Chapitre 5 La recherche d'un papier
J’étais tellement énervée que je faillis en perdre mon souffle. Je bus un verre d'eau. J’espérai prouver mon innocence, je ne pouvais pas être un monstre. À l'heure actuelle, mon esprit mélangeait des images. J'ignorai pourquoi.
Je ne pouvais pas rôder du côté de chez Michel. La gendarmerie n’allait pas tarder à retrouver la scène de crime pour Nadia. Mais, je ne pouvais pas attendre, j’étais une femme d’action. Les scellés seraient posés et plus personne n'y accédera. Je ruserai pour apprendre les réels projets de la mairie. Seulement, j'étais perméable à toute émotion.
En plus de l'accumulation de tracas à cause de cette résidence ; je devais en outre gérer cette nouvelle affaire. N'avais-je pas assez à gérer ? Je demandai à Anita de m'accompagner à l'hôtel de ville bien qu’elle fut atterrée et excédée par tout ce qu'elle subissait malgré elle. Ma poitrine se serra. Une pression thoracique me bloqua la respiration. Je n'élaborai pas de plan particulier, mais il fallait soutirer des informations.
– Je ne peux pas y aller seule, Anita, je n’y arriverais pas. Je me défile, je suis tellement empotée par moments, que je risque de me trahir. Je suis inepte.
– Maman, quand vas-tu arrêter d’être égoïste avec les autres ?
Blessée, cette remarque me parut insensée et injuste. Je me battais pour elle aussi, les paroles me poignardèrent.
– Je remue ciel et terre pour te préserver, c’est odieux de me blâmer ainsi. Je n’ai pas terminé mon projet, j’ai l’ambition de pouvoir créer une ferme pédagogique, tu le sais ! L’essentiel est de rester unie. Je n’ai pas l’intention de vivre comme un ermite dans un caniveau et de dégager une odeur pestilentielle.
Gênée, Anita se rattrapa quand nous entrâmes dans ma voiture.
– Rien qu’à entendre tes confidences devant Monique, je me sens complice. Tu n’as pas eu un itinéraire facile avec ton divorce, mais papa avait essayé de te prévenir qu’au niveau argent, ce projet de ferme était un désastre. Tu n’as rien voulu comprendre. Tu t’es buté et tu as été droit dans le mur. Tu sais très bien qu’il faut une somme considérable pour mener à bien ton action. Je ne disserterai pas davantage, je perdrai mon temps. Je suis lasse de tout ça, tu cumules trop, ne m'inflige pas…
Stupéfaite, je ne trouvai rien à lui répondre. Elle me touchait par ses mots sincères, je ne possédais pas un coffre dans une banque, je ne roulais pas sur l’or et je n’étais pas une sainte. J’avais commis des erreurs de jugement et elle tapait là où ça faisait mal. J’émis un rire d’énervement et je frappai sur mon volant. Mes larmes se remirent à couler.
Tendrement, Anita posa sa tête sur mon épaule :
– Nous devrions rentrer maman et nous détendre devant un film au lieu de jouer aux espionnes.
Un moment, prête à capituler, je vis une voiture de gendarmerie partir du parking situé derrière les immeubles. La boule dans la gorge, je regardai ma fille avec stupeur, nous pensions peut-être la même chose.
– J’ai une idée, elle va te paraître loufoque. On va aller à l’hôtel de ville et peut-être qu’en discutant avec le personnel, pourra-ton savoir s’il existe un ou des documents stipulant que notre terrain pourrait servir pour bâtir un foyer pour personnes âgées. Qu’un achat de la ferme était en cours ? Michel était un caméléon, je ne peux pas me fier à ce qu’il m’a dit.
Les yeux d’Anita s’agrandirent et je devinai qu’elle me désapprouvait.
– Maman, à quoi bon ? Comment comptes-tu y remédier ? Tu veux interroger la secrétaire ? Elle ne te dévoilera rien. Ce sont des choses qui ne se divulguent pas.
Elle me contredira toujours.
– J’ai une autre idée, une qui est encore mieux.
– Quoi ?
– Effectuer des recherches pendant l’heure de fermeture et de pause des employés.
Anita se tapa sur le front avec sa main.
– Je n’adhère pas du tout.
– Je sais, si c’est archivé ici, cela me donne un motif pour avoir tué Michel et Nadia.
