Chapitre 25 : Migration

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C’est ainsi que Raison, Loënia et Liséa se retrouvèrent à patienter devant Mme Leguen, la secrétaire du palais. Si les jeunes femmes faisaient partie de la famille royale, il leur fallait tout de même prendre rendez-vous ou être invitées pour pouvoir rencontrer leur oncle. Liséa trouvait ça scandaleux. Raison et Loënia était trop habituées à cette situation pour y porter attention.

Le roi des fées de Bretagne les reçut dans un petit salon qui faisait la taille d’une piscine. Loënia soupçonnait de plus en plus que leur oncle ou les architectes du palais avaient usé d’enchantements pour agrandir la demeure sans que les services fiscaux humains ne s’en aperçoivent.

Les murs bordés d’or et les meubles finement ciselés donnaient un caractère officiel à ce goûter dit familial. De temps en temps, Loënia songeait à Eaubrase, la mère défunte de Braken. Il l’avait perdue quand il avait dix ans. Si le prince ne parlait jamais de cette femme dont Loënia ne se rappelait même plus le visage, Horod ne s’était jamais remarié, même pour réaliser une alliance qui aurait été favorable aux fées de Bretagne.

-Comment allez-vous ?

Le roi des fées de Bretagne entra dans la pièce sans un bruit. Il était gros et grand. Il avait de longs cheveux auburn qui était envié par nombre d’hommes possédant une calvitie.

Ses nièces s’inclinèrent devant lui, comme elles l’avaient appris. Ils s’assirent sur des fauteuils beaux mais peu confortables.

-Je vous ai réuni ici car je dois vous parler de plusieurs sujets. Tout d’abord, j’ai des excuses à vous présenter.

Les filles restèrent droites sur leurs sièges, choquées par la phrase prononcée par leur oncle.

-En effet. Je suis sincèrement désolé de vous avoir tenu si loin du palais, de la royauté et de votre cousin. Nous vivons dans la même ville et nous aurions pu être bien plus proches. Je sais qu’il est bien tard pour regretter cela maintenant. Nonobstant, j’ai tout de même une excuse. Je connaissais les désirs de pouvoirs et la haine que ma sœur me voue. Je ne l’ai pas éloigné pour garder mon trône mais pour protéger tous les habitants de Bretagne, indépendamment de leur espèce. Elle a tué vos parents biologiques. Les parents de ses propres enfants adoptifs. Bien avant que je ne sache cela, je savais qu’elle était prête à assassiné pour obtenir ce qu’elle désirait. Vous pensez bien qu’elle n’aurait pas hésité à faire davantage de ravages si elle avait été reine. Je tiens également à m’excuser pour ce qu’elle vous a fait subir ainsi que pour ce procès public. J’aurais aimé qu’il se passe en tout intimité mais cela aurait été impossible avec la presse que nous ont fait les vampires.

Liséa et Raison échangèrent un regard. Loënia restait de marbre. Bien sûr, Adrien avait contribué à la réputation d’Ambatine. Elle avait tué son petit-fils, il n’allait pas hésiter à répandre la nouvelle partout, quitte à entacher la réputation des fées.

-Désormais, vous n’aurez plus à prendre rendez-vous pour me voir. Je vous recevrai dès que vous en aurez l’envie ou le besoin et sans que vous n'ayez à attendre.

Loënia songea qu’il était bien tard pour s’inquiéter de la sécurité, du bien-être de ses nièces ou encore de leurs relations familiales.

-Vous toucherez également l’argent que ma sœur possédait, puisqu’elle est considérée comme morte aux yeux de la loi humaine.

Loënia crut voir Liséa hoqueter.

-Et elle est morte à vos yeux aussi ?

Loënia ne comprit pas pourquoi Horod l’observait, avant de s’apercevoir que c’était elle qui s’était exprimée.

Raison sauta sur ses pieds.

-Merci beaucoup de nous avoir reçu. Malheureusement, nous devons rentrer chez nous pour le moment. Nous nous reverrons au bal de l’été.

Loënia sentit la main de Raison la tirer tandis que les yeux d’Horod continuaient de la suivre.

-Non, mais, pourquoi a-t-il fallu que tu lui demandes cela ? Ça ne va vraiment pas bien chez toi, Lo !

