Chapitre 3 Une nouvelle inattendue
Deux hommes étaient au portail, les chiens aboyaient, ils se statufiaient. Mon poste de radio grésillait, j’essayai d’écouter une musique orientale. Je sifflai et hélai pour les rappeler de ma fenêtre. Je n’étais pas une dresseuse, mais ils m’obéirent. J’eus des remerciements et ils pénétrèrent sur mon domaine. Je n’étais pas une star mondiale ni locale, pourquoi étaient-ils là ? Démarcheurs ? Journalistes ? Je déchantai lors de leurs présentations. Je concassai des noisettes. L’un d’eux était décontracté à me sonder. Anita n’était pas là ni Monique. L’autre fit le tour du propriétaire. Un entremet tiédit, une odeur jasmin s’infusait. Il fut exclu de rentrer dans leurs jeux, j’étais loin d’être niaise. Je frémis, rien qu’en énonçant :
—Il faut la présence de mon avocate.
Coupable ou suspecte, j’étais déjà dans leurs rétroviseurs. Ce n’était pas anodin. Mon chemisier tâché de sang s’entassait avec d’autres vêtements dans mon panier à linge. Une culotte imprégnée d’eau et de lessive dans une cuvette, j’essorerai après leur départ. Croyant être dégourdi pour cette fois-ci, je n’étais pas méritante pour autant d’éluder leurs questions. J’assimilerai des bévues par une multitude galéjades. Il était capitale de rassembler mes idées. J’avais des trous de mémoire, mes neurones fatiguées ne solutionnaient pas le problème. Dans la chambre d’Anita, un sombrero au-dessus de son armoire, un souvenir d’un voyage avec son père et sur sa table de chevet un livre sur Richelieu, à côté d’un potpourri, elle s’instruisait. Les pas sur le plancher trahissaient sur leurs intentions. Ils traquaient le moindre détail pour perquisitionner ensuite. Je ne les décevrais pas de leur déplacement avec mes divers animaux dans les diverses pièces. Mais c’était loin d’un palace de propreté, mais plutôt insalubre. Je n’étais pas locataire mais propriétaire. La peinture écaillée était parsemée de taches de moisissures, un mur se fissurait, le compteur à revoir, la robinetterie grinçait, le parquet s’enfonçait, les prises n’étaient plus aux normes, une lueur traversait le toit, le bois de l’entourage des fenêtres se dégradait, elles devenaient branlantes. Mon chemisier sous plastique partait pour une expertise. J’étais fichue. Le sang était celui de Nadia. Avec tous les événements, je relativisais comme d’habitude. Je sentais dans leurs yeux une mansuétude par l’état délabrée de ma maison.
— On vous convoquera d’ici peu.
— D’accord
***
Il me toisait lourdement. J’étais dans une pièce froide sans décoration, juste une table et trois chaises. Mon avocate se tenait près de moi. L’air austère du policier me tétanisait. Il relisait ses notes agrafées, il prenait son temps, il me testait. Je ne menais pas large devant ce policier, mes mains entre mes jambes repliées sous la chaise et la tête basse. En face, un homme dans la trentaine, son regard perçant, un visage carré et inexpressif. Ses cheveux bruns et frisés, ses yeux enfoncés et marrons avec un teint blafard. Un nez creux, sa taille gigantesque et un corps musclé s'imposait.
— Vous êtes convoqué pour les meurtres de Michel Dumoulin et Nadia Bolcho. Il indiquerait votre présence sur les lieux des crimes.
Sa voix tonitruante me tétanisait. Il m'intimidait.
Ne craque pas Marlène ! Tu n'es pas avec ton père ! Cela me rappelait mon enfance. Mon père avait le don de me désigner d'un acte blâmable.
— Votre ADN et vos empreintes digitales sont des preuves irréfutables et incontestables. J'aimerais comprendre comment vous en êtes arrivé là ? Vous n'avez pas de casier judiciaire.
Dans ma vie, je passais mon temps à me soustraire à mes difficultés. Je relevai la tête, pétrifiée, il braquait ses yeux sur moi pour déceler mes failles. Je déviai mon regard et me redressai. Personne ne viendra à mes côtés. J'affronterai seule.