Notre désaccord me ralentit et m’impatienta. Me justifier aux yeux de ma fille me désespérait. Mon exaspération se lut dans mon regard. Anita n'insista pas. J’entrais dans le bâtiment et vis que les élus étaient toujours à l’intérieur. Je ressortis et revins vers Anita désappointée. J’étais sur les rotules après ma nuit blanche en plus d’être fataliste depuis longtemps. Je connaissais cet endroit. L’hôtel de ville était une ancienne maison bourgeoise autrefois habitée. Étant plus jeune, j’y allais pour jouer. Je me camouflais souvent dans le placard à balais avec les filles des propriétaires. Une bonne cachette. J’y serais un peu à l’étroit au regard de ma taille actuelle d’un mètre soixante, mais en me baissant, cela passerait. Le lieu jouxtait les toilettes. Il me fallait agir avec beaucoup de doigté. Je revins dans la maison. La secrétaire était absente de son bureau et conversait avec une personne dont je ne reconnaissais pas la voix, trop loin pour connaître la teneur de leur échange. Je ne m’attardai pas sur ce genre de détail, Je me glissai entre les balais, seau, serpillières, chiffons et produits entretiens. J’avais réussi la première étape, personne ne vit mon entrée. Une fois dans le noir, je pris mon téléphone portable et le mis en mode silencieux. Il était midi moins dix, la fermeture s’annonçait, j’envoyai un texto à Anita et me laissais bercer par mes souvenirs d’enfant que je chérissais tant. Lorsque nous courions dans les couloirs et les escaliers au risque de tomber. La pauvre madame Chevéché avec moi et ses trois filles, nous n’arrêtions pas d’inventer des bêtises. Je n’étais pas forcément à l’aise dans ce cagibi, je ne distinguais pas tout, mais l’heure du départ approchait. Mon cœur palpitait, je ne devais pas bouger, éternuer, renifler, tousser ou respirer trop fort. Je crus tomber dans les vapes.
Voilà enfin le moment venu de sortir de ma cachette. J’étais ankylosée. Je disposais d’une heure et demie, peut-être moins, il fallait prévoir que des personnes arriveraient en avance. Par où débuter ?
D’abord, je passai en revue rapidement et en survolant, les registres sur les étagères de la secrétaire avec les différentes catégories. Un dossier de demande de carte d’identité, de permis de construire, recensement, taxe de séjour, urbanisme. Je n’étais pas au bon endroit.
Je regrettai presque d’être là, j’avais envie de détaler. La faim se manifesta dans mon ventre par un gargouillement.
Peut-être aurai-je plus de chance dans le bureau du Maire. J’ouvris ses tiroirs sans forcer et soulevai des papiers. Je lisais les en-têtes et feuilletai des rapports ou des comptes rendus. Je pris soin de tout remettre exactement comme je l’avais trouvé. J’avais sur place des gants en latex et ainsi ne laisserait aucune trace de mon passage. Il me restait qu’une possibilité ; qu’un document soit rangé dans un fichier d’ordinateur. Nerveuse et stressée, je regardais ma montre sans arrêt. Ma recherche fastidieuse et ardue déteignait sur mon moral. L’écran était rempli d’icônes portant divers noms de dossiers : factures, devis, permis de construire, fiche de paie, lettres, photos, cadastre. L'heure s'écoulait et je balayais l’écran des yeux de droite à gauche pour voir si un mot tilterait. Je me résignai à éteindre d’urgence l’ordinateur sans avoir pu copier la moindre chose sur une clé USB. L’ouverture des bureaux dans les dix minutes me força à cesser précipitamment mes recherches. La malchance me poursuivait, je nageai toujours en plein brouillard. Cela se corsait, car rien n’indiquait que mon terrain intéressait la mairie et que celle-ci exercerait son droit de préemption pour la conception d’un accueil pour les personnes du troisième âge. Je pestai, je frémis dans l’obscurité, je rédigeai à nouveau un texto pour demander à Anita d’occuper la secrétaire. Anita, dépourvue d’idées, me tarabusta pour que je l’aide à mon tour. Elle s’affolait. Plus je réfléchissais, plus mon cerveau refusait de me suggérer une issue de sortie. J’angoissais à être prise pour une voleuse. J’en serais morte de honte.
