Chapitre 2 Rendez- vous avec Michel
Septembre 2018
M'exposer devant les autres me demandait un petit effort, mais jusqu'ici je ne me mettais pas en avant. Une de mes amies Antoinette me rédigea toute une présentation avec des photos sur des panneaux. Tout était dit sur mon action, mes buts, mes attentes, j'espérais obtenir et surtout me faire connaître davantage. Pas pour qu’on me dépose son animal lâchement avec de mauvaises excuses. Trop vieux, trop malade, n'assumait plus. Une tirelire sera mise en évidence. Cela se passait dans le gymnase. Des chaises pliantes et des tables se trouvaient collées au mur avec des grilles pour soutenir nos affichages. La salle allait être occupée entièrement. Antoinette m’aida à installer notre stand. Le lendemain, Anita, Antoinette et Monique m'accompagnaient, elles étaient avec moi depuis le début. Antoinette et Monique ne s'entendaient pas vraiment, Monique avec son ton autoritaire n'avait pas la délicatesse et aimait mener son monde à la baguette, cela déplaisait à Antoinette. Dès l'ouverture des portes, la foule s’annonçait. Les enfants attiraient leurs parents et j'ai pu échanger avec eux. Ils encourageaient même à donner une petite pièce j’étais satisfaite et heureuse. Avant la pause de midi, le maire salua chaque exposant. Je n'échapperais pas non plus. Pas de loin de lui, Michel le suivait et à ce moment-là Monique me glissa à l'oreille.
—Tu devrais toucher un mot à Michel, il influencerait le maire !
Je regardais Monique interloquée, je lui avais déjà expliqué le refus de celui-ci, je ne répondis rien. Mon attention se fixait sur Michel, certaines femmes lui trouveraient plein de charme et d'attrait. Pas moi. Il me rebutait et chaque parole qui sortait de sa bouche sonnait faux. Il se figurait craquant et personne ne lui résisterait, il accumulait les conquêtes depuis son divorce à se demander s'il était fidèle. Je doutais fortement seulement, je ne fondrai pas comme de la neige. Il s'arrêta pris le temps de lire mon appel au secours sur notre tableau. Il n’apprenait rien, il était au courant de mon action sur internet avec son évolution. Il avait un sourire, il se régalait de ma mauvaise posture. Il pensait m’avoir plus facilement, il s'attaquait aux plus faibles et en détresse. Mon état d'euphorie par cette ambiance effervescente, on ne s'entendait presque plus Michel se rapprocha.
—Tu es ravissante Marlène, tu es toujours dans tes dettes.
—Je vois bientôt la fin du tunnel.
Je veux m'exhiber positive, j'avais la foule autour et pas question de montrer ma fragilité.
—Ne sois pas sotte, mets un peu de plomb dans ta cervelle, avoir autant d'animaux lorsqu'on n’a pas les moyens ce n'est pas raisonnable, tu me fais pitié.
Encore une fois, j'avais droit à un jugement négatif, Michel se rattrapa.
— On pourrait se voir un de ces jours tranquillement autour d'un bon repas.
Il me sortit de sa veste une petite carte de visite. Il poursuivit sa tournée, Antoinette éclata de rire :
—Tu as obtenu un rencard !
—Je ne tomberais pas en pâmoison pour cet homme, ce n’est pas mon genre.
—Un peu de piment dans ta vie.
—J’ai déjà mes soucis.
À la fin de ces deux journées, mon bilan n’était pas négatif, mais pas trop glorieux. Je n’étais pas une célébrité non plus même si j’apparaissais dans les périodiques pour trouver de nouveaux donateurs. Une façon de mendier.
***
2 Novembre 2018
Je tournais le problème dans les sens, récolter le reste de la somme semblait peu probable. Après avoir connu un franc succès grâce aux publications, une diminution de versements se remarqua. Ell Tous les arguments avaient été utilisés. Je repensai à Michel, il était mon seul recours. Je revins lentement dans la maison en me demandant comment m’habiller pour ne pas donner à Michel des envies de me sauter dessus tout en n’arrivant pas vêtue comme une souillon. J’optais finalement pour un jeans et un chemisier aux teintes opaques qui à défaut de transparaître mon soutien-gorge laissait deviner ma poitrine. Je regardais l’heure, avec Nadia, nous avions convenu d’un rendez-vous si je ne voulais pas rester seule en soirée avec Michel. J’espérais qu’elle tiendrait parole. Après un soupir, je me traînais vers ma vieille fourgonnette tout en étant accompagné par Caramel qui ne comprit pas que je l'abandonne là. Je pris tout mon temps pour parvenir chez Michel, il habitait une belle maison située un peu en retrait de la ville. Le portail blanc était ouvert en grand et une grande allée gravillonnée me mena juste devant la bâtisse.
