Chapitre 4 : Lent-Sorceler

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Loënia n’avait jamais vu Lent-sorceler aussi rempli. Cela faisait bien sûr le bonheur de Noé, qui n’arrêtait pas de traverser en long et en large la boutique et d’encaisser de l’argent. La fée, ayant remarqué que trois cartons trônaient près d’un rayon, entreprit de remplir les rayonnages dépourvus des pierres médicinales qu’il devait contenir.

Quand un jeune vampire, du moins en apparence, lui demanda où était le charbon pour ses canines, Loënia fut ravie d’être déjà venue deux fois dans la boutique. Elle se rappela que lorsqu'un humain était transformé en vampire, leurs crocs grandissaient en quelques jours. Une transformation de vampire nécessitait d'avoir ingéré du sang puis de décéder. Ce n'était pas un processus douloureux, hormis si la mort avait été longue. Elle n’avait jamais eu l'occasion de fréquenter des membres de cette espèce. Les seules fois où elle avait parlé à l’un d’eux, parce qu’ils demandaient leur chemin ou, lui avait expliqué plus tard sa mère alors qu’elle était jeune, pour avoir un dessert à se mettre sous la dent. Loënia reconnaissait, avec honte, qu’elle avait une mauvaise image des vampires. Jamais elle ne s’était donnée la peine de l’améliorer, puisqu’elle n’en connaissait aucun et que depuis quelques mois, des attaques sur des fées ou sur des humains étaient perpétrées par des vampires. La presse locale et depuis peu, nationale, s’était saisie de l’affaire et avait comparé les meurtres perpétrés en Bretagne à ceux de Jack L'éventreur. Charmant.

Loënia rangeait des pierres ensorcelées et d'autres qui ne nécessitaient pas un sortilège pour exacerber leurs pouvoirs médicinaux quand un sorcier aux yeux d’un bleu intense vint à la rencontre de la jeune femme. Il avait fière allure, dans son costume noir et ses mocassins en cuir. La cinquantaine, il n’était pas incommodant. Son sourire était communicatif et raviva Loënia qui s’était laissée aller à des pensées prosaïques. Alors qu’ils discutaient tous deux des pierres qu’elle organisait, la fée sursauta en entendant Rashnoé derrière elle.

-Lelio, de quoi as-tu besoin ?

L’ami de Loënia se plaça à côté d’elle, épaule contre épaule, comme pour lui signifier quelque chose. Le ton de sa voix n’était pas accueillant ni chaleureux. A vrai dire, c’était la première fois qu’il paraissait menaçant aux oreilles de Loënia. Noé invitait clairement Lélio à s’éclipser de sa boutique au plus vite.

-J’aurais dit un ou deux sourires, mais ta vendeuse m’en a déjà offert. Je suis venue car je cherche des baies de sorbier.

Rashnoé posa sa main sur le coude de la fée, comme pour la faire reculer.

-Elle n’est pas ma vendeuse mais mon amie et tu peux en trouver au magasin bio du coin.

Loënia s’était tournée vers Rashnoé car elle ne comprenait pas pourquoi ces deux sorciers se disputaient ainsi. Le gérant de la boutique fixait Lelio du regard sans se départir de sa mine sombre. La fée ne se rappelait rien de ce qu’elle avait pu apprendre sur les baies de sorbier. Sur le moment, elle ne savait pas si elle avait vraiment appris quelque chose à ce sujet ou non. L'aurait-elle oublié, cela aussi ?

Loënia remarqua qu’il ne restait plus, avec Lelio, que deux ou trois clients dans la boutique. Une jeune sorcière avec un sac à dos énorme se promenait le nez en l’air en regardant les poutres en bois, tandis qu’un adolescent portant des Doc Martens scrutait d’un œil curieux les bougies remuantes sur le comptoir. Elle n’eut pas le temps de continuer son observation que la conversation reprenait son cours.

-Tu as pour habitude de venir pour des objets plus occultes que quelques baies.

-Tout dépend ce que tu comptes entreprendre avec du sorbier, renchérit le sorcier aux yeux bleus. Comme tu dois le savoir, leurs utilisations sont multiples. Alors, tu m’en vends ?