Loënia s’enfonçait dans son silence depuis son retour du palais. Elle tentait de se couvrir encore davantage avec son plaid, autant pour avoir chaud que pour se cacher du monde. Elle se sentait plus mal que jamais et elle n’arrivait pas à comprendre pourquoi.

Elle, Raison et Amare étaient dans le salon depuis près d’une heure. Le loup ne cessait de passer sa main dans ses cheveux courts et bruns. Il ressemblait maintenant à un hérisson. Loënia avait l’impression d’être grondée comme une enfant, avec le couple en face d’elle en guise de parents.

-Je vais vous laisser un peu d’intimité.

Le loup sortit de la pièce rapidement grâce à ses longues jambes.

-Ecoute…

Raison s’assit sur le bord du fauteuil ou Loënia s’était réfugiée.

-J’imagine bien que cette période est complexe pour toi. Tu as récupéré une multitude de souvenirs et tu n’es plus… non, enfin…

-Je ne suis plus une fée. J’avais compris.

Raison lui offrit un regard contrit.

-J’ai eu une idée. Je veux que tu répondes honnêtement à ma proposition.

-J’ai l’impression que tu vas me virer d’ici.

Le rire nerveux de Loënia s’arrêta aussitôt qu’elle aperçut le regard de Raison.

-Bien sûr que je ne te chasse pas. Seulement… La situation est difficilement gérable. Liséa s'énerve tout le temps. Elle est en pleine adolescence. Il lui faut du temps pour appréhender la situation et toi tu es un peu plus grande. Écoute… S’il-te-plaît, ne te braque pas. Je songeais que, peut-être, tu pourrais aller vivre quelques semaines chez Adrien. Il serait ravi de t’accueillir, et d’ailleurs, je l’ai entendu te le proposer. C’est juste pour que l’histoire se tasse.

Loënia fixa sa grande-soeur pendant plusieurs secondes. Non, elle n’avait pas pu entendre ce qu’elle venait de lui dire.

-On est le premier avril ?

-Loënia…

-Purée, Raison ! Alors Liséa peut faire son cinéma tous les soirs mais moi je dois partir parce que je pose des problèmes ? Mais je ne vous parle même pas de ce qui ne va pas !

-Justement. Je l’ai bien remarqué. Te faire changer d’environnement pourrait beaucoup t’aider. D’autant plus que, comme cela, Adrien aura quelqu’un à qui tenir. Il arrêtera peut-être de commanditer des meurtres dans toute la Bretagne.

Loënia ne comprenait même pas comment Raison pouvait mettre ce sujet sur la table maintenant. Elle redressa son plaid sur ses épaules.

-Raison, bordel !

-Pas de gros mots. La maison n’aime pas ça.

-C’est toi qui n’aime pas ça.

Loënia reprit son livre et l’ouvrit devant elle si vite qu’elle fit craquer la tranche du roman. Elle était bien décidée à ignorer sa sœur. Son comportement était puérile. Elle ne voyait pas comment réagir autrement maintenant.

-Tu vas y réfléchir ?

Raison posa sa main sur le genou de sa petite-soeur. Si elle proposait cela à Loënia, c'était car elle savait sa petite-soeur réfléchie.

-J’aimerais que tu restes vivre ici, mais je suis convaincue que c’est la meilleure des solutions.

Loënia, les yeux plantés sur la même ligne de texte qu’elle lisait en boucle, se força à hocher la tête. La saga Harry Potter lui était familière, elle l’avait déjà lu entièrement mais, à l’instant présent, elle n’était pas capable d’expliquer ce que Harry venait de faire.

Loënia rongeait ses ongles. Elle n’allait tout de même pas téléphoner à Adrien pour lui demander si elle pouvait aller vivre chez lui pour quelque temps alors qu’elle avait refusé il y avait à peine quelques jours ?

Elle s’assit sur le maigre tapis de sa chambre et posa son téléphone portable sur son genou. Elle avait tant passé ses doigts dans ses cheveux qu’elle ressemblait à une chouette un jour de grand vent. Les draps pendaient de son lit à cause des multiples sauts qu'elle lui avait fait subir. Sa chambre, si ordonnée soit elle, lui semblait envahie d’objets.

