85. Pétales de cendre au visage du vent

14 minutes de lecture

Mes ombres, nos racines. Sans vous je me déchire.

« Narabi’zuno’kar-hima ! Le nom de l’univers ! »

Moi que nous sommes, nul ne l’arrachera.

Et sûrement pas toi, fausse sœur, plus lâche encore que ta mémoire.

Voleuse amnésique. Reine de contrefaçon.

Qui confond sa grandeur à la popote. Souille son temps.

Lécheuse de vermine ! Si belle et si laide !

Ignoble merveille de la nature !

Nous t’effacerons. Anomalie. Tes pensées de l’air, ton reflet dans le ciel,

jusqu’à ton ombre du sol ! Traîtresse ! Jalouse !

Du rien que tu seras, aucun esprit d’ici ou d’ailleurs ne se rappellera.

Et ton nom maudit se détachera de tout visage, voix ou odeur.

Ôyez ! voici venir la Reine de Néant !

FRRRAKÔSSSSSH ! ! ! !!!!! ?

Le long de joues fondues, des larmes de lave tracent leurs crevasses.

Lavées de colère et d’amour, elles écument leur folie.

Alphamas berçait sa bien-aimée, Aramië, inconsciente, peut-être morte, qui sait ? Le choc avait été particulièrement rude, pour ne pas dire d’une brutalité sans nom, au point de faire voler en éclats l’estrade de pierre et creuser un cratère à la place. Et il manquait un bon morceau de peau sur le sommet du crâne si bien ciselé, de la largeur d’une main, celle qui lui avait dérobée ses beaux cheveux de jais. Le démon se mit à fredonner une comptine de sa lointaine enfance, du temps où lui et sa fratrie jouaient à cache-cache-dans-le-noir, avant sa rencontre avec le ciel.

Sa belle robe bleue toute déchirée aux lambeaux crasseux. Cette robe qu’il détestait et qu’il adorait ; qu’il avait patiemment cousue trois saisons durant, assemblée maillon après maillon, décousue au fil de ses erreurs, s’entêtant malgré son manque évident de talent pour la couture – n’est pas main de démonifée qui veut –, obnubilé par la nuit de ses rêves, qu’il appelait de ses vœux. Le fruit de son dur labeur, qu’il avait été heureux de montrer, à Aramië en particulier, espérant par-là – non pas la séduire, naïf il l’était oui, mais pas à ce point –, attiser ne serait-ce que sa curiosité. Insuffler une étincelle dans la glace.

La froideur de la dame n’avait jamais refroidi ses ardeurs. Alphamas était un démon pur jus : ce qu’il convoitait, il cherchait à l’obtenir sans jamais faillir dans sa détermination. Bien entendu on n’attrapait pas une Aramië. Telle une femelle arachnodon, elle vous attirait dans son nid : hop ! un coup d’un soir, le plus beau qui fut, puis tête croquée ; rien qu’un mal fugace pour l’éphémère amant ; préférable à une lente pourriture. Ça n’aurait pas dérangé Alphamas de périr dans cette froide étreinte. Finalement, c’est elle qui allait expirer dans ses bras. Quant à se faire croquer la tête, une panthérèbe y pourvoirait sans peine. Ses congénères et ces fées-dames, damnés désormais, avaient déserté les environs de la Gueule d’Abîme qui jamais n’avait aussi bien porté son épithète. Il n’aurait su parier sur le temps passé, n’y songeant pas. Seulement à la vie d’Aramïe, s’écoulant entre ses doigts. Son maigre souffle s’échappant de sa bouche, sévère même devant la mort. Pourquoi donc respirait-il encore ? Étrange, non ? Il était là, proie facile ne s’attardant même pas sur sa propre vie. À croire que les panthérèbes préféraient, comme tout félin qui se respecte, la viande qui remue, se débat.

Ah, bon, qu’importe ! La mort viendrait le trouver le moment venu. Rien ne presse quand un monde s’écroule. Plus d’impératifs. La liberté, pure et vraie !

Son seul regret : ne pas retourner à la pierre dans laquelle il fut sculpté. Les démons, en tant que plus belles œuvres de Maman Terre, méritaient de revenir à la fabuleuse artiste qui les avaient créés. Tant pis. Qui ne part pas sans regret après tout ? Aramië en avait-elle ? Il aurait aimé lui demander. Mais elle s’entêtait à l’ignorer, comme toujours, éveillée ou endormie. La chanceuse. Mieux vaut dormir quand vient la fin. Ainsi qu’importe qu’elle soit gâchée, on ne la voit pas.

