[Partie II - D'un royaume à l'autre] Chapitre 2 : Wenbruch

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Chapitre 2 : Wenbruch

Les terres du Tamane, situées au nord-ouest de l’ile principale de la Monarchie de Lampayouse, constituaient une enclave en proie à un conflit depuis son annexion, quelques années auparavant. Une partie du peuple tamane luttait clandestinement pour retrouver son indépendance et disposer notamment des ressources agricoles et minières que la Couronne avait récupérées. Face à cette dernière, la force de frappe des tamanes restait limitée à des seules actions terroristes ponctuelles visant à contraindre l’occupant à libérer cette zone disputée. Le conflit s’était enlisé et la population résignée à adopter les coutumes et à appliquer les lois imposées, avec l’espoir d’une revanche à venir qu’elle savait toutefois anéantie.

Drake connaissait bien évidemment l’histoire de ce peuple au côté duquel le royaume de Yachmahaï se tenait, non par affinité idéologique particulière ni histoire commune mais par intérêt afin de disposer d’un allié en plein cœur de la monarchie ennemie.

Grand brun au regard noir, Drake était membre de la garde royale d’infanterie depuis quelques années, ayant réussi à gravir les échelons au regard de son investissement sans faille et de son sens aigu de la stratégie. Il avait, avec son régiment, été envoyé, il y a plusieurs semaines, dans la zone neutre de Palalaï afin de surveiller les mouvements potentiels de l’armée de la Monarchie de Lampayouse soupçonnée de positionner sa flotte de guerre au cœur des mers neutres.

Dans la caserne, installée dans la zone désertique du Mone à proximité de la côte du Palalaï, cette surveillance s’avérait particulièrement ennuyeuse.

Le militaire s’efforçait de donner le maximum de détails afin de convaincre ses interlocuteurs de la véracité de son récit.

Les journées semblaient longues, rythmées par des exercices sportifs afin de passer le temps et des tentatives vaines de réception de signaux ennemis. Drake était en liaison constante avec la force royale, alors que sa perplexité quant aux manœuvres ennemies ne faisant qu’augmenter au fil des heures.

Le jour se levait sur le Mone, donnant à la mer une couleur bleu turquoise délicieuse et dynamique. Alors que Drake s’attelait à remonter le moteur d’un pick-up militaire qui avait commencé à montrer des signes de faiblesse la veille et que ses hommes étaient regroupés dans le centre de la caserne à fumer des spountz, un sifflement imminent retentit dans le ciel immaculé. Soudainement, les appareils militaires se mirent à leur tour à siffler et à présenter des signes de défaillance tangibles. Alertés, les hommes se regroupèrent dans les bâtiments sécurisés tentant en vain de remettre les appareils en service que des brouilleurs avaient vraisemblablement corrompus.

Chacun s’équipa de son casque et d’armes lourdes en prévision d’une attaque imminente lorsqu’une explosion se fit entendre au sein même de la caserne. L’offensive fulgurante ne laissa aucun répit aux soldats qui formèrent un cercle défensif. Les respirations se coupèrent avant de se hacher. La tension était palpable et les cœurs entrainés s’activaient énergiquement. D’autres explosions retentirent. Des fumées se dégageaient, altérant la visibilité. La présence de l’ennemi était palpable mais invisible. Une ombre qui semblait gigantesque se dessina dans l’obscurité de la fumée qui contrastait avec un arrière-plan irradié par la lumière vive des soleils.

Les soldats, sans réfléchir et, il faut bien l’avouer, paniqués, activèrent alors leurs armes diverses sur cette silhouette imperturbable, sans effet, aucun effet en dehors des étincelles nées du ricochet des balles et de l’absorption des lasers. Plusieurs lumières rouge vif se distinguèrent de l’ombre, tels des yeux, provoquant instantanément l’évanouissement les soldats.

– Et ensuite je me suis réveillé à Wenbruch !

Un silence religieux régnait dans la caverne, chacun écoutant Drake avec fascination pour les uns, circonspection pour les autres. Le héros ou imposteur, selon, poursuivit alors son récit avec assurance.