Claquement de porte. Bruits de talons aiguilles. De Toilettes. Bruits d’ordinateurs et d’imprimantes. Je contactai ma fille pour lui donner le feu vert.
– Anita !!!! Ramène-toi, je ne vais pas croupir longtemps. Ferme la porte de son bureau !!! Occupe-la.
Les minutes passèrent.
Pas d’Anita. Nouveau texto
– Je ne vais pas moisir ici !!!
– Je ne sens pas de taille, je t’envoie Papa, avec sa loquacité. Il saura quoi dire.
– Ton père ? Attends, mon cas ne l’intéresse plus, je te rappelle qu’il a demandé le divorce !
– C’est un animaliste dans l’âme !
– Tu rigoles ma fille ! Disparaître et me laisser avec mes soucis d’argent, bonjour le soutien. Plus animaliste que lui, tu meurs !
– Désolée, maman, mais ce n’est pas uniquement pour ça qu’il est parti. Il arrive, tiens-toi prêt. Quand il toussera, tu pourras sortir !
Je n’avais pas le choix.
– D’accord !
Une voix, celle de Bruno. Je n’ai pas oublié.
– Bonjour Maryline, cela fait si longtemps, tu es seule maintenant, peut-être ?
–Bonjour Bruno.
Maryline se leva et l’embrassa. Bruno ferma la porte machinalement.
– Oui, pour l’instant. Pourquoi me poses-tu cette question ?
– Je ne voudrais pas te gêner dans ton travail.
– Aujourd’hui, ça va être calme.
Bruno se racla la gorge.
– Que se passe-t-il ?
– Tu n’as pas entendu à la radio pour les deux membres du Conseil municipal ? Deux morts !
Tourmenté, Bruno bafouille :
– Ah bon ? Non, pas particulièrement.
Maryline ne développa pas sur eux pour s'abstenir de toute opinion.
– Et Marlène ?
– Je n’ai plus de contact avec elle directement, mais son association est une plaie. C’est toujours une magistrale perte financière. Je dis ça entre nous, ne le répète à personne. Cela n’a pas de sens, elle ne s’enrichit pas, elle s’appauvrit. J’ai lu les articles sur elle, des individus sont assez bêtes pour l’encourager à tenir. C’est un investissement colossal ! C’est la star du net ! Elle veut aménager la ferme et le terrain attenant en ferme pédagogique ! Elle ferait mieux de vendre et de réorganiser sa vie !
– Si elle est heureuse comme ça ! Sinon, as-tu une demande particulière ? J’ai du travail et j’ai d’autres personnes qui attendent d’après ce que j’entends.
Maryline coinça Bruno. Ce n’était pas dans ses habitudes de ne pas savoir quoi dire. Toutefois, il répondit à Maryline sans faire de bourde.
– Bah, c’était juste une visite de courtoisie surtout.
– Bien, je ne te retiens pas alors.
– C’est dommage pour Marlène, elle aurait un enjeu inespéré en vendant tout, repartir à zéro.
– Sans doute, je ne voudrais pas manquer de politesse…
Bruno entrouvrit la porte et salua la secrétaire.
– Je comprends, on s’appelle un de ces jours pour dîner ensemble ?
Maryline sourit.
– Rien n’interdit de le faire.
Bruno lui fit un clin d’œil.
Anita et moi étions rentrées à la maison, je cuisinai. Les chiens aboyaient. Bruno entra comme une furie. Je connaissais cet air, j’allais avoir droit à des remontrances. Depuis plusieurs années, je l’évitais malgré mon divorce. Je déposais les filles au portail de chez lui et je repartais. Le voir me donna un coup de poignard dans le cœur, je ne nécessitais pas de cette décision de séparation et il me laissa tomber du jour au lendemain dans ma panade. Je lui en voulais toujours, mais je n’osai pas parler, foudroyée par ma douleur du passé. J’avais pourtant réussi à guérir de tout ça, mais l’empreinte restait et se réveilla soudain.
– Je suis venu à ta rescousse à la demande express d’Anita, j’ai compris l’urgence. Que cherchais-tu exactement ? Te rends-tu compte que Maryline aurait pu te prendre sur le fait ?
– Merci à toi.