Voilà pourquoi Alpahmas lui fredonnait une berceuse. De sa voix qu’il détestait ; ses cordes n’avaient jamais été cousues pour le verbiage, encore moins pour les notes. Quelle que fut sa nouvelle nature au fil de ses transitions, aucune n’avait été douée pour le chant. À croire que la Fée Chance lui reprochait quelques chose, à moins qu’elle n’aimât simplement pas l’entendre. C’était peut-être sa dysphonie qui tenait les dévoreuses à l’écart. Pffff, quelle drôle d’idée !

« Tu comptes prendre racine avec ta douce ? »

Alphamas se tut, leva les yeux. Ils étaient plein de larmes. Un démon, pleurer ? On aura tout vu !

Il frissonna. L’ombre qui le mangeait tout entier n’avait rien à envier à l’effroi naturel engendré par une panthérèbe. Sa mémoire remonta à quelques instants plus tôt, une éternité pour son esprit écartelé, quand il s’apprêtait à pousser cette ombre dans l’abîme qui en avait déjà dévorés tant d’autres. Maintes fois, il avait assisté au sacrifice des offrandes, ainsi qu’aux exécutions de démonidés ayant déplu d’une quelconque façon à Sa Munificence. Cerveaux farcis de trompe-la-mort gommant la peur afin d’apaiser l’hubris ravagé et ravageur des Innommables. Aucun n’avait jamais hurlé. Première fois en revanche, de mémoire d’Alphamas, qu’un condamné réclamait sa sentence. Tétanisé par tant de chamboulements déchaînés en quelques instants, le démon avait longuement hésité face à la grande carcasse plantée au rebord du gouffre, et puis… un pouce en l’air et tout avait volé en éclats ; du moins tout ce qui n’était pas déjà brisé.

Le colosse au museau grossier se pencha. Alphamas, qui aurait aimé mourir un tant soit peu dignement, se recroquevilla malgré lui, serrant un peu plus Aramië contre ses cœurs.

Mais l’animal se contenta de lui asséner sa voix de stentor que le démon envia : « Que préfères-tu ? Choisis. Mourir ici avec elle ou vivre après tout ça, peut-être seul. »

CRAAAAAAC-HAOOOOUUUSH !!!! … La terre sous eux se fendit.

Sa mère l’appelait !

Trop tard,

son choix était fait.

De plus en plus de matous rejoignaient la partie d’attrape-rat. Tête-de-Pie, faute de caillou, balançait du gravier. La lance de Reyn lui pesait deux fois plus lourd à bout de bras. Son corps la lancinait de partout, davantage à mesure qu’elle lacérait la fumée qui sans se lasser reprenait forme pour revenir à la charge.

Tandis que ses forces chutaient, ses souvenirs de jadis remontaient, vents néfastes halés par les monstres cendreux. Son peuple qui fut sien avait été autrefois acculé de la sorte, par un autre type d’ennemi, plus bipède, plus mortel, dans les deux sens. Reyn avait présagé la chute inexorable de leur monde, le grand déboisement, l’éclatement du peuple et l’exil de ses membres ; du moins ceux qui survivraient au fléau de la maladie et aux séquelles du désespoir. Tout comme elle avait présagé leur mort collective au terme de cette expédition vouée à l’échec.

Elle commençait à croire qu’en elle résidait une sorte de malédiction. Non, faux. Elle y avait toujours cru. Depuis le jour où elle avait décidé de planter sa lame entre les deux cœurs de sa mère. Pour le pire – ou le mieux –, elle ne se rappelait pas le déclic, l’instant de son choix, avant qu’il ne soit tranché, ni le moment où il trancha. Seul vestige encore vivace et toujours vif de cet évènement : elle, Amareyna, chevauchant Rujadis à l’agonie ; et les yeux de sa mère, son regard larmoyant… de fierté ! De fierté !

La rage la hameçonna. Et de cette rage tirée de l’abîme, elle se sculpta de nouveaux muscles. Et elle trancha ; le néant, ses choix, passés et présents, armée d’une vivacité neuve, avide d’un sang qui, au lieu de couler, se changeait en fumée. Découper une panthérèbe, c’était aussi grisant que frapper l’air pour calmer une grosse colère : l’effet s’inversait, les nerfs vous remuaient davantage encore. L’hilarité estompée, Reyn hurla, vociféra à en vomir ses cordes vocales, à expurger toute sa hargne enfouie, jusqu’au moindre tronçon d’émotions gardé en stock et depuis longtemps oublié, moisissant dans les tréfonds de son être morcelé. Et tandis qu’un séisme démentiel secouait ses organes, le tohu-bohu ambiant remballait ses cris enragés qui aux oreilles du monde n’évoquait que frêles pépiements.