— Je n'ai jamais fraudé, je suis une idéaliste avant tout. Je n'ai jamais taxé quelqu'un.
Le policier ne s'empêcha pas de sourire.
— Vous êtes là pour des meurtres. Quels sont vos liens avec les victimes ?
Ce n'était pas une question innocente pour m'amener explicitement sur mes relations sur eux et pourquoi étais je présente sur la scène de crime ? Il me piégera et je ne saurais quoi lui répondre, il doutera de ma version, je le flairai. Toute ma gestuelle était décortiquée certainement. Je racontai toute mon histoire. Lorsque j’achevai mon récit, j’étais en transe.
— Tolstoï a dit : il n'y a pas de bonheur dans la vie, seulement son mirage. Quand vous parlez de "bonheur", où est-il ? Il est ajourné en ce qui vous concerne. Vous militez contre l'abandon de l'espèce animale, même s'il doit vous rester que vos vêtements sur vous et face à un être innocent de votre chair, vous désintéressez à lui.
Loin d'être sereine, ces mots me glaçaient. Où me menait-il ? Sur le coup, j'étais dans l'incompréhension.
— Pardon ?
— Il y a trente-cinq ans, vous avez accouché sous X. Vous n'aviez pas donné de nom à ce bébé.
Le capitaine Joël Bruni lui montra le papier correspondant.
— J'aurais dû être réjoui d'avoir un nom et un visage après toutes ces années. Mes sentiments sont mitigés. Je suis tout même lésé de voir une femme prête à tout pour la cause défendue.
— Vous ...
— Je suis votre fils. Vous vivez dans le mensonge pour donner bonne figure devant les autres.
Mes jambes devenaient coton.
J’étais éteinte et éreintée.
Un vertige tournait ma tête.
Mon corps devenait une poupée en chiffon.
Molle.
Pas loin de m’évanouir.
Un moment de ma vie honteux, je cadenassais depuis une éternité.
Un monstre horrible, voilà qui j'étais. Absente de l'école pendant plusieurs jours, j'appréhendais. Seule sur mon banc, je tenais mon cartable entre les jambes. Je fermais les yeux pour sentir la bise me frôler les joues. En apparence vivante, mais morte à l'intérieur. J'avais mûri longuement mon mot d'excuse auprès des autres, un simple mensonge pour sceller un secret. Mes parents partageaient ce remords inavoué. Cela me rongeait de cette image salie par ma famille. En quelques minutes, un mal de ventre se transformait en cauchemar à me tordre les boyaux. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Une crise d'appendicite ? Non, mais encore ? Je pliai et écartai mes jambes. Je criai, c'était douloureux. Je me rabattis, je m'assis sur le bord de mon lit. Aucune posture n'était confortable. Je serrai les dents, je repositionnai comme avant. J'appelai ma mère à rescousse. Un petit être de chair et de sang poussait vers la sortie. Sa tête jaillissait. Elle tombait des nues. Je ne simulai pas. Affolée, elle me demanda d'arrêter. Je suais sur le front, dans mes vêtements. Le cordon ombilical coupé, les pleurs du bébé, le regard sévère du paternel alerté par le bruit dans ma chambre. En furie, il me questionna sur l'identité du père. Je n'avais aucun signe avant-coureur de grossesse. Des nausées au moment de manger, je pensais à un dérangement gastrique. Ce ne fut qu'épisodique et convaincu d'être malade avec un plat de moules. Plates comme une galette dans mon corps d'adolescente, ma poitrine et mon ventre ne s'arrondissaient pas. Plus de force, faible, j'ignorai les pleurs, j'étais dans un autre monde. Ma mère le sortit. Incapable de répondre, dans la terreur, perdue et affolée de cet événement si inattendu. Lorsqu'il fut déposé dans un lit, il dormait. Au moment où j'avais pu me lever, je pris les ciseaux posés sur mon bureau, prête à lui planter par la peur engendrée par mon père qu'il me traite mal à cause de ce petit à qui ne demandait pas à vivre. Je réagis en somnambule sans conscience de mon futur geste. Il s'était invité dans mes entrailles désormais et j'avais voulu le chasser de mon esprit, il me poursuivait. Au-dessus de lui, les ciseaux en l'air, sur le point de commettre l'irréparable, je mimai l'effroyable acte. Horrifiée, ma mère m'arrêta à temps, je n'eus plus la liberté de l'approcher. Elle me rendait service, je lui aurais fait du mal. Encore mineure, je n'eus pas le droit à déclarer mon approbation sur mon enfant. Ils firent les démarches pour abandonner cet enfant pour leur réputation, leur honneur, pour le protéger. Nous ne devions pas en parler, c'était un sujet censuré. Accouché sous X, sans aucune indication pour retrouver ma trace. C'était terrible pour lui affliger, un tel rejet, il était innocent. Je taisais le nom de son géniteur.