Comment avais-je pu en arriver là ? Si je ne me rendais pas compte, je n'avais plus le choix. Pénétrer dans la tanière du loup me coûtait beaucoup. Il le savait. J'étais anéantie par la perte de ma maison et de mes animaux. Même ma sœur ne pouvait pas me dépanner. La transpiration perlait sur mon front. Michel me tourna le dos, écouta une chanson sortant de sa radio, son verre de whisky posé sur un tapis de poussière. Je me rendis compte que j'étais l'objet de ses observations depuis des mois. Cet homme, c’était un corbeau qui me guettait comme une future proie à dépecer. Il attendait ma chute et ne me voyait sûrement que comme un pauvre têtard. Il se croyait fort. Il convoitait ma ferme et mon terrain depuis des mois pour assouvir des ambitions personnelles. Il ne se cachait même pas. Le tribunal statuerait sur l’avenir de ma maison dans quelques heures. Si je ne connaissais pas l'issue de cette histoire, je devais avant tout sauver ma peau. Son chien me reconnut et vint vers moi. Je n'avais pas bougé ni bronché. Michel se leva, j'étais dégoûtée de le voir si heureux de mon infortune. Je ne lui mangerai pas dans sa main et je n’accepterai pas sa proposition de rachat de ma demeure pour une bouchée de pain. En mon for intérieur, je me préparais au pire.
Combien de temps tiendrai-je avant lui céder ma raison de vivre ? Je devais trouver une alternative à tout prix.
Il engloutit devant moi son sandwich. Mon ventre gargouilla, il me nargua avec son bout de pain rempli de charcuterie. S’il croyait m'affaiblir, il se trompait. Je ne me rabaisserai pas. Je préférai caresser Titus, mes doigts se promenèrent dans ses poils. Je me sentis en paix. Mais son attention se fixa sur son maître, et il espéra gagner un petit morceau. Michel lui lança une miette pour l'éloigner de moi.
—Ce n'est pas la peine que tu fasses des plans sur la comète ! Ton affaire prend l'eau, tu n'as aucune chance cette fois-ci. Tu n'as pas d'avenir. Ces mots me blessaient et en même temps me saignaient à l'intérieur. Je ne voulais pas le satisfaire. Je me redressai. Je me gardais bien de lui répondre et je m'approchai d'un dessin d'enfant accroché au mur.
—C'est ma fille qui l'a…
Une photo d'un quatuor m’intrigua. Michel posait en compagnie de trois autres personnes inconnues dont un militaire Africain et mon amie Nadia.
— Et côté finance Marlène, tu ne peux pas dire que tu t'en sortes bien.
— Tu te connais bien Nadia… Ta cervelle tourne à plein régime, je l'entends.
— Contrairement à toi.
— C'est bon Michel, je n'ai pas besoin de tes sarcasmes.
—Ton association de bestioles n’est pas assez rentable. Si tu n'avais pas sacrifié toutes tes économies, tu n'en serais pas là. Si tu te retrouves dans la rue, ce n'est qu’à cause de tes erreurs. Bientôt, elle n'existera plus. Tes rentrées d'argent sont trop faibles pour survivre et ce n'est pas avec une simple pension d'invalidité que tu vas réussir à la faire perdurer. Réveille-toi Marlène !
Il empestait l’alcool à plein nez. Lorsqu'il se rapprocha de moi, son pantalon me frôla. Il tenta de poser ses mains sur ma taille. Je le rejetai, il me répugnait avec son regard de prédateur prêt à se jeter sur moi. J'en eus la nausée.
—Tu m'avais parlé d'un voyage au Mexique, en as-tu des souvenirs ?
—Tout est dans mon grenier. Je ne t'ai pas fait venir ici pour échanger là-dessus. Tu ne veux pas aborder le point.
Je m'écartai de lui et me rapprochai d'un dessin d'enfant mis sous-verre. Je désirais bifurquer sur un nouveau sujet, mais il s'acharna à revenir sur mon problème. Je finis par m'agacer, j’utilisai le même ton que lui, mais calme et sans agressivité contrairement à lui.
