Il y a des nuits qu’on n’oublie pas.
Même si personne n’en parle.
Même si elles se glissent dans l’oubli comme une lettre jamais envoyée.

Ce soir-là, Élise avait couru à travers les champs. Une escapade prétexte : “je vais chercher du miel chez la tante d’en haut”. Mais en vérité, elle avait le cœur qui battait trop vite, les doigts qui tremblaient.

Madeleine l’attendait dans la vieille remise, à flanc de colline. Les volets y grinçaient, l’odeur de bois humide y restait accrochée aux vêtements. Mais quand Élise entra, il n’y avait que le silence. Et ce regard.

— Tu es venue, dit Madeleine.

— Bien sûr que je suis venue.

Pas un mot de plus.

Leurs mains se sont frôlées. Puis accrochées.

Et là, dans ce petit recoin du monde, loin de tout, elles se sont embrassées pour la première fois.

Ce n’était pas parfait. C’était maladroit, inquiet, urgent.
Mais c’était vrai.

Le cœur d’Élise s’est fendu en deux : une moitié brûlante, l’autre glacée.
Elle venait de franchir une frontière invisible.
Et elle savait que derrière, il n’y aurait pas de retour.

Elles ne sont pas restées longtemps. À peine quelques instants.
Mais ces instants-là, Élise les a rangés dans sa mémoire comme on range une photo à l’abri de la lumière.

« Elle a goûté mes peurs, et les a fait taire d’un seul regard. »