Les deux sorciers se défièrent du regard jusqu’à ce que Noé ne se décide à le guider dans le fond de la boutique. Pendant que le boutiquier remplissait un sachet en papier recyclable, Loënia finissait de remplir le rayon des pierres. Elle posa ses mains sur ses hanches de contentement en observant le résultat.

Elle tourna sa tête vers le tiroir caisse d’où Lélio brandissait sa carte bancaire. Il paya mais ne s'éclipsa pas tout de suite. A la place, il mit quelques petites secondes à repérer Loënia qui s’était déportée vers un autre rayon pour le ranger également. Les mains occupées avec des fioles de potions, elle le vit s’approcher une nouvelle fois d'elle, sans ignorer une certaine distance, comme si une frontière invisible l'empêchait de s’avancer encore de la jeune femme.

-Fais attention à toi, petite fée. Je sens que les soucis sont sur le point de débuter pour toi.

Loënia ne répondit rien, trop prises dans ses pensées, à la recherche de ce qu’il voulait signifier. En fait, elle aurait répondre un million de choses comme "Que me voulez-vous ?" ou "Que voulez-vous dire ?" ou bien encore "Mais ça ne va pas bien ? Pourquoi faites-vous peur à des inconnus ainsi ?". Rien, rien du tout ne sortit de ses lèvres. Elle attendit qu’il quitte la boutique et que la porte ne se referme derrière lui avant d’avancer vers Noé.

-Il a l’habitude de prophétiser ainsi ?

Noé hocha la tête, l’air agacé. Loënia voulut lui demander l’utilité des baies de sorbier mais un client marcha vers eux. Elle n’eut jamais le temps de lui demander.

Quand enfin, la boutique fut vide, ce qui arrivait en fait régulièrement, à croire que les créatures magiques ne sortaient qu’à une certaine heure, ils purent profiter l’un de l’autre tout en réorganisant certains rayons.

-J’aimerais aussi vendre des plantes fraîches, fit Noé en saisissant un grand carton plein d’urnes, sa bonne humeur revenue.

-Mais où les mettrais-tu ? Lui répondit Loënia avec amusement.

Le magasin était déjà bien plein. Tout espace à terre avait son utilité et seul un passage exigu subsistait entre les rayons. Aux murs, des plantes sèches trônaient lascivement tandis que sur d'autres, c'était le festival des couleurs avec les étagères de sels et de bougies multicolores.

-Vers là, fit-il d’un geste vague de la main, je trouverai forcément de la place. Au pire, tu sais comme moi qu’on peut agrandir la boutique à coup de sortilèges.

Ils se lancèrent un regard malicieux de connivence.

-On peut toujours trouver de la place, reconnut la fée. Je me demandais, tes bagues ont-elles une signification ?

Il hocha la tête, l’air contrit.

Loënia reprit :

-Avant, je savais ce qu’elles signifiaient.

Il acquiesça encore.

-Regarde, dit-il en écartant les doigts. Celle-ci sur mon index droit est une protection, offerte par mes parents. Celle-là, sur le majeur, est pour la chance. Je l’ai acheté en allant en Espagne. Cette dernière, sur l’annulaire gauche, c’est toi qui me l’a offerte.

L’annulaire gauche est le doigt où l’on porte la bague de mariage. Loënia ne manqua pas d’y songer, sans toutefois le dire à haute voix.

-J’ai bon goût, dit-elle simplement. Elles te vont très bien.

Il lui sourit doucement.

-Elle renforce les pouvoirs. Tu savais que j’étais un bon sorcier et que je suis assez ambitieux et, peut-être parfois, prétentieux. J’avais l’habitude de me battre à coups de sortilèges. Tu détestais ça.

-Tu le fais encore ?

-Non, avoua-t-il, je me suis quelque peu retiré du milieu. Je vends des objets ensorcelés, enchantés et quelques boissons pour les vampires.

Dans ces derniers mots ressortait un certain sentiment que Loënia ne comprit pas. Elle avait l’impression de ressentir de l'humiliation ou de la déception. Peut-être se trompait-elle.