—Tu ne sollicites pas non plus parler de ce dessin, je fais comme toi Michel. Et cette photo avec ces trois personnages dont un militaire Africain à côté de cet avion, tu ne veux pas non plus en bavarder ? C'est étrange ton silence soudain, tu n'aimes pas te dévoiler. Je te considérais comme un membre de ma famille. Tu n'as rien fait pour ma maison, tu ne m'as pas soutenue. Je n'ai reçu aucune subvention pour mon association. Michel ne répondit pas et sembla satisfait de ma réaction. Je la regrettais et le sentais impénétrable au moindre sentiment à mon égard ni à une quelconque compassion. Je me déplaçai vers la fenêtre et scrutai le ciel.
—Je vais continuer de me battre, ne compte pas que ferais l’amour avec toi. Je ne suis pas folle à ce point, Tu ne m’auras pas ! Même ruinée et sans domicile, je ne serais jamais à toi.
—Marlène, tu oublies une chose, si tu es venue vers moi, en ma compagnie. Personne ne saura que tu as disparu de la circulation. Tu ne vas pas partir d’ici. Tu es ma prisonnière.
Ces mots m'effrayèrent, je me sentais perdue. Je pâlis et une sueur froide me parcourut le corps. La sonnerie de mon téléphone me fit sursauter, je le saisis aussitôt. Michel me l'arracha des mains et l'écrasa d’un coup de talons.
—Cela fait des mois que tu es dans cette position, cela devient lassant, cette situation se reproduira. Tu as beau aimer les animaux, cela ne suffira pas ! Regarde-toi, ma pauvre, tu as changé, tu es venue te prosterner à mes pieds pour obtenir une malheureuse subvention !
Sa réflexion me contraria et son insistance à m’abaisser enfonça davantage le clou dans ma chair.
C'était difficile de résister. Une larme roula sur mon visage. Je me mis à rêver d'océan, de plage sous un parasol pour penser à autre chose, mais face à son attaque agressive, je réagis différemment de ce à quoi il s’attendait.
—Tu as toujours ton anneau en or à ton doigt, tu tiens encore à ta femme. Tu n’es qu’un pauvre type, une pacotille, tu ne vaux rien !
Michel me gifla violemment et je frottai ma joue endolorie.
—Maintenant que tu es chez moi, je ne te laisserai pas repartir. Inutile de chercher à t'échapper, les portes sont verrouillées ainsi que les fenêtres. Autant passer une bonne soirée, tu ne crois pas ? J'ai des ailes de poulet et une bouteille de cidre pour les accompagner.
Michel me frôla et poussa mon smartphone aussi fracassé en mille morceaux que je l'étais moi-même. Il s'absenta, je me penchai sur les débris et j’inspectai l'écran pour découvrir qui avait cherché à m’appeler. J’y déchiffrai le nom de mon avocate. Je n'avais plus aucun le moyen d'entendre son message, alors que mon sort était entre ses mains. J’étais devenue le gibier d'un prédateur qui croyait me croquer et arracher mes entrailles par son discours.
***
Je regardais par la fenêtre, la brume étendait son rideau grisâtre et son humidité poissante. Je tentai de l'ouvrir, impossible ! Même en forçant, elle me résista. Le museau de Titus me chatouilla en me léchant ma main, c’était bien la seule marque d’affection que je ressentais dans ces lieux. Des statues de Pygmées nus trônaient au-dessus du buffet juste à côté de la photo de son fils Bastien qui à l'époque avait deux ans et demi et se trouvait dans les bras de son ex-femme Nadine. Je connaissais son passé et l'épreuve endurée pour le couple. Il revint en portant un plateau de canapés de rillettes et d’accra qu’il posa sur la table. Il m’observa contempler cette photo.
—Je me souviens que ton fils avait subi une opération à cœur ouvert, tu as failli le perdre. L'attente à l’hôpital dans le service de réanimation, a dû être un moment difficile à vivre.
—Pourquoi me parles-tu de cela ?
Furibond, il me fusilla du regard.
—Je vois bien que tu veux m’attendrir et t’échapper. J'ai refermé mes blessures, mes cicatrices…
Je le contournai et par mégarde une coupe en porcelaine tomba sur le sol et se cassa.
—Ramasse-la !
Il m'obligea à me plier en deux. Alors que je récoltais les morceaux, il s'apprêta à m'aplatir mes doigts.
—Oui, oui !
