Chapitre 1 La visite à la famille des victimes
Les badges des deux hommes écartaient la possibilité d'une bonne nouvelle. Nadia n'était pas rentrée la veille, ce n'était pas dans ses habitudes. Elle portait un chemisier de soie et maquillée avec son mascara. C'était à la fin de la matinée, le bol de Nadia était prêt avec son muesli et ses biscottes. Ils n'eurent pas besoin de prononcer un mot. Nicolas avait des cernes aux yeux, il eut un silence, il déduisit automatiquement pour sa compagne. Il ne contrôlait plus son émotion. Il masqua son visage avec ses mains, il larmoyait. Il n'aurait jamais pensé à un tel malheur si soudain. Lui qui espérait de la voir rentrer. C'était une femme si joyeuse, il se murait dans son chagrin. Ils étaient encore sur le seuil, Nicolas était bringuebalant. S'ils n'étaient pas là, il aurait voulu crier. Alors, c'était le désespoir, il n'était rien sans elle. Le jour précédent, ils se chamaillaient pour une broutille, une histoire de chaussette trouée qui n’était pas raccommodée. Toutes les autres étaient dans le panier à linge. Cela causa du retard pour tous les deux. Le capitaine Joël Bruni et le commandant Olivier Charreau secoururent et escortèrent jusqu’au fauteuil. Après les formules de coutumes et de politesse, il fallut procéder aux banalités d’usage de leur métier. Une tâche ingrate, cela devenait même dérangeant de pénétrer dans cette intimité. Mais c’était la profession qui l’exigeait. Olivier prit la parole.
— Je sais tout le bouleversement de la perte de votre femme, est-ce trop précoce pour vous pour vous interroger ?
Nicolas détourna des yeux.
— C’est votre travail.
— Pouvez-vous me raconter la journée de votre femme le jeudi 2 novembre ?
Le jeudi 2 novembre 2018
C’était le jour de repos pour Nadia, elle se réveilla et se leva à son heure habituelle. Le ciel était une purée de pois qui camouflait le panorama et obstruait un soleil blafard. Nicolas déballait ses tiroirs de sa commode pour une paire de chaussette propre. Nadia devait repriser un trou, il n’avait plus une à s’enfiler et de convenable. Elle avait promis, il s’irrita, cela décalait toutes ses tics et réglé comme une horloge. Il rejoignait son magasin pour neuf heures et prévoyait toujours une avance.
— Je n’ai plus rien à me mettre aux pieds !
— Ce n’est pas dramatique, ça ne va pas s’agrandir et personne ne verra ta chaussette !
— Oui, mais c’est gênant, ce n’est pas confortable.
— Hier soir, j’étais fatiguée. Je peux maintenant…
— Tu n’es pas sérieuse.
— Pendant que mon thé attiédit.
— J’ai un horaire à respecter.
Nadia s’échauffa.
— Tu es vraiment dingo. Tu es ton propre patron, tu as tes petites manies de vieux gars.
Mécontente, Nadia prit la chaussette et mena à bien son action. Elle ne demanda pas son avis. L’incident fut clos, Nicolas partit tête baissée, ridiculisé et blessé. Nadia prépara un cake. Elle nettoya la salle de bains, le carrelage, l’évier le lavabo et le bidet. Le midi, ils déjeunèrent ensemble une moussaka, un plat surgelé, réchauffé au four microonde.
— C’était un vrai couac de ma part.
Ses traits se contractaient, Nadia se plaisait dans un rôle d’une personne rancunière.
— Tu es un gamin au fond, tu t’emportes pour une babiole !
— Je suis désolé.
— Tu as raison de l’être.
— C’est bon Nadia.
Ensuite, taciturnes, Nicolas fixa son assiette et Nadia se restreignait de sourire. Avec son visage grave, Nicolas encourrait sa faute. Ils s’interdisaient de se regarder. Chacun dégustait son plat et fit semblant d’être seuls. Nadia découpa deux tranches de gâteau et chauffa le café.
— Tu as le conseil municipal demain.
— Je passerai à la mairie cet après-midi. Avec Maryline, elle me dira les points importants.
— C’est tout ?
— Je resterai sur place pour la préparation s’il le faut jusqu’à dix-huit heures.