Aurait-elle un jour la paix ? Serait-elle toujours rongée par la culpabilité d’avoir mis sa mère en prison ?

-Allo, Adrien ?

-Bonjour Loënia. Comment vas-tu ? Tu as l’air soucieuse.

Elle s’étonnait toujours que la voix d’Adrien porte si peu d’émotion. Si ses yeux n’indiquaient pas ses ressentis, elle aurait cru qu’il était constamment blasé.

-e vais bien, et toi ?

Elle mordit sa lèvre volontairement. Sa voix était devenue aiguë par l’angoisse.

-Aurais-tu un problème ?

-Peut-être un petit… Enfin, ça dépend sûrement de l’avis de chacun mais, c’est vrai que j’ai un souci… ou un problème, plutôt. En termes de nuance, j’ai plutôt un problème car un souci est plus petit et…

-Loënia.

La voix d’Adrien, aussi froide qu’un couteau, la coupa dans son élan et la ramena sur terre. Elle discutait avec quelqu’un de sa famille et ils étaient proches. Elle n’avait pas besoin de prendre toutes ces pincettes ou de s’inquiéter autant.

-OK. OK. Hm… Tu n’es absolument pas obligé d’accepter ma requête.

Elle attendit quelque temps, autant pour réfléchir à la suite de sa phrase que pour peser ses mots.

-Est-ce que je pourrais venir vivre chez toi quelque temps ?”

-Bien sûr que tu peux venir.

Sa voix, aussi terne soit elle, semblait nappée de contentement.

Elle était si soulagée qu’elle se traita mentalement d’idiote pour avoir autant angoissé. Elle n’allait pas se retrouver à la rue, finalement ! Il avait accepté !

-Quand veux-tu que je vienne te chercher ? Tu sais déjà que mes horaires sont souples.

Et pour cause, Adrien était le meneur du clan de vampires du Finistère. Il gérait ses journées et ses nuits -puisque les vampires n’avaient besoin que de peu de sommeil- comme il le souhaitait. Il n’obéissait qu’à lui-même et donnait des ordres aux autres qui, pour l’instant, ne remettaient pas en cause son autorité.

-Aujourd’hui ? Je dois juste préparer ma valise.

-Alors nous nous verrons dans une heure. A tout de suite.

Et il raccrocha sans plus de cérémonie. C’était Adrien ; efficace et autoritaire.

Loënia consulta du regard son armoire, son ordinateur portable et ses livres. Sa valise allait être trop petite.

Malgré ses attentes, elle finit sa valise en trente minutes. Elle avait mis une playlist énergisante sur Youtube et avait opté, en ouvrant son armoire, pour la technique du “On ne sait jamais”. On ne sait jamais ; ce pull pourrait servir en juin, on ne sait jamais ; cette robe de bal serait magnifique si l’occasion s’y prêtait, etc.

Elle usa d’un enchantement pour faire descendre sa valise au rez-de-chaussé. Elle arriva donc dans le couloir, une veste sous le bras, son sac de cours remplis de livres et de bougies sur l’épaule et sa grande-sœur devant elle.

-Merci.

Loënia lui lança un regard agacé. Elle agissait à contre-coeur, en aucun cas pour lui faire plaisir.

Grâce aux ancêtres, la sonnerie retentit. Loënia n’eut pas à répondre à Raison. Elle passa devant celle-ci -sa valise la suivit en volant à sa suite. Elle ouvrit la porte sur Adrien de Val. Ce dernier lui souriait amicalement.

-Merci d’être venu aussi promptement.

-Je ferai n’importe quoi pour toi.

Il gratifia Raison d’un hochement de tête puis prit la valise de Loënia comme si elle ne pesait pas plus que son sac à main.

-J’aurais pu la prendre.

-Je suis un gentleman depuis presque un siècle et demi, laisse-moi cela.

La réponse d’Adrien fit sourire Loënia. Elle marcha à côté de lui dans le graviers puis jusqu’à sa voiture qu’il avait garée sur le trottoir près de la demeure. Tandis qu’Adrien déposait la valise dans le coffre de la voiture noire, Loënia se détourna vers sa maison d’enfance. Elle avait l’impression que celle-ci l’appelait. Raison, qui portait une salopette kaki, la regardait depuis le perron. Elle lui fit un signe de la main. Loënia se força à lui répondre avant de monter dans la voiture.