—C'est bien, ensuite, nous boirons un coup. Va dans la cuisine, la poubelle est sous l'évier, ne me fais pas attendre.
—Ton fils avait un hélicoptère… tentai-je de dire pour détourner la conversation. Je me relevai et emportai les fragments.
—Petite idiote, répare tes bêtises au lieu de me parler… Ton cas m'intéresse, on pourrait trouver un arrangement entre nous, de quoi te donner un revenu supplémentaire. Tes lèvres charnues me donnent envie de les dévorer. Tu sais que tu m'allumes !
—Avec toute ta décoration, on dirait un véritable musée !
—Si tu acceptais mon aide, tu pourrais garder la tête haute !
—Je ne compte pas transformer mon jardin en zoo.
Il se colla à moi et le malaise s'installa. Stressée, ma voix bredouilla :
— Tu me raconteras l'histoire de ton grand- père bagnard.
Je m'esquivai jusqu'à la cuisine, j'ouvris la porte où se trouvait la poubelle et jetai les éclats.
Je ne réfléchissais plus, j'agissais dans la précipitation, j'attrapai un couteau dans l'égouttoir et le dissimulai dans la poche de mon pantalon.
—Alors, tu reviens !!! J'ai oublié la cannette à côté du saladier d'airelles. J’aspirai un bon coup, je le rejoignis.
Je trémulai de tous mes membres, mon souffle s'accéléra. Je m'exécutai et apportai la bouteille avant de reparaître devant lui. Je la posai sur la table basse garnie d'un bouquet de glaïeuls dans un vase. Ses petites intentions n'opéraient pas sur moi. J’étais loin de mon apparence zen. Je m'efforçai de sourire, il m'invita à m'asseoir d'un signe de la main et me servit des acras. Un goût épicé me chauffa ma gorge intensément. Il me versa un verre de cidre que je bus aussitôt pour apaiser ma brûlure.
—Je n'ai pas grand-chose à te dévoiler sur mon grand-père, il est mort d'un œdème aux poumons, à Cayenne… Je pourrais t’aider, ce serait tellement simple et facile.
Il effleura mes cheveux, j'eus un moment de recul.
—Je me souviens de toi à l'école, tu étais si prude et même éprise de moi, tu possédais un talent dans le dessin. Tu étais quelqu'un à l'époque. Regarde ce que tu es devenue. Tu vas bientôt mendier dans la rue à cause de tes animaux ! Ton accoutrement s'en ressent, tu te négliges. Tu n'as plus cette apparence élégante en toi ! Sois lucide voyons, tu vas finir dans la misère !
Ses paroles m’avilissaient et m'anéantissaient, j'étais terriblement mal.
— En plus, ton terrain est en pente et a besoin d'être nivelé pour ne rien arranger.
Il me remplit de nouveau mon verre et me le tendit, j’en bus la moitié. Je me détachai de la conversation, je devenais faible, je perdais mes forces de guerrière, je devais me reprendre. Le dragon sommeillait en moi, ses humiliations m'irritaient.
—J'ai entendu des médisances à ton sujet Michel. Tu vises ma maison et mon terrain, c'est pour cette raison que tu me racontes n’importe quoi sur moi. Tu as un projet pour les seniors !
—Tu n’as que ça à faire dans ta misérable vie, écouter des rumeurs ?
—Cela t'arrange bien de me voir engluée dans mes soucis ! Je suis comme une navigatrice dans son bateau, même si je tangue des deux côtés, je vais réussir à me dépêtrer de cette mouise.
—Arrête ton cinéma Marlène ! Tu n'as pas d’autres options que de vendre. Nous avons divorcé tous les deux…
Il récupéra mon verre dans la main. Il s'approcha de moi et embrassa mon cou. Je paniquai et des odeurs de roussi remplirent mes narines.
—Un plat brûle dans le four !
Freiné dans son élan amoureux, Michel poussa un juron. Il se rua dans la cuisine. Je finis ma boisson d'un trait. Un peu vaseuse, je m'affaissai sur la chaise, la tête me tourna. Je ne comprenais pas mon état soudain. Une femme débarqua à l’improviste, je reconnus Nadia. Je luttais contre le sommeil, une conversation s'établit entre Michel et elle, je n'entendais que par bribes. Mes yeux s'ouvraient et se refermaient. Les larmes me montèrent aux yeux, les propos de Michel m'atteignaient profondément. Je ne tenais plus, je tentai de me relever, en vain et je m'écroulai sur la moquette.
Annotations
Versions