Je paraissais si fragile, si chaste. En quelques jours, ma vie fut affectée. Personne ne verra mon incident de parcours. Le prix de mon silence était tortueux, car il me pesait. J'étais triste. J'allais retrouver mes camarades qui m'attendaient pour le cours de sport. Ils se jetteront sur moi pour m'interroger. Je mentirai avec conviction.
Minée, miteuse, terne et morose et apeurée, j’étais rongée par l’acidité de ses paroles. J’étais prise dans les filets.
Je ne pouvais plus berner tout le monde, pas même moi.
Cette impureté me renvoyait une image d’être sale.
Esseulée, je perdais mes repères.
Une fleur sans tige.
Une marée d’âneries buté par sa meute.
Je n’avais rien résolu dans ma vie sans personne.
C’était le tarif à payer.
Je n’étais pas niaise, juste à côté de la plaque.
Une mauvaise paroissienne, j’étais peut-être possédée par le diable, il me fallait un marabout. Je sentis le coup venir par une asthénie soudaine. Je respirai difficilement. Une bouffée de chaleur, la tête me tournait. Je m’abaissais en accrochant mes mains à la table. Cette fois-ci, je fis une syncope en tombant en arrière avec ma chaise.
***
Naguère, cet emplacement subit un déminage d’anciennes bombes de la dernière guerre avant cette manufacture. Un déserteur mourut sous les balles françaises.
Un algérois ancien tonnelier se promenait avec son lévrier du côté d’une ancienne usine fermée et clôturé par un grillage coupé qui n’était pas jusqu’ici et permettait de s’introduire.
Des caricatures dessinées sur les anciens dirigeants laissaient une trace du passé d’une ambiance dictatoriale vécue par certains et généralisant un mal-être. Les aînés s’escrimaient par le nationalisme. Le message dénonçait les conditions du travail. Il travaillait autrefois, c’était là où il rencontra sa future femme. Son décès tragique et récent à cause d’un forcené qui prit d’assaut le lieu. Un évadé de prison qui s’était reclus un soir et réclamait cinq cent mille euros en petites coupures. Ce lieu le rendait nostalgique. Depuis, il prêcha auprès des jeunes. Aujourd’hui, c’était un terrain vague avec une végétation touffue et remplit de mauvaise herbe. Une barrière protectrice d’orties et de ronces décourageaient les curieux de s’en approcher, mais il se fraya un chemin précéder de son chien. L’usine située à Creil soit à 17,3 kilomètres de Luzarches, subit un déménagement et elle devait être détruite pour une zone commerciale. Seulement plusieurs étaient sur le coup et bloquaient la transaction. C’était un dimanche après-midi, une arme au milieu de cette flore sauvage. Il récita un psaume de sa religion et prosterna et pria. Il rapporta le révolver à la police.
***
— Une lauréate du prix de meilleure comédienne !
Franck tiqua.
— Tu es dur Joël.
— Tu n’es pas encore parti voir Richard !
— Un pistolet a été retrouvé au Creil dans une ancienne usine. Elle appartient à Richard Dumoulin.
— Il aurait tué Nadia et son frère ! Dans quel but ?
— Il n’y a que lui qui peut le dire.
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