Le bruit du monde

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Le mois de juin avançait, et avec lui, les jours devenaient plus longs, mais pas plus légers.

Dans le village, les conversations tournaient en rond : la récolte du blé, la guerre encore fraîche dans les mémoires, les prix qui montaient au marché. Les hommes buvaient trop, les femmes se taisaient trop, et les enfants couraient dans les ruelles en chantant de vieilles chansons aux paroles trouées par l’oubli.

Élise, elle, vivait en décalage.

Elle trouvait mille excuses pour sortir : aller chercher des œufs, de l’eau, du pain, des herbes. Mais à chaque fois, c’était Madeleine qu’elle cherchait du regard. Et parfois, elle la trouvait. Toujours sans prévenir. Près de la rivière. À la sortie de la messe. Assise contre un tronc d’arbre, à écrire dans un cahier noir.

Un jour, enfin, Élise osa demander :

— Tu écris quoi, dans ton carnet ?
— Des choses qu’on ne peut pas dire à voix haute.

Elle n’insista pas. Mais cette réponse lui resta comme un frisson au creux du ventre.

Une semaine plus tard, sous un ciel orageux, elles se retrouvèrent derrière la grange des Bérard. Personne ne pouvait les voir là.

Assises côte à côte sur des ballots de paille, les genoux se frôlant presque, elles parlaient à demi-mot.

— Tu n’es pas d’ici, dit Élise.
— Non. Ma mère m’a envoyée ici pour l’été. Elle croit que le Sud me guérira.

— Guérir de quoi ?

Madeleine tourna lentement la tête. Son regard s’était durci, comme si on avait appuyé sur une plaie invisible.

— D’être ce que je suis.

Élise sentit son cœur se tordre.

— Et tu es quoi ?

Silence.

Puis, à voix basse, presque un souffle :

— Quelqu’un qu’on ne peut pas aimer.

La pluie commença à tomber, doucement. Le silence entre elles n’était plus pesant. Il était partagé.

Le lendemain, une vieille femme du village croisa Élise et lui dit en fronçant les sourcils :

— Tu traînes beaucoup avec la nièce des Bérard. Tu ferais bien de faire attention. Elle a quelque chose… de différent.

Élise sourit poliment, ne répondit rien. Mais à l’intérieur, quelque chose grandissait. Une révolte, discrète mais vive.

Elle ne voulait pas qu’on lui dise qui aimer. Elle ne voulait plus avoir honte de ce qu’elle ressentait.

Et pourtant, elle savait : ce qu’elle vivait n’avait pas de nom ici. Pas de place.

Ce soir-là, sous le ciel d’encre, Madeleine glissa une feuille pliée dans la main d’Élise avant de disparaître derrière les cyprès.

Une lettre.
Quelques lignes.

*"Je pense à toi quand le monde me semble trop grand.
Et dans ce silence, tu es la seule chose qui fait du bruit."*

Élise la relut cent fois avant de la cacher sous son oreiller.

Elle savait maintenant que leur histoire ne serait jamais simple.

Mais peut-être… belle malgré tout.

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