— Tu seras là pour dix-neuf heures.
— Oui et tu rentres une demi-heure après.
Nicolas l’enlaça et l’embrassa fougueusement.
— Ne restons pas fâchés tous les deux.
— Je ne le suis pas.
— Coquine !
Nadia sourit. Nadia était douée pour ce jeu-là il aurait pu avoir des enfants Nicolas aurait été un bon papa. Loin d'être macho, c'était un homme doux.
— J'ai mal aux gencives et je dois avoir une carie, je devrais me décider à voir le dentiste.
— Prends rendez-vous avant de passer à la mairie.
Nadia était pour lui, sa déesse, sa sirène et il lui murmurait des mots à son oreille. Elle se vantait le meilleur époux. Mais depuis quelque temps, elle recevait des messages sous le nom " anonymat " avec l'initiale R. C’était un code entre eux. Ce n'était pas alarmiste ni une traîtrise de sa part. Ses yeux brillaient et étincelaient comme des étoiles. Elle vivait dans une divagation et son esprit voguait. Nicolas n'était pas dupe. Il se demandait même si ce n'était pas son jour à "R". Il aurait bien engagé un détective, pour lui, l'essentiel était sa joie de vivre. Lorsqu'il la quitta, allait-elle s'abandonner dans les bras d'un autre ? Elle lava et rinça sa vaisselle. Nadia fit sa sieste pendant une demi-heure. Un SMS de R qui l’affriolait. Il devait être en pause. Il s’envoyait quelques textos et c’était l’extase. Heureux de communiquer entre eux, le temps et le passé ne prenaient pas de rides. Deux anciens adolescents qui s’aimaient hier et s’enfiévraient sur leurs téléphones. Ils se promettaient de se revoir bientôt autour d’une table. Puis soudain la sonnette résonna. Elle ouvrit la porte, c’était lui, ce sacré R. Nadia fut sans voix. Son cœur battait la chamade si fort, il prenait toute sa poitrine. R lui-même dans un état second, paraissait émerveiller souriant et épanoui. Elle avait le souffle coupé. Des papillons dans le ventre, les mots étaient dérisoires, lorsque l’appel d’un désir charnel affriolait. Elle avait le trac. C’était flagrant l’amour entre eux. Il tira sur les rideaux pour une lumière tamisée. Il lui prit sa main, elle le suivit à l’aveuglette. Il embrassa sur la nuque de Nadia, sa main au niveau du cou, elle posa sa main sur la sienne. Puis, leurs bouches n’étaient pas loin l’une de l’autre. Elle ferma les yeux. Il enlaça de ses bras. Plus de retenue ni de résistance, ils sautèrent le pas.
R se courba.
— Viens, approche.
Leurs mouvements de langues les exaltaient. Ils ne se décollèrent plus jusqu’à la chaise.
—Comment es-tu accoutré ? Retire-moi ça !
R descendit sa fermeture éclair de sa tenue de travail, dégagea ses jambes. Il déboutonna sa chemise.
—Punaise, j’espère que Nicolas ne va pas…
—Détends-toi mon amour. Je me languis de toi.
—Je n’en reviens pas de ce que je fais.
R s’assit sur la chaise et la déshabilla du haut et du bas. Il jeta les vêtements, Ella garda encore sa culotte noire en dentelle. Debout, elle replia une de ses jambes sur le genou de R et s’accola à lui. Il parcourut tous les moindres recoins, les contours de sa peau par des baisers et des caresses sensuelles avec ses mains masculines. Nadia fermait les yeux, elle sourit par chaque instant de plaisir partagé. Leurs corps bouillonnaient de chaleur et ils augmentaient leurs libidos. R écrasa sur les lèvres sur celle de Nadia et d’une main lui glissa sa culotte. Nadia enleva sa jambe et R se releva pour se dénuder. Ils allèrent jusqu’au canapé, Nadia se coucha et R se mit au-dessus d’elle à califourchon. Leurs respirations se répandaient dans toute la salle de séjour. Le feu de la passion se consumait. Nadia se redressa encore toute chose.
— Comment vais-je remonter à la surface avec mon compagnon après cet ébat chaleureux ?
— Chérie, l’amour renaît de ses cendres. As-tu aimé ?