– Quelle était ton idée ? Un papier particulier ? Aurais-tu quelque chose à te reprocher ? Une trace laissée par exemple et tu ne voudrais pas que la gendarmerie la découvre ? Serais-tu coupable …
Je lui coupai la parole.
– Mon cas t’intéresse maintenant ?
– Je ne serais pas intervenu si Anita ne m'avait pas contacté…
– Oui, bien sûr, tu as le bon rôle, tu débarques comme une fleur pour me dire hou hou, j’existe !
– Ne me critique pas Marlène, j’ai sacrifié mes économies pour ta foutue association. Nous étions tous les mois dans le rouge. J’ai vidé mes livrets pour toi, je me suis ruiné pour toi et ta ferme. J’ai essayé de dire de céder des animaux. Au lieu de ça, tu continuais tes sauvetages. Tu ne peux reprocher ta situation catastrophique qu’à toi-même. Nous n’avions même pas un endroit intime pour nous retrouver. Notre lit n’était plus une couchette pour chats et chiens. C’est vraiment insane de t’enraciner là-dedans. Tu préfères te réfugier avec cette mégère de Monique dont tu as toujours suivi les directives malgré sa voix de vendeuse de poissons. Tu coules Marlène et tu restes sur ton bateau. Quel est le prochain épisode qu’on verra sur internet avec toi ?
Ses mots durs me firent l’effet d’une piqûre dans la chair. Ils me glacèrent et me transpercèrent.
Nulle.
Voilà celle que j’étais.
Je vivais dans un mirage.
C’était brut de décoffrage.
Mon mal-être remonta en surface.
Pas la profondeur.
– Avant, j’avais de la compassion pour toi, c’est fini.
Ma chienne, cane corso, se frotta à lui.
J’en fut dégoûtée. Quelle bassesse !
Il ne m’apprenait rien.
– Comment peux-tu vivre dans une telle maison ?
Il repoussa Glamour. C’était le reflet de mon âme. J’ahanais, je manquais d’air. Je me mordis les lèvres. Une résistance à toute épreuve était ma philosophie. Anita me vit peinée et se réfugia dans mes bras.
— Sers-moi fort
— Comme ça ?
— Plus fort
— Et là ?
— Hm…
— Attends.
— Aïeuh !
— Et là ?
— Oui. C'est mieux.
Je me retrouvais dans le geste affectueux de ma fille dans mon rôle de mère. Je n’avais pas tout raté dans ma vie, c'était une consolation. Elle m’enveloppait dans sa tendresse et sa douceur. Elle me rassurait. Les propos de Bruno m’avaient profondément blessée. Bruno n'existait plus, nous étions dans un moment d’intimité qui nous appartenait. Il ne s'invitait pas, il s'apercevait du mal qu’il me provoquait. J'étais infâme, j’avais la gale, c'est ainsi qu'il me voyait à la manière d'une anguille qui se défilait. Je n'avais plus l’esprit à écouter ses sermons, ses reproches. Il nous toisait avec envie d’en rajouter une couche. Il ne fallait pas qu'il gâche cet instant, je ne voulais plus qu’il soufflât un mot de plus sur moi. J'avais déjà assez subi avec Michel, je doutais, mon estime prenait un coup. Le réconfort d'Anita prouvait que je valais quelque chose. Une bonne mère de famille, du moins, j'essayais. Bruno attendit la fin de nos étreintes. Elle me glissa à l’oreille :
— Maman, tu es la meilleure. Je voudrais tant te copier. Tu es un modèle, tu es courageuse. Si j’étais audacieuse, je suivrais tes pas.
Elle me portait aux nues, un bien fou. Cependant, j'étais responsable de mon destin. Si je n'avais pas connu de trêve, il était hors de question de baisser les bras. Ce n'était pas aisé de répondre à ma fille, je ne souhaitais pas de la voir dans la même situation. Elle devait au contraire se mettre à l'abri et préserver son argent. Bruno ricana :
—Anita, si tu veux emprunter les traces de ta mère, trouve-toi un mari avec des lingots d'or dans son coffre-fort ou un génie en finance. Ta mère va finir avec son petit réchaud à cuisiner pour ses amis les clochards. Je ne suis pas prophète, mais il n'est pas difficile à deviner la suite de sa vie dans les prochains mois. On pourrait écrire un roman sur cette histoire, je vois déjà le titre : comment rembourser une montagne de factures quand on n'a plus de pognon ? J'espère que tu es pieuse, il ne reste plus qu’à prier. Tes relations virtuelles vont se lasser de toi.