-J’étais bouleversé quand tu n’as plus donné de nouvelles. Quand j’ai appris que tu étais tombée et que tu avais perdu la mémoire, j’étais détruit. J’ai arrêté de chercher les problèmes parce que tu n’étais plus là. Depuis tout petit, on a toujours tout fait ensemble et j’ai eu l’impression que j’avais perdu mon rempart. Tu as toujours assuré mes arrières, d’une façon ou d’une autre, même sans être là. Ta bague m’a sauvé la vie plus d’une fois.

Loënia était terriblement gênée devant cette effusion de sentiments.

-Je suis désolée, Noé, je n’avais pas conscience de tout ça.

A vrai dire, Loënia était presque apeurée en comprenant ce qu’elle avait perdu et ce qu’elle représentait. Elle ne pensait pas, actuellement, avoir l’étoffe pour jouer l’armure de quelqu’un ou encore moins être la meilleure amie de qui que ce soit.

-Ne t’excuse pas, je t’en prie. Tu n’as absolument rien à te reprocher.

Il eut un silence où ils s'observèrent l’un et l’autre, essayant peut-être de lire les pensées de l'ami en face.

-Avant tu m’appelais Rash, pas Noé.

-Je peux t’appeler Rash, si tu veux.

-Non, ne t’en fais pas, ça ne change rien.

-Pour toi, ça a l’air de compter.

Noé acquiesça douloureusement, une nouvelle fois.

-Je ne crois plus être la même personne. Je veux retrouver la mémoire et me rappeler de tout ce que tu me racontes et de tout ce que nous avons vécu...

La porte céda brusquement, comme si elle avait été ouverte d’un coup de pied. Noé, qui avait vu sur l'entrée, marcha jusqu’aux nouveaux venus. Ils étaient au moins trois et semblaient traîner quelque chose derrière eux.

-Sympa, ta boutique, le lémurien.

Loënia connaissait cette insulte qui était réservée aux sorciers. En effet, un grand génie avait un jour fait la comparaison entre les prunelles fluorescentes des sorciers et les yeux de couleurs voyantes de ces mammifères. Mais Loënia savait également à qui cette voix de ténor appartenait. Elle qui était derrière le rayon, se montra alors et avança à coups de pas décidés vers son cousin.

-Braken, comment vas-tu ? Demanda-t-elle d’un ton faussement enjoué devant son cousin.

Si elle ne se rappelait pas du bal d’Halloween que son cousin avait organisé, elle avait tous les souvenirs des années précédentes pour s’appuyer. Les Oppralin, la famille proche de Loënia, rencontraient très rarement les Terralin. Ils ne se recevaient que pour certains anniversaires, des bals ou des fêtes de fin d’année. En effet, comme la descendance était bien présente du côté des Terralin, pourquoi se soucier des cousins ? Cependant, les relations entre les filles Oppralin et Braken étaient toujours restées cordiales.

Les deux grandes fées qui encadraient le prince avaient l’air menaçant. Placés devant la porte, ils bloquaient la lumière et le dernier client qui errait encore, venait de s’enfuir comme un lapin.

Braken, l’héritier d’Horod, était apparemment perplexe. Que pouvait donc faire sa cousine, une si respectable fée, dans la boutique du dernier des sorciers ?

-Que fiches-tu là ?

Sa voix grave marquait encore davantage les accusations qu’ils n’osaient pas prononcer à haute et intelligible voix. Il aurait pu condamner Loënia de trahison ou d’amitié avec l’ennemi, mais ils étaient au XXIe siècle et Horod avait bien fait comprendre à tous que la paix était un état de fait, il y a de cela quelques décennies.

Le bruit qu’avait entendu la fée en pensant qu’ils tiraient quelque chose était en fait le son des épées dans leurs étuis sur le parquet usé. Elles étaient toutes accrochées aux ceintures des hommes du roi, comme depuis l’époque médiévale. Braken ne sortait jamais sans ses gardes, surtout par ces temps, ou des fées se faisaient tuer.

-Je suis venue voir un ami, et toi ? J'espère que tu n’étais pas là pour menacer un sorcier.

-Bien sûr que non, rétorqua Braken en passant sa main dans ses cheveux ras. Nous venions acheter des pierres.

-Les quelles ? S’étonna exprès sa cousine.