— C’était exquis, j’espère renouveler cette expérience.
— Ce sera plus que ça.
— Comment cela ?
— Une vie à deux.
Nadia fut aux anges, une allégresse qui transmettait dans tout son corps mais de courte durée. Elle vivait avec Nicolas, cet instant volé n’était peut-être qu’épisodique, sans grande valeur ou une véritable importance. Un moment hors du temps qui correspondait à spontanéité de deux êtres séparés par les aléas de l’existence. Des vieux sentiments de leurs jeunesses, dans leurs veines, ils n’avaient pas quitté leurs cœurs, ils dérivaient vers leurs rêves.
— Cela porte malheur si on s’avance trop.
Nadia rattrapa ses habits pour se rhabiller.
— Pourquoi Nadia ?
— J’aime Nicolas. Laissons mûrir notre relation sans précipitation. Mais je ressens un sentiment très fort pour toi depuis toujours.
— Alors rien et ni personne ne nous bouchera le chemin. Pas comme avant.
De nouveau, il l’embrassa sans opposition de Nadia. Ils se pelotèrent sur le dos. Rien ne leur interdisait d’être ensemble pour R, renverser la malchance du passé qui chambardait les amoureux.
— Je t’aime Nadia.
Nadia se dégagea de ses bras.
— Moi aussi, mais tu vas vite en besogne pour être sous le même toit.
— Nous avons été privé l’un de l’autre depuis trente-cinq ans.
Nadia ne répondit pas, elle ne gâcherait pas cette fusion chimique ni d’un rêve où tout était possible. Elle flottait, cet imprévu, elle avait peur d’un mirage saugrenu et souffrir. Si elle se rattachait à cette idée avec R d’une nouvelle chance, elle renoncerait à la stabilité de Nicolas. Avec R, ce serait l’inconnu et le danger de dériver vers une descente et le désordre. Qui était-il aujourd’hui ?
— On ne se perd plus Nadia.
— Non, jamais.
Un dernier baiser avant de la libérer. R ne s’aperçut pas d’un paquet de mouchoir tombé de sa poche de la marque « Lotus » pas très loin de l’entrée. L’odeur de tabac, de transpiration se confondait avec de l’huile de moteur. Chacun reprit son véhicule et Nadia ne se concentrait pas sur sa conduite jusqu’à son déplacement à la mairie. Il était tellement dans sa tête, elle ne redescendait pas de son nuage. Comme à son habitude, elle fit le tour des bureaux avec sa bonne humeur et davantage, cela se remarqua. Elle chantonnait même un refrain d’une chanson :
— Je t'aime, je t'aime
Comme un fou, comme un soldat
Comme une star de cinéma
Je t'aime, je t'aime
Comme un loup, comme un roi
Comme un homme que je ne suis pas
Tu vois, je t'aime comme ça
. Il était presque dix-sept heures.
***
Nicolas soupira.
. — Ensuite, c’est le blanc, elle m’envoya un SMS pour me dire : je vais chez Michel bisous mon amour. Il était dix-neuf heures. La mairie ferme à 18 heures normalement. Je ne suis pas au courant de la suite, mais le résultat, si. Un jour, j’ai lu un texto de R. Vu les senteurs dans la maison, c’est une personne qui travaille dans un garage peut-être.
Joël s’adressa à Nicolas à son tour.
— Votre femme avait un amant ?
— Il est venu chez moi pendant mon travail à brocante.
— Plusieurs fois ?
Nicolas était dépité, dégoûté. Il avait mal par la trahison de Nadia.
— Non, le jour de la mort de Nadia, mais cela devait être récent entre eux.
— Avait-elle des ennemies ?
— Pas à ma connaissance.
— Que faisiez-vous entre 19 heures jusqu’à 5 heures du matin ?
— J’étais chez moi à 19 heures 30 et j’ai attendu Nadia toute la soirée. J’ai dû essayer de l’appeler vers minuit si ma mémoire est bonne. Je suis partie ma coucher après.
— Bien, je vous remercie, toutes nos condoléances pour votre femme, nous vous recontacterons.
***
Nadine vit Joël se présenter à sa porte pour la mort de Michel Dumoulin. Son teint rouge et bouffi, des cernes sous les yeux et des crevasses sur le visage desséché, elle venait de se lever et encore en pyjama.
