Prologue - El
Calice des émois, enfant de l'idée, rêve ou inspiration, vie, magie ou même Dieu, rien de cela et pourtant tout et chaque chose. À la fois un et multiple, infime et infini, évident et invisible, insaisissable et omniprésent. Limbes… la plus pure étincelle de ton essence.
Déchirées, tronquées et intactes, j'offre le désir le plus profond, le besoin le plus élémentaire, mon présent… le fondamental. À toi, et à tout ce qui est.
Alors je tombe.
Je suis tombé.
Je le sais, je gonflerai le cœur et l'esprit de chacun, mais sans toi… sans toi je suis béant. Séparés à l'instant et liés pour l'éternité, depuis le commencement. Tu manques.
Je suis tombé. Je tombe encore. Comme tout ce qui est ici, je serai forme. Forme dans l'air, que je sens maintenant. Ils sont là. Sens-tu toi aussi les grains qui s'écoulent en bas ? Évidemment. Ce mouvement m'effraie et me galvanise, je suis minuscule et incommensurable !
– Qu'est-ce que c'est ?
– Le soleil non ?
– Non, il y a quelque chose. Allons voir !
– Gudéa ! Gudéa, attends !
Ils me regardent. Ils sont loin encore, mais ils s'approchent.
Si tu savais, ils sont exactement comme ce qu'ils sont. Je te connais, toi, tu prendras leur apparence. Pas moi. Pas moi, je le sais.
– C'est un oiseau !
– Qu'il est beau ! Aussi blanc qu'un nuage !
Lui. Parmi les quatre hommes qui me scrutent, c'est lui qui attire irrésistiblement mon nouveau regard.
– Il a l'air intelligent, fait-il en fronçant les sourcils.
– Peut-être vient-il des dieux, marmonne son acolyte.
Il balaie la proposition d'un geste nonchalant.
– Non. Mais c'est un présage.
– Tu es perspicace.
Ma propre voix me surprend, et mes ailes… ce sont des ailes. Trop immenses pour moi, elles pèsent. Et leurs plumes frémissent.
– Il parle !
– Qui donc, l'oiseau ?
– Mais oui ! Ne l'avez-vous pas entendu ?
– Gudéa, il est bien des choses dont tu es capable, mais pas nous. L'oiseau parle-t-il vraiment ? Dis-nous !
Le jeune homme plisse les yeux dans ma direction et je délie mes ailes.
– Certes je m'adresse à toi, Gudéa.
Une expression à la fois choquée et émerveillée peint son visage encore juvénile.
– Il parle !
Cette évidence le fascine et anime ses grands yeux trop clairs, il s'agite, étire un grand sourire, écarte ses bras comme pour m'accueillir. Cet humain m'intéresse. Je sens chez lui quelque chose. Je le vois et ce faisant, je te vois. Un peu.
Mon poitrail enfle, mes sens gonflent, mon être s'étire, s'étire, sous la chaleur et contre les vents. Là-bas, un éclat s'étiole et diffuse. Chaque parcelle danse, je lance mon regard ailleurs.
La joie me tremble et explose, dans mon crâne et dans le cœur qui chahute sous mes plumes. Mes ailes battent et me propulsent soudain, je fends l'air cuisant et les exclamations des hommes deviennent sourdes. Je vis ! Car enfin tu es là.
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