Rashnoé posa sa main sur l’épaule de son amie et lui accorda un regard alerte. Apparemment, ce n’était pas la première fois que Braken venait le menacer.

Braken portait une cape noire sur ses épaules, assez longue pour toucher le sol sans s'abimer, grâce au sortilège d’une couturière. Il avait les cheveux bruns et ras ainsi que des yeux d’un bleu très clair. Il était le seul à pouvoir porter une cape en pleine rue sans qu’il ne paraisse ridicule.

-Celles dont je t’ai parlé à Halloween.

Noé accorda un regard à Loënia. Elle ne savait pas si son cousin disait vrai puisqu’elle n’avait aucun souvenir de la soirée.

-Donc ce qu’on dit sur ta mémoire est avéré. Qu’est-ce qui t’est arrivé ?

Loënia croisa les bras, peu encline à devenir le centre de l’attention.

-J’ai chuté. J’ai dû me cogner la tête assez fort pour oublier novembre et décembre dernier.

Elle jugea inutile de préciser qu’elle avait oublié son meilleur ami également. Ce n’était pas l’affaire de son cousin dont elle n’était pas très proche. Contrairement à ce qu’elle pensait, Braken plissa les yeux et marcha jusqu’à elle. Il posa alors sa main sur le cou de Loënia qui gémit. Il fouillait dans les souvenirs de sa cousine. Elle savait que son cousin était une excellente fée mais elle ne pensait pas qu’il pouvait entrer dans son esprit. Elle se retrouvait incapable de protester, trop sous le choc des émotions et de l’enchantement. Quand il la lâcha, enfin, elle chancela un peu et c’est Noé qui la tint par les bras pour l’empêcher de tomber.

-Tu ne te rappelles pas du bal d'Halloween, ni d’octobre et de novembre, c’est comme un trou… Et tu l’as oublié aussi.

Braken plongea ses yeux dans ceux de Rashnoé qui acquiesça à la place de Loënia. Elle redressa les épaules pour tenter de gagner en contenance et se ressaisir à la fois.

-Et ton hérisson s’appelle José, ajouta le prince sur un ton tout aussi surpris.

-Liséa a choisi son prénom, tu penses bien que si j’avais eu mon mot à dire, il aurait eu le nom de l’un des personnages de mes livres préférés.

-C’est étrange, commenta Braken tout en accordant un regard à ses gardes mutiques, vraiment étrange. Tu es allé voir des médecins ?

-Oui, lui assura la jeune fée. Enfin, peu importe. Ma mémoire reviendra bien au bout d’un moment.

Rashnoé et Braken échangèrent un regard peu convaincu.

-Ne parle à personne de tes problèmes de mémoire, lui intima le prince, les gens pourraient en jouer. Toi non plus.

Loënia et Noé hochèrent la tête.

-Nous y allons, ordonnait Braken plus qu’il ne l’énonçait. Bonne journée.

La porte ne fit pas non plus de soucis et la boutique, une fois qu’ils furent partis, sembla soupirer d’aisance.

-Ils sont déjà venus ici pour t’embêter ?

-Ne t’inquiète pas de ça.

Loënia pencha la tête vers son ami.

-Bien sûr que si, Noé… Rash, plutôt. Le futur roi des fées ne devrait même pas oser te déranger. S’il revient un jour, tu m’appelles ou tu m’envoies un SMS et je file au château pour le dire à mon oncle. Enfin, je doute que Braken recommence, il sait se servir de son cerveau, mais tout de même !

Rashnoé rit.

-Qui a-t-il ?

-Là, je commence à te reconnaître, Loëne.

Hey ! Très honnêtement, même si j'aime bien les actions qui se déroulent dans ce chapitre, j'ai l'impression qu'il manque... de magie, de précisions, de quelque chose. En tout cas, je suis plutôt fière de l'apparition de Braken qui tombe un peu comme un cheveux dans la soupe (mais dans un sens positif).

Que pensez-vous de l'évolution de la relation entre Loënia et Rashnoé ?

Bonne journée !

PS : Merci beaucoup à tous ceux qui prennent leur temps pour annoter ou commenter. Cela m'encourage énormément et m'aide à progresser !

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