— Et alors ? Je m'en fous de ce rat d'égout.
— J'ai tout de même des questions à son sujet, sur sa personnalité, son vécu, vous avez partagé sa vie avec lui.
Nadine s'esclaffa.
— Asseyez, je vais vous raconter mon histoire.
***
Nadine logeait dans un appartement de trois pièces au deuxième étage et Michel au-rez chaussée en plein bourg. Dès qu'elle l'entendait la porte claquer, elle le regardait de sa fenêtre. Elle passait son temps ainsi lorsqu'elle était chez elle. Si elle avait besoin de sortir, elle guettait toujours au moins bruit si la voie était libre. Lorsqu'il aménagea dans son studio, ils avaient conversé quelques minutes. Pendant des années sans s'allier, jusqu'au jour où Nadia alla à l'étang près de chez elle. Elle s'aménageait une sortie dominicale. Son occupation journalière était ses cours à la faculté. Elle se cambrait à une table de pique-nique avec son panier en osier. Un bandeau blanc dans les cheveux blonds retombaient sur ses épaules. Jambes ployées et pieds nus, sa robe cramoisie en crépon retroussée, dans un coin reculé à l'abri des regards. Elle avait accédé par un pont en bois, c'était son endroit de prédilection. Mais un jeune homme marchait en jouant à la guitare, acheminait en sa direction. C'était son voisin. Aguichant avec sa mèche rebelle, un polo couleur fauve et son air minois. Elle repositionna ses jambes plus droites et ajusta sa robe. Son sourire enjôleur la charma ce jour-là. Elle n'avait jamais remarqué jusqu'ici ce qu'il dégageait comme atout. Il s'arrêta. Un poulet cuit et une bouteille dépassait de son couffin et il enclencha la conversation.
— Vous ne faites pas honneur au poulet.
Nadine eut le sourire.
— Il attend son heure. Si vous voulez déguster un bout avec moi, cela permettra lier connaissance.
— Cette invitation champêtre est forte agréable, j'accepte volonté, avec un verre d'anisette.
Elle en consommait, c'était son pécher mignon, son père l'initiait depuis son plus jeune âge.
C'est ainsi de fil en aiguille, loquace, il dévoila le passé de son père militaire souffrant d’Alzheimer. Il racontait qu'il avait assiégé avec sa troupe et démilitarisé dans une partie du pays. La ville fut détruite. Il était même parachutiste. Il mélangeait tout sans aucune cohérence de son père. Lors de sa retraite, il était un gratte-papier comme il disait si bien en travaillant dans l'administration et s'intéressa à la politique. Il était pour la parité dans l'égalité des salaires.
Ils engloutissaient le poulet, les mains devinrent gélatineuses. Ils essuyèrent avec les feuilles du rouleau de sopalin. Il ne s'étala pas sur lui et la laissa à se confier à lui. Elle ne pérora pas également sans rentrer dans les détails sur sa vie. C'était plus sécurisant au début. Une fois rassasier, il reprit sa guitare. Lectrice de sa revue trimestrielle, elle lit avec sa musique qui l'enjôlait. A la fin de son concert privé, elle le félicita tout en l'admirant.
Ce fut l'amorce de leur histoire idyllique.
La vie à deux fut autre chose.
***
Michel postillonna et lâcha sa cuillère.
— Je n'ai vraiment pas de bol d'avoir une piètre cuisinière ! Ta soupe, c'est de la pisse de chat !
Nadine n'avait pas mis assez de légumes et peu consistante. Elle n'avait pas encore le talent culinaire pour satisfaire le ventre de son mari. Habituée à des repas rapides sans grande saveur, elle débutait sa vie de couple. Aimant plaire à Michel sur tous les plans, elle s'excusa avec la tête baissée, elle regardait son assiette.
— J'espère que la suite sera meilleure !
Nadine gardait en silence les répréhensions plus blessantes chaque jour.
— C'est vraiment une tromperie de t'avoir épousé !