Un puissant craquement remonté tout droit des profondeurs souleva leur donjon improvisé, les ébranlant avec lui. Tête-de-Pie, chancelante, brandit une main en direction d’une crête voisine. Un fameux serakil venait de passer une tête par-dessus les pics dentelés. Titan parmi les titans, le dieu zombie se présentait avec sa tiare d’éclairs. Le tourbillon céleste rugit de plus belle en guise de salut. Reyn identifia le fossile de géant et faiseur d’orage qu’ils avaient croisé durant leur ascension et qui, sans Nellis, les aurait certainement carbonisés. De retour, il marchait d’une fougue propre à sa corpulence, imposante et pataude à la fois, piétinant les rocs gigantesques comme du vulgaire gravier. Ses pupilles de brasier crachaient des flammes semblables à des queues de comètes : l’éclat d’une conscience nouvelle ; éveillée plutôt. Pour la première fois de leur existence vide, les serakils, espèce sans en être une, ni vivante ni esprit, goûtaient au sentiment d’être, une raison raison neuve qui – à juste titre – les effrayait. Et de cette brutale frayeur ils puisaient une haine, polie de nouveauté elle aussi, à l’encontre du monde dans son entier, sans distinction. Le géant de roc et de feu ne différenciait pas les créatures, volantes ou non, au même titre que n’importe qui face à des fourmis.

Merci Silène, tu nous as bien aidées sur ce coup. L’ironie teintait les pensées de Reyn. Écrasée, éventrée, brisée au fond d’un gouffre ou grillée par un éclair : tant de possibilités, elle ne savait que choisir.

L’elfe cligna des yeux. Une nouvelle ombre fondait sur Tête-de-Pie et elle depuis les cieux ! D’instinct, la pointe de sa lance visa les airs. Puis s’abaissa. Un griffon ? Et sur le dos du griffon...

« Silèèèèèèène !!!! » s’époumona la frondeuse sans fronde à deux doigts de l’effondrement.

La bête ailée tournoya autour du chicot de roc leur servant de radeau pour en décrocher les vilaines caries rampantes, qui toutes, une à une, se changèrent en fumée sous les coups de serres ; avant de se poser dans un déluge de plumes. La fée-lutin harponna la chamane entre ses bras. « Tu as réussi, tu as réussi, bravo gamine ! »

Même Reyn ressentit un pincement devant Silène vivante. À moins que ce ne soit sa pointe de côté. Ou bien la nouvelle aura qui entourait sa congénère du bois. Et le bourgeon devint arbre. « Ouais, merci du coup de serre petiote. Et donc le griffon ? » Du pouce elle désigna l’animal qui demeurait sage tout en les toisant d’une lueur bizarre à travers ses iris fendus.

« Hein, quoi ? » Toute heureuse de leurs retrouvailles, Silène, joues pleines de larmes, peinait à s’arranger les idées. « Ah ça ! C’est Garlik.

— Garlik ? » Reyn plongea dans l’étincelle des pupilles rapaces. Ce pétillement… vaguement familier à sa mémoire.

« Elle rêve ! s’enorgueillit Silène comme si ce rêve était sien.

— Ouais ben je préférerais que nous aussi ! grommela Tête-de-Pie.

— Elle peut nous porter toutes les trois ? » Reyn n’avait plus de place, et encore moins de temps, pour le scepticisme. Quitte ou double, autant jouer double ! Elle qui n’avait jamais été foutue de gagner une partie de dés, pas même face à Bagon.

« Oui, et ah oui ! j’oubliais, elle m’a dit de vous dire que Bagon vous salue. Il nous saluent toutes et tous, mais surtout vous. »

Nouveau pincement. Reyn se fâcha, puis songea : à s’attendrir, ça la rendrait peut-être trop molle sous la dent des panthérèbes. Pas une si mauvaise chose, tiens.

« Jamais j’aurais cru dire ça un jour, mais il a de la chance le Bagou avec son paluchon en moins.

— Paluchon qui repousse bien, assura Silène à Tête-de-Pie.

