elle enlaçait celle qu’elle avait élevée :

– Sulina ! Mais…mais…pourquoi ? Que s’est-il passé ?

– Je suis désolé Moly, lui répondit Sulina en larmes. J’ai…je….Je suis parti vers le nord du domaine. Je…je ne sais pas.

La jeune fille se gardait bien de raconter la vérité à celle en qui elle avait néanmoins confiance, redoutant les conséquences de telles confidences. Molène, qui avait vu grandir Sulina, ne pouvait néanmoins ignorer ses mensonges ou plutôt ses non-dits et comprit instantanément que quelque chose s’était passé. D’un air grave et profond, elle s’adressa alors à la jeune femme en baissant l’intensité de sa voix :

– Ecoute-moi Sulina. Tu dois rester forte et te préserver. Tu es une femme maintenant et quoiqu’il arrive, garde ton sang-froid, sois courageuse et ne te laisse pas manipuler…par qui que ce soit. Écoute-moi bien : sois juste prudente dans tes paroles comme dans tes actes. Omega n’est pas si terrible à condition que tu ne te dévoiles pas trop. Tu en es capable.

Les agents séparèrent alors les deux femmes et invitèrent la nutrix à retourner dans l’aile résidentielle de la Providence.

Les différents gardes postés échangèrent des messages codés incompréhensibles avant d’actionner l’ouverture de la porte gigantesque dans un bruit sourd et inquiétant qui laissa entrevoir un sas obscure teinté de rouge flamboyant. Les agents jetèrent littéralement la jeune fille à l’intérieur de ce vaste vestibule avant de refermer la porte derrière elle. Au sol et diminuée, Sulina trouva néanmoins la force d’observer autour d’elle les murs sombres revêtus de velours pourpre caressés par les lumières rouges qui en sortaient. A peine avait-elle eu le temps de jeter un coup d’œil autour d’elle que le mur opposé à la porte principale se déroba dans un bruit de sirène aigu lui donnant accès à la salle principale de commandement de la section Omega. Il s’agissait d’une pièce immense très largement illuminée par des néons blancs-ocres, à l’image d’un entrepôt aménagé, au milieu de laquelle des dizaines d’agents s’afféraient, se déplaçaient, surveillaient ou pianotaient sur des écrans placés derrière des box qui faisaient office de bureaux.

Deux agents placés derrière l’ouverture se saisirent de Sulina pour l’asseoir sur un siège positionné négligemment devant l’un de ces box. L’agente qui y était installée interrogea la jeune fille de manière laconique et assez autoritaire :

– Sulina Kalika ?

L’intéressée, perdue et quelque peu impressionnée par ce contexte qu’elle découvrait ne répondit pas, obligeant son interlocutrice à faire un effort de parole supplémentaire :

– Je vous ai posé une question. Vous êtes bien Sulina Kalika ?

La jeune fille bredouilla de manière quasi inaudible par l’affirmative.

– Placez votre main gauche sur cette tablette. C’est pour vos empreintes.

Sulina obéit.

– Ouvrez la bouche.

Sulina obéit.

L’agente inspecta rapidement l’intérieur de sa cavité buccale à l’aide d’une torche.

– OK. Vous devez maintenant vous rendre dans la salle d’examen médical. Derrière vous, la porte bleue allumée. Et surtout, jeune fille, n’essayez rien qui pourrait vous nuire car nous prendrions un malin plaisir à vous casser un ou deux os.

La femme étouffa alors un rire écrasé moqueur.

Sulina se leva pour se rendre à l’endroit indiqué avec hésitation et crainte. La porte bleue s’ouvrit à son approche sur une pièce ressemblant effectivement à un cabinet médical au coin duquel se développait une plante aux grands pétales tombants roses et au milieu duquel trônait un fauteuil d’examen, quasi semblable à celui utilisé par Kennedy Chown. Elle fut accueillie par une femme d’une cinquantaine d’années, assez petite, très souriante et au regard plissé. Cette dernière, engoncée dans une blouse blanche trop petite, se présenta de manière très aimable, presque conviviale :

– Bonsoir Sulina. Je m’appelle Gana Ritula, Médecin et experte en détention auprès de la cour. Je vais m’occuper de vous. Mettez-vous à l’aise, je vais d’abord vous demander de vous doucher pour vous nettoyer tout ça, hein ? Je vais vous préparer des affaires de rechange.

Tant la voix mutine de cette femme que sa manière de se comporter surprirent Sulina qui se considérait davantage comme une détenue que comme une patiente infantilisée convoquée pour un rappel de vaccins. Elle se rendit dans l’arrière-salle et profita de la douche proposée pour se débarrasser des résidus de boue et de sang séché qui formaient comme une seconde peau à certains endroits de son corps.

Sulina revêtit la tenue proposée, un pantalon gris surmonté d’une tunique jaune qui tombait à mi-genou et rejoignit le médecin qui ne tarda pas à poursuivre son examen :

– Ah non, restez uniquement en culotte et installez-vous dans le fauteuil Sulina, nous allons regarder tout ça ensemble, hein ?

La jeune fille retira son pantalon puis sa tunique et s’étala de tout son poids dans le siège en plaçant son bras droit dans l’emplacement prévu à cet effet. Après plusieurs secondes, les moniteurs affichèrent les résultats des différentes analyses.

– Ouh la la ! Votre corps a généré une sacrée dose d’adrénaline au cours des dernières heures. On peut dire que vous avez eu vraiment peur. Ouf ! Tout est devenu normal dans le corps de cette jolie jeune fille. Hi ! Hi ! Hi !

Le médecin donnait l’impression de s’adresser à une enfant de 4 ans. C’en était trop. La crainte que ressentait Sulina s’était définitivement évaporée pour laisser place à une forte exaspération face à tant de niaiseries qui ne s’arrêtèrent pas là :

– Je note une carence en glucides, ce qui est tout à fait normal vu ce que vous avez vécu récemment. Par contre vous manquez de fer jeune fille ! Vous ne mangez pas assez de légumineuse enrichie !

– Je mange à ma faim, lança d’un ton sec et agacé, Sulina à son interlocutrice.

– Ce n’est pas le propos aujourd’hui mais je vous donnerai des conseils nutritionnels adaptés ultérieurement. Nous allons d’abord nous occuper de tout ça, hein ? en désignant du doigt les différentes plaies de Sulina.

Gana Ritula se saisit de ses gants et inspecta le corps de la jeune fille :

– Tout ça n’est pas bien méchant. Juste des lésions superficielles. Rien de cassé. J’ai une crème très efficace contre ces éraflures.

Le médecin appliqua une pommade chaude sur les blessures avant de les envelopper dans des bandages et pansements.

– Vous pouvez vous rhabiller maintenant. Elle a été courageuse la jolie jeune fille. Hi ! Hi !

La situation était ubuesque. Jamais Sulina n’aurait pu imaginer que son séjour en Omega se déroulerait de cette manière. Le médecin l’invita alors à se rendre dans la pièce adjacente accessible via une porte rouge lumineuse qui s’ouvrit à l’approche de la jeune femme, laissant entrevoir une salle sombre de laquelle s’extirpait une lueur menaçante bleu nuit.

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