Elle qui l'avait divinisé d'avoir en lui une perle. C'était défavorisant les petites piques qui se rajoutaient. Un paroxysme naissait, si seulement elle pouvait l'envoyer sur une galaxie, se disait-elle par moments. Les répétitions d'attaques l'esquintaient toujours un peu plus. Il l'épouillait et dévalorisait de qualificatifs les plus ignobles. L'omission la détruisait. Elle ne l'aimait plus. Elle se détachait de lui.
Lorsque Michel avait des réunions tardives, lorsque l'aîné de ses enfants fut assez grand pour surveiller les trois frères, Nadine profita sortir le soir. Elle buvait avec des hommes. Elle retrouvait des semblables, des paumés, des chiens battus, des malheureux. Ils croyaient noyer leurs soucis dans l'alcool pour disparaître dans la nuit, mais ils revenaient tout le temps. C'étaient des hommes en manque de reconnaissance, de chaleur féminine, Nadine s'incrustait dans ce cercle masculin. Ils déballaient leurs passés sur un ton léger, pathétique à tirer la larme à l'œil, Nadine s'imprégnait trop de leurs émotions. Elles s'infiltraient à travers elle. Inattentive à son propre vécu, ils la distrayaient en s'enivrant.
Mais un jour, accoudé au comptoir, Nadine rêvassait, elle clignait des yeux par la fatigue et la boisson bue, l'effet la rendait nostalgique ou euphorique. Sa robe rouge décolleté, son maquillage ne masquait pas tout, ses cheveux en chignon devant son verre plein. Devenue une habituée, les mots de Michel provoquaient une telle hostilité invivable. Il la maltraitait verbalement.
— Pourquoi était-il ainsi ? Toutes ses insultes et son arrogance... aurai-je fait un imper ?
Il ne restait plus d'humain en elle. Un homme l'avoisinait, il ne l'abordait jamais jusqu'ici, mais il la scrutait inlassablement. Pas téméraire, il attendit un signe d'elle. Ramollie, ses yeux vitreux injectés de sang, les effluves s'imbibaient sur elle. Elle renversera le contenant de son verre en le saisissant. Elle se leva, elle susurra :
— Je n'ai pas envie rentré chez moi, je veux juste dormir dans ma voiture...
Nadine marcha de travers, avec un sourire niais, elle se rattrapa à une table avec ses mains.
— Je suis bourrée mon pauvre Michel.
Seul sur sa table, un homme la renvoya.
— Va-t’en ivrogne !
L'homme du comptoir s'interposa entre eux. Il passa son bras sous le sien pour la soutenir.
— Pardonnez-lui, elle n'a pas l'habitude de la boisson.
Nadine se débatta et zigzagua jusqu'à la sortie. L'homme la talonna.
— Vous n'êtes pas dans l'état de boire, donnez-moi vos clés, je vous ramène chez vous.
Nadine réfléchit et chercha ses mots.
— Pas chez moi...chez toi...mauvais mari...pas chez moi...chez toi... mari pas gentil avec moi...
— Je suis à hôtel à côté.
— Pas chez moi... chez toi...méchant mari...très mauvais...
Soutenue par l'homme, elle marcha à ses crochets, il était son pilier. Elle se répétait dans les mêmes phrases jusqu'à qu'elle soit à l'hôtel. Elle s'affala sur le lit, elle dormit avec sa tenue. Il la respecta sans la toucher.
Au petit matin, elle réveilla avec une gueule de bois et patraque. Où était-elle ? Qui était - il ? Sa robe froissée, ses cheveux en bataille, elle avait perdu tout son éclat. Un lit à deux personnes recouvertes d'une couette, des tables de chevet des deux côtés avec une lampe. Un fauteuil près de la fenêtre avec ses stores La circulation fut dense, Elle regarda son téléphone portable pour l'heure et les appels de Michel. Neuf heures et demie du matin. Pourquoi était-il là ? Elle n'avait pas encore prononcé un mot, elle avait ce regard hagard, ses mains tremblaient.
— Qui êtes-vous ?
— Je suis Robert Dupuis, je suis représentant de commerce. Vous étiez ivre hier soir.
— Pourquoi ne m'avez-vous pas...
— J'ai cru bien faire avec votre mari violent.
— Je n'ai jamais dit ça ! Je vais prendre une douche chez moi et...
— Surtout ne me remerciez pas.
Nadine rectifia le tir sans vergogne. Elle n'allait pas la revoir, pourquoi se tracasserait-elle pour lui ?