La cellule au cœur de Wenbruch était gris anthracite, aucune fenêtre, juste une porte opaque, un lit sommaire, une table et deux chaises. Allongé, Drake reprenait lentement ses esprits avant de réaliser son enfermement. Il se leva brusquement pour tenter en vain de sortir avant d’inspecter la pièce étroite qui ne cachait définitivement rien d’autre que ce qu’elle présentait. Des grilles au plafond laissèrent soudainement s’échapper le son d’une voix masculine robotique paradoxalement bienveillante :

Bonjour. Vous avez fait l’objet d’une arrestation au titre de l’article V-1344bis de la loi martiale de sécurité nationale pour pénétration illégale sur le territoire souverain de la Monarchie de Lampayouse. A cet effet, vous ferez l’objet d’un interrogatoire et serez assisté de Maître Cabesos, commis d’office par la cour de justice monarchique. Cet interrogatoire aura lieu dans 44 minutes. Maître Cabesos se présentera dans les prochaines minutes.

Drake, assis, restait abasourdi par cette annonce à laquelle il n’était pas habitué et qui lui paraissait dénuée de sens. A peine avait-il eu le temps de réaliser ce qu’il se passait, que la porte s’activa dans un bruit froid et métallique. Un homme râblé aux lunettes épaisses masquant partiellement son visage et aux cheveux hirsutes pénétra dans la pièce :

– Bonjour. Maître Cabsesos, commis d’office par la cour de justice.

L’individu s’installa en face de Drake, sans le regarder, avant de poursuivre :

– Vous avez été placé en état d’arrestation pour pénétration illégale sur le territoire de la Monarchie. Je vais assurer votre défense dans le cadre de l’interrogatoire puis du procès qui auront lieu prochainement. Nous allons étudier ensemble les circonstances de votre infraction, sachant, par ailleurs qu’en tant que personnel militaire gradé, vous risquez des circonstances aggravantes.

Drake laissait le scénario ubuesque se dérouler, impassible, avant de reprendre ses esprits :

– Mais qu’est-ce que c’est que ce cirque ? Vous nous avez attaqués en zone neutre. Vous avez commis un acte de guerre…

Interrompant le prisonnier dans un élan de désinvolture :

– Je vois…vous contestez donc les faits. J’ai sur ma fiche que vous avez pénétré illégalement dans la zone maritime de la Monarchie. Vous le contestez ?

– Mais complètement. Vous nous avez attaqués dans notre caserne au sein de la zone neutre de Lapalais. Jamais nous ne nous sommes rendus en mer !

– N’oubliez pas que je suis de votre côté. J’assure votre défense. Mentir ne fera que vous desservir.

– Vous vous foutez de moi….

– Yo yo yo yo yo ! – le tic de langage de cet avocat résonnait comme une réplique ridicule dans cette conversation kafkaïenne – Arrêtez ça tout de suite ! Si vous ne coopérez pas, je ne pourrais rien faire pour vous et, je vous préviens, vous risquez gros.

Drake, bien qu’animé par un désir d’action, restait un homme réfléchi et pragmatique, conscient pour l’avoir expérimenté, de la nécessité de garder son sang-froid en toute circonstance :

– Maître Cabesos, vous comprenez bien que j’appartiens à la garde royale Yachmaïte. A cette fin, cette arrestation ne revêt aucun sens pour moi, en dehors d’un enjeu politique, puisqu’à aucun moment moi et mon équipe ne nous sommes rendus dans les mers de la Couronne. Face à ce stratagème assez grossier, je ne peux que riposter par la contestation. Je nie en bloc ces accusations fallacieuses.

– Et bien voilà ce que je veux entendre ! Entre nous je vous crois. Ces pratiques me répugnent comme vous mais nous n’avons pas vraiment le choix, voyez-vous, vous devez coopérer. Je vous conseille de plaider coupable par imprudence. J’essaierai de défendre la bonne foi.

Cette réponse désopilante ne faisait qu’accentuer le caractère ubuesque de la situation, Drake, en militaire aguerri, ne pouvait que soupçonner une stratégie de « son » avocat destinée à brouiller les pistes, à moins que Maître Cabesos ne soit effectivement qu’un simple rouage d’une machine qui le dépassait et dont il se moquait éperdument. Devant tant de décomplexion et sachant son devenir aux mains d’un mécanisme qu’il ne maitrisait pas, Drake se résolut à jouer le jeu démagogique que son partenaire du moment lui offrait :

– Je vous fais confiance Maître. Je n’ai rien d’autre à ajouter, vous savez tout.

Maître Cabesos prit congé de son hôte, laissant Drake seul dans sa cellule grise.

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