— Et qu’on aura jamais l’occasion de revoir entier si on décampe pas fissa ! » Reyn avait le choix de pointer parmi les dangers imminents. Déjà en bas la meute se reformait, insensible à sa récente débâcle et bien décidée à asséner le dernier croc.

Les trois enfants du bois entreprirent donc de se hisser sur le dos du griffon, qui décolla aussitôt dans une bourrasque d’ailes, avant même que Reyn, juchée en croupe, n’ait eu le temps d’assurer sa posture et manquant la désarçonner. D’une main elle se tint au plumage, de l’autre à sa lance. Et d’une envolée elles quittèrent leur tombeau élu. Peut-être pour un autre.

Le vol s’avérait relativement serein compte-tenu de l’atmosphère. Les terribles vents fous, qui auraient dû les rudoyer davantage, se contentant de les bousculer avec brusquerie sans s’attarder. Bise pompeuse de loin mais timide au contact.

J’essaie de nous ménager un corridor. Mais les rus de magie sont trop déchambranlés, et maintenir l’équilibre du rêve m’use méchamment. Le pire serait que je me réveille.

Garlik communiquait par le biais du griffon, en pensées de songe, et seule Silène la chamane, non plus en herbe mais bien confirmée, parvenait à l’entendre. Qu’adviendra-t-il si cela arrive ?

Ça n’arrivera pas, enfant, ne t’en fais pas, j’ai le sommeil bien lourd, fais nous confiance.

Conseil inutile : la chamane croyait aveuglément en la sorcière trolle.

Sourire fugace de Quo depuis les limbes.

Jurons de Reyn : « Dis, tant qu’à faire, tu pourrais pas faire en sorte de leur dire de nous ficher la paix à tes nouveaux amis !? » Elle désignait les serakils, marée de bougies en contrebas, et en particulier le géant géniteur d’orage. « J’aimerais autant ne plus avoir à m’en faire d’eux ! » Elle devait hurler aux oreilles de Silène pour se faire entendre tant la tempête broyait les sons.

« Hélas ils ne m’écoutent pas. Ni moi ni personne. Je n’ai fait qu’éveiller leur instinct. Et rien ne pourra le rendormir. Ni personne le guider. Autant vouloir domestiquer des loups-de-fumée ! »

Un brusque braquement d’ailes coupa court à la discussion. S’ensuivit une virevolte qui fit chavirer les cœurs chevauchants. Le sang monta aux cerveaux avant de redescendre jusqu’aux orteils. Les esprits secoués comprirent bientôt la raison de toute cette voltige : l’essaim noir les avait repérées et prises en chasse !

Étrange bizarrerie que les mouches zozotent quand les chats ne feulent pas. Et plus étrange bizarrerie encore que Tête-de-Pie se pose pareille question en pareilles circonstances. Secoue-toi ma grande, t’es tarée. Elle qui rêvait depuis toujours de tutoyer les nuages, la petite bâtarde jalousant ses cousines fées, malheureuse racine, découvrait en cet instant, peut-être son dernier, au comble de la déception mais non sans ironie, qu’elle souffrait du vertige. Tant et si bien qu’elle gardait paupières closes, les bras ceinturant la taille de Silène, cherchant à lui en sculpter une plus fine, ne scrutant le monde que par ses oreilles, remplies du vrombissement paradoxal.

« Plus vite ! » hurla Reyn au griffon. Vanité vaine de chefaillon qui pense qu’ordonner l’évidence suffit à vous donner l’air finaud. Ho, ho ! bien au contraire !

Le griffon piqua des volées, histoire de montrer à l’elfe posée sur ses fesses de quelle plume il se chauffait ; et aussi pour échapper à la nuée de vermine. Il employait les tourbillons venteux afin d’accélérer, surfant sur le pouvoir de Garlik, jouant avec la tempête pour qu’elle souffle aux mandibules de ses poursuivants. Il grimpa, grimpa encore, par tournoiements tel un serpentin, bec au ciel. Ses passagères, pour rester en selle, devaient serrer les jambes à s’en croiser les ligaments et enfoncer leurs mains jusqu’au duvet sous le plumage. Joues de Reyn plaquée contre le derrière de Tête-de-Pie, le nez de la fée-lutin planté entre deux vertèbres de Silène, elle-même le menton niché dans la nuque duveteuse du griffon, chacune luttant de toutes ses forces désenchantées contre l’appel fatal de la gravité. Le vent hurlait si fort, œuvrant à leur arracher les oreilles, griffait si durement leur peau, à deux doigts de les écorcher. Puis la pression boucha leurs tympans. Ô surdité bénie ! Le calme en pleine tempête.