***
De retour au bercail, Nadine mit sa robe au lavage et se doucha. Ensuite, elle se vêtit de son peignoir. Elle sécha les cheveux et lorsqu'elle eut terminé, elle entendit une voix. Michel était rentré, il s'était réfugié dans la chambre et la porte entrouverte, il téléphonait. Suspicieuse, elle s'interrogea : aurait-il une maîtresse. Elle vint sur la pointe des pieds et tendit l'oreille :
— J'ai beau prendre soin d'elle et elle boit, elle vit la nuit...nos enfants et moi nous en compatissons... une mère et une femme alcoolique, je suis bien obligé de rester avec elle...pour les enfants, c'est perturbant...oui, pour moi aussi...
Michel avait une voix pleurnicharde et bégaya.
— Je mets toute ma bonne volonté pour qu'elle soit heureuse, mais je ne la satisfais pas...plus de devoirs conjugaux. Elle empeste l'alcool... ce sont les enfants qui me font tenir psychologiquement et...resté marier avec elle... oui, c'est une plaie quelque part...
Il renifla.
— Elle ne changera pas de toute façon...à moins de l'enfermer en maison de désintoxication... elle n'est pas sortable... c'est un légume...elle découche de plus en plus...Bon, je te laisse, j'étais juste venu pour chercher des papiers.
Outrée, Nadine recula jusqu' à la salle de bains. Michel raccrocha et quitta sa chambre. Elle s'éclipsa et s'enferma dans la chambre de son fils. Même s'il l'appelait, elle ne répondra pas. Elle se bannissait de se plaindre devant lui. C'était fini avec lui, leurs chemins se séparaient. Meurtrie, effarée par sa médisance, elle se sentit coupable, peut-être méritait-elle cet affront ? Ses mains dans son visage, elle pleura d'être celle qu'elle était, par ses défauts, son manque de personnalité. Toujours dans les lacunes, sans changer.
— Nous avions emprunté la même route ensemble, mais aujourd'hui, je te déteste. Tu m'as fait te détester et me détester. Je pensais à un amour éternel même au-delà de la mort, mais tu as foudroyé mon cœur d'un désamour pérenne. À présent, je tournerai le dos définitivement, plus rien n'aura d'impact sur moi, je suis blasée, blindée. Je te croyais indispensable à ma vie. Sans toi, je croyais mourir, mais au fond, je suis déjà morte pour toi, pour moi. Tu as déversé tout ton venin pour m'empoisonner à petit feu. Tu as ôté le sort que tu m'avais jeté pour me rendre amoureuse. Impossible pour une réconciliation après tout le poison qui coule dans mes veines. Tu as fait naître une telle rage qui me ronge mon sang. Je ne pardonnerai jamais.
La voiture de Michel s'en alla, Nadine retourna retrouver son sauveur, Michel venait lui donner la clé des champs.
***
—Vous avez vécu une relation avec Robert Dupuis.
—Tout à fait, c’était un homme galant, une pépite. Je ne partageais pas le même toit, mais on se voyait à l’hôtel jusqu’au jour où Michel le découvrit. Furieux, il n’avait plus d’ascendance sur moi. Il colporta que ses enfants n’étaient pas les siens, j’avais une double vie, mais me défaire de Michel me culpabilisa dans l’alcool, il me privait de mes enfants à cause de mon addiction.
—C’était un tordu surtout !
—Il avait une carapace, impénétrable, je me rebiffais, mais nos conversations étaient stériles.
—Vous auriez pu avoir un mobile pour le tuer.
Nadine offrit une tartelette à Joël.
—Je n’aurais pas réglé le problème avec mes enfants pour autant. Je n’existe plus depuis que leur père m’a bien sali.
—Que faisiez-vous entre 20 heures et 3 heures du matin ?
—Aujourd’hui, je vis seule. Mon cher Robert a été gavé de ma dépendance à ma bouteille. Je suis toujours en tête à tête avec ma bouteille et chez moi.
—Michel Dumoulin avait-il une autre femme dans sa vie.
—Les hommes de son espèce sont toujours à capturer un nouveau gibier. Marlène Hérésie pouvait être la prochaine d’après les ragots du coin.
***
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