—Tais-toi et va-t'en. Ne me blâme pas. Tu as un jugement sévère à mon encontre.
—Tu entraînes tes filles dans ta chute et c'est intolérable ! Mais c'est peut-être un détail pour toi !
D’habitude, Anita était émerveillée devant son père, un vieux reste du complexe l'Œdipe, il venait de faire un couac. Anita s'assombrit. Voir son père m'enfoncer ses crocs de chien enragé alors que nous étions liées comme le lierre l'atteignit. Elle me défendit :
— Que proposes-tu de ton côté ? Je suis avec elle et je me tiens à ses côtés, même si je dois perdre de mes propres plumes. Laisserais-tu tes filles devenir mendiantes sans lever ton petit doigt, tu dois subvenir à nos besoins en tant que père ? Tu t'es écarté d'elle, j'ai un père lâche alors que tu joues à la Sainte Vierge ! Tout ce que tu dis à maman est une flèche envoyée en plein cœur.
Anita marqua un point. Hébété, Bruno descendit de son pied d'estale. Lui si fier et imbu de sa personne, il ne dit pas un mot. Sa moquerie cessa.
—C'est aussi une non-assistance à personne en danger. Maman m'a désigné au titre de vice-présidente.
Bruno se gratta la tête :
—Je n'ai pas de remède pour toi actuellement. Je vais voir cela.
— Bruno, serais-tu capable de faire preuve de gentillesse à mon égard ?
— Nous sommes divorcés certes, je vais essayer de trouver une solution, Marlène. Il faut du neuf dans la vie, tu demeures dans une eau stagnante, Marlène. Renouvelle-toi !
Je ne désirais pas perdre espoir malgré tous mes soucis. Cependant, c'était compliqué vu les circonstances.
— Je ne voudrais pas être un oiseau de mauvais augure, mais je ne crois pas qu'un moyen existe pour toi. Tu seras toujours en difficulté. Tu n'es pas reconnaissante envers les personnes qui t'aident.
— Tu te trompes Bruno !
— Je n'en reviens même pas d'être là.
— C'est pour ta fille surtout.
— J'ai tenté plus d'une occasion pour te sauver et à chaque fois, on a échoué.
Micki grimpa sur ma table, je le pris dans mes bras. Bruno croyait me voir ramper devant lui, il rêvait. Je l'entendis murmurer en partant.
— Se traîner avec toujours les mêmes soucis, pauvre Anita, elle mérite mieux, comme mère.
Il faut vraiment porter une armure après avoir supporté autant d'événements ces derniers jours. Je me devais me montrer forte, malgré la mort de Nadia et de Michel. Je pourrai utiliser des incantations pour sortir de ce maléfice. Ce n'était pas possible de cumuler autant de poisses dans ma vie. M'avait-on jeté un sort ? Je finissais par le croire. Personne ne comprenait pourquoi je me donnais autant à ma cause. Un moment d'une profonde solitude. J'avais beau avoir Sylvie, Marjorie et tout un comité de soutien sans oublier ma fille, mon destin ne dépendait que de moi. Devais-je compter sur Marjorie, Sylvie, Monique, Bruno et Anita ? Monique se mettait toujours en avant-poste, prête à écraser les autres pour se glorifier d'être à l'origine d'un succès.
Je ne désirais pas perdre espoir malgré tous mes soucis. Cependant, c'était difficile vu les circonstances. Heureusement que Sylvie et Marjorie formaient un collectif autour de moi par le biais de Facebook. Je ne recevais pas que de dons, mais aussi un soutien.
Victorieuse, Anita eut envie d'une danse après un round épuisant.
Si ma fille me succédait un jour, elle aurait autant de tonus que moi pour une noble cause et serait droite dans ses bottes. Je lui réservais un siège tout chaud. Elle n'était pas un mouton de Panurge. Je l'ensorcelais depuis toute petite, elle s'intéressait aux races de nos compagnons, elle connaissait tout sur le bout des doigts. Bruno allait se remettre, il ne pouvait pas utiliser sa fille contre moi. Une fois qu'il fut parti, je lui fis des louanges, c'était ma reconnaissance. Une lueur d'espoir. Elle me topa dans la main :
-- Nous sommes une bonne équipe, papa me gonflait.