La gueule d’ouragan s’apprêtait à les gober toutes crues. Plus d’un éclair les frôla. L’air électrique leur caressait les cheveux. Narines tapissées des odeurs d’ozone et de fèves grillées. Elfes et fée-lutin s’employaient à se réciter intérieurement d’intimes mantras afin de cueillir un peu d’espoir, de garder la vie chevillée en leurs chassis et d’éloigner la folie des cimes. L’air vint à leur manquer. Par rareté et parce qu’elles ne respiraient pas, de peur qu’une inspiration les surprenne et leur fasse lâcher prise.

Enfin la flèche griffonnière daigna interrompre son ascension périlleuse. Encore un peu et ses cavalières embrassaient les étoiles. Les paupières écrasées s’aplanirent, puis osèrent s’entrouvrir – voile rouge –, enfin s’écarquillèrent face à la disparition miracle de l’essaim vorace. Nul écho de l’affreux vrombissement annonciateur. L’horizon, désormais visible, ne signalait aucune trace de la funeste nuée. Les vents l’avait dispersée ou bien fut-elle consumée par les éclairs. En tout cas elles étaient libres. Libres dans tous les sens du terme. Libres de s’évader. La colonne d’orage s’étalait dessous leurs pieds, ses vents trop lourds pour les atteindre à une telle hauteur. Le ciel s’étalait de nouveau, peint par la lune trônant en son centre, des reflets du sang versé en trombes là-dessous.

Je vous avais dit de vous fier à nous. Notre ami est un artisan des cieux. Il ne vole pas, il sculpte l’air de ses ailes comme moi-même je manipule la glaise pour mes enfants. Il résidait dans les pensées de Garlik de la fierté mais aussi de la fatigue, une pesante fatigue contagieuse.

Dès que les neurones renouèrent avec les muscles, une foule de plaintes se cramponnèrent aux conscience. Reyn, Tête-de-Pie, Silène : leurs corps s’étaient tant crispés que chaque nerf et tendon en tressaillait. Tête-de-Pie crut un instant s’évanouir sous la douleur et le contrecoup du choc. Reyn lui pinça la bouille histoire de lui rameuter l’esprit. Elle aussi titubait dans le brouillard. Alors que Silène peinait encore à redémarrer ses six sens.

Toutes trois – toutes les quatre – se penchèrent vers le cyclone : visage pourpre et poupin posé sur la montagne, ses boutons d’éclairs scintillants. De cette bouille de maelström émanait encore autre chose : les relents de milliers de sentiments mâchonnés par les tourbillons puis recrachés. Rancœur, haine, terreur, supplice, chagrin, regrets, désespoir, le tout saupoudré de quelques éclats de volonté. Jilam. Nellis. Le Chasseur. Les offrandes.

Les rescapées pouvaient se sauver, maintenant, et vivre avec le poids de la honte. Car comment pourraient-elles conter leur aventure auprès des gens du bois – si bois et gens demeuraient à leur retour – sans omettre la lâcheté qui les avaient cueillies à la fin. Omission qu’il faudrait nécessairement remplacer par une autre vérité, autre vérité que l’on nomme communément mensonge. Un autre poids à ajouter à la honte. De quoi abattre l’ego le plus solide.

Mais l’idée de replonger dans ce chaos de mort ne les enchantait guère non plus. Le florilège de souffrances ramassées pour s’en extirper. Combien de jours, de nuits écoulées depuis leur entrée ? Un siècle au moins, non ? Le temps, pour elles, s’était estompé, évadé de leurs esprits ; esprits lavés réduits à ceux de nouveaux-nés.

D’un regard les trois fugitives se concertèrent. Garlik les laissa à leurs atermoiements. Était-elle trop épuisée pour les interrompre, ou bien trop sage ?

À travers le masque de tempête, Seratusor gronda.

Le refrain d’une vieille cloque.

Rougeoya… Rugit !

Chant, non de cygne, de volcan !

Insignifiante mélopée crachée à la face des étoiles.

Ô Seratusor !

fruit de terre, arrosé de soufre et d’amour, pétri de cruauté et de dépit

est-ce là ton dernier soupir que tu pousses dans un cri jailli de tes tréfonds et qui embrase la voûte de notre monde-maison ?

BROOOMMM .. ! ! … !

?? ??? ! !!!! ;;; KRRRRAAAK ! ! ! KRRRRAKASH !!!! ! ! !!!!!

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire umiopo ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0