L'odeur du vent

2 minutes de lecture

On disait que le vent avait changé, cet été-là.
Qu’il portait avec lui une odeur étrange, un mélange de lavande fanée, de pluie en retard, et de quelque chose d’indéfinissable, comme une attente suspendue.

Élise s’en souvenait comme si c’était hier.
Le ciel était clair, le soleil passait à travers les feuilles des figuiers en dessinant des ombres nettes sur le sol. Elle marchait pieds nus dans la terre sèche derrière la maison de sa grand-mère, une robe claire nouée à la taille, les bras couverts de petites éraflures. On la disait trop sauvage, trop rêveuse, pas assez fille. Pas assez "comme il faut".

Mais ce jour-là, elle n’écoutait pas les voix.
Elle était sortie cueillir du thym pour le repas du soir, mais son esprit vagabondait bien plus loin que les collines. Jusqu’à ce qu’elle l’aperçoive.

Madeleine.

Elle était là, debout près du puits, à l’ombre du vieux mûrier, une jupe bleu nuit remontée à mi-mollet, les mains trempées d’eau fraîche. Ses cheveux noirs étaient relevés n’importe comment, mais cela lui donnait un air de liberté qu’Élise n’avait encore jamais vu sur aucun visage.

Le cœur d’Élise s’arrêta un instant.
Pas à cause de sa beauté — bien que Madeleine était belle, d’une manière grave et lumineuse à la fois —, mais à cause du calme qu’elle dégageait. Comme si rien ne pouvait l’atteindre. Comme si elle avait appris à survivre au silence.

— Tu es Élise, n’est-ce pas ?
La voix était douce, légèrement rauque. Un accent qu’on ne plaçait pas.
— Oui… Et toi, tu es la nièce des Bérard ?
— Juste Madeleine, répondit-elle avec un sourire.

Elles ne se serrèrent pas la main.
Elles se regardèrent. Longtemps.
Un de ces regards qui vous bouscule sans que vous sachiez pourquoi.

Plus tard ce soir-là, Élise griffonna dans son carnet, allongée sur le lit à barreaux de sa chambre d’enfant :

"Aujourd’hui, j’ai vu une fille qui ressemblait à un poème que je n’ai jamais su écrire."

Les jours suivants furent faits de retrouvailles muettes.
Elles se croisaient près du lavoir, au marché, dans les vignes. Jamais longtemps, jamais vraiment seules, mais toujours avec ce fil invisible qui se tendait entre elles.

Un soir, alors que la nuit tombait, Madeleine l’attendait près du champ de lavande.
Elle tendit une fleur à Élise, presque en riant.

— Tu sais que la lavande ne pousse bien que là où la terre a souffert ?

Élise prit la fleur, sans répondre. Elle sentit le parfum entêtant, presque trop fort, trop vivant.
Elle leva les yeux. Madeleine la regardait.

Et pour la première fois, Élise comprit ce que voulait dire "voir quelqu’un".
Pas son visage. Son feu. Son secret.

Mais à cette époque-là, deux filles qui s’aiment, ce n’était pas une histoire que l’on racontait.

C’était une histoire qu’on taisait. Qu’on enterrait. Qu’on oubliait.

Et pourtant…

Le vent avait changé.
Et rien ne serait plus jamais comme avant.

Annotations

Vous aimez lire Destiny ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0