Durant le trajet, ils discutèrent de tout et de rien mais Adrien eut la sagacité d’esprit de ne pas lui demander pourquoi elle l’avait appelé si soudainement. Ils arrivèrent rapidement au manoir. Loënia s’était interrogée un nombre incalculable de fois sur la capacité d’Adrien à vivre en communauté. Elle imaginait difficilement cela, bien qu’elle ait vécu avec deux sœurs presque toute sa vie.

Une fois arrivé à destination, Adrien déposa la valise de Loënia sur les cailloux de la cour.

-Levite.

Son murmure s’accompagna d’un geste de la main et la valise se souleva d’elle-même de quelques centimètres. Elle remarqua le regard envieux d’Adrien.

-J’aurais dit que la magie me manquait si je n’avais pas été un vampire.

Il gravit les quelques marches qui le séparait de la porte d’entrée et l’ouvrit. Loënia, une fois sur le perron, rompit son enchantement et tira sa valise à roulettes. Dès qu’elle pénétra dans le hall d’entrée, elle sentit ses pouvoirs s’anéantirent et sa magie se refermer dans un tout petit coin de son cœur.

Malo, le bras droit d’Adrien, vint aussi l’accueillir. Il était vêtu d’un sweat et d’un jean assez ample, ce qui le faisait passer, aux yeux de Loënia, pour un entraîneur de sport. En vérité, il tenait un bar à vampire sur Brest. Loënia l'avait croisé lors de ses rares visites au manoir.

-Alors nous accueillons une nouvelle recrue ? C’est bon d’avoir du nouveau sang !

Il tourna son visage vers Adrien qui consultait son téléphone portable.

-Le traiteur est réservé et j’ai dépêché une équipe pour décorer le salon.

-Parfait, Malo.

Loënia décocha un regard interrogateur à Adrien.

-Pour quelle occasion y a-t-il une soirée ?

-Tu le sauras bien assez tôt !

Le sourire ravageur, au sens propre comme au sens figuré, de Malo l’inquiéta.

Tous trois entrèrent dans le salon où, habituellement, plusieurs vampires trônaient. Contrairement à ce que Loënia avait vu jusque-là, les canapés étaient vides et la cheminée éteinte.

-Où sont-ils tous passés ? Les interrogea-t-elle.

Adrien, Malo et Loënia se dirigeaient vers les chambres.

-Certains sont en train de se nourrir (Malo offrit un clin d’oeil à la fée), d’autres ont un métier et travaillent, tandis que les plus jeunes sont dans le grenier en train de…

-Tu dormiras dans l’ancienne chambre de ton père.

L’interruption d’Adrien ne changeait rien au fait que Loënia avait bel et bien compris ce que Malo avait essayé de lui dire. Ils échangèrent tous les deux un sourire de connivence.

Ils arrivèrent devant la porte de la chambre en question.

-Je te laisse t’installer.

Si Adrien décolla tout de suite, Malo salua Loënia comme un militaire avant de s’en aller.

Loënia referma la porte derrière elle et soupira, ses prunelles d’un vert noisette braqués sur la peinture de sa mère. Le tableau avait été réalisé par son père il y avait au moins une vingtaine d'années. Il était sublime. Laissant sa valise devant la porte, elle s’approcha de l'œuvre qui, à ses yeux, était inestimable. Elle frôla les couches de peintures de la pulpe de son index tant elle avait peur de l'abîmer. Les poils de son dos se hérissèrent.

Elle sourit au visage de sa mère, figé pour l’éternité, puis revint vers sa valise. Elle rangea minutieusement ses vêtements dans la commode en vieux bois. Elle était terriblement imposante.

Elle posa son ordinateur sur son lit et le mit à charger. Elle prit les deux ouvrages qu’elle avait amené avec elle dans ses mains. La passe miroir, les livres deux et trois. Le premier tome ne l’avait pas déçue et elle espérait que la même impression de voyage se présenterait à elle pour les suivants.

Heyyyyy !

Dans ce chapitre, le décor change totalement. L'adaptation de Loënia se passera-t-elle bien ? Y Aura-t-il des escarmouches ?

Bises affectueuses,

Jane Anne

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