-- Je sais que j'ai des torts, je crois dur comme fer dans une possibilité d'un succès dans les prochains mois. J'ai plus d'une corde à mon arc.
Je n'étais pas quelqu'un de veule ni insociable. Les réclamations extérieures me demandaient une structure administrative. Mon association était dépourvue de partenaires. Le trésorier qui n'était que mon mari démissionnait de son poste. Je me baptisais présidente, il me manquait au moins deux personnes pour me seconder. Tout était à reconstruire. Un besoin de me refaire une peau neuve, de remettre les compteurs à zéro pour repartir sur les bonnes bases et réévaluer mon budget. Jusqu'ici, elle était inexacte ou imprécise. L'effet d'un recyclage. Mais fallait-il encore que je réussisse à me redresser de mes ennuis financiers. Ce monde manquait d'humanité face à ma détresse. Je gardais mon optimisme, je souriais à la vie, c'était ma nature. Une résistance à toute épreuve, je concevais comme un défi, un problème à résoudre. Rien n'était insoluble. Je me demandais s'il existait sur notre planète, un sauveur, une personne qui serait assez sympa pour m'avancer à payer mes créanciers. Cela me prenait la tête et m'étranglait. Je m'astreignais dans mes dépenses. Je devais faire part de résilience face à ces images. Le corps de Nadia amoché par Michel. Michel gisant à côté d'elle. Mon esprit me troublait, était-ce Michel ou moi l'assassin ? Ma priorité était mon association, c'est tout ce qui comptait. Je me fixais un objectif : trouver le reste de l'argent. Je passais outre des cadavres, de l'enquête. J'étais vivante et ma vie continuait. Monique et Anita connaissaient la vérité. Elles tiendraient parole. Comment voyais-je mon futur ? Je ne projetais rien en particulier. J’avais peur de me tromper, mais cela ne pouvait pas être pire qu'aujourd'hui. J'étais déjà tombée au plus bas, je remonterai sûrement à la surface. L’indulgence est une sagesse. C'était en moi et j'attirais la sympathie. Cependant, il ne fallait pas en abuser non plus, je ne tolérais pas la méchanceté gratuite et l'agressivité sur les réseaux sociaux.
Parfois, je ressentais un sentiment de solitude face à tous mes problèmes. J'avais beau avoir des personnes derrière moi, cela ne changeait rien. Je confrontais seule le tribunal, l'huissier, les banquiers. De l'autre côté, j'avais sur le dos des partisans de l'écologie, ils observaient si je respectais l'environnement par mes photos sur ma page. Mes parents m'avaient éduqué pour la bienséance et la vaillance Je ne me résignais pas à la tâche. Bien au contraire, je ne refusais pas du travail et j’étais toujours active avec mes animaux. Je me motivais pour accomplir les besognes du matin. Je prenais conscience de la lourdeur de ma responsabilité. Je n'étais pas arrivée au bout des surprises. Le positif était me sentir entourée. Tout le monde avait envie de me voir m'en sortir. Un élan de solidarité se créa. Les idées fusaient, certaines étaient réalisables. Ma maison avait besoin d'être retapée, seulement les travaux étaient trop onéreux. Si je pouvais en construire une nouvelle, je le ferais. Ce n'était pas d'actualité. J'ai toujours été honnête, pourquoi racontait-on des ragots sur moi, sur ma ferme et mes animaux ? C'était injuste, méchant et souvent gratuit, je ne savais pas de qui cela venait. Je n’en tenais pas compte. Je me consacrais à ma mission qui me tenait depuis des années. Rien ni personne ne m'empêcherait de la continuer. Pour moi, rien n'était impossible, j'avais la conviction de me relever et d'acquitter cette dette. Cela prendrait du temps, mais j'y arriverai. Seul l'avenir dirait si j’avais réussi à repartir d'un bon pied. Je rebondissais en général. La confiance n'était-elle pas la clé de la gloire ? Je n'avais pas le temps aux rêveries. La dure réalité d'un besoin continuel de mon association. Il fallait être dynamique et toujours dans l'action aussi bien sur le terrain que sur internet. Anita était agile et débrouillarde.
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