Les autres yeux
Le problème, ce ne sont jamais les cœurs.
Ce sont les regards.
Depuis quelques jours, Élise sentait que quelque chose avait changé dans le village. Un murmure. Une suspicion.
Les gens ne parlaient pas directement, non. Mais elle sentait.
Les messes basses. Les silences appuyés. Les regards qui glissent.
Sa mère, un matin, posa la question sans vraiment la poser :
— Tu es souvent dehors, ces temps-ci. Avec Madeleine. C’est une fille bien ? Elle ne t’entraîne pas dans des idées… étrangères ?
Élise sentit son ventre se nouer.
Elle répondit doucement :
— Elle ne m’entraîne nulle part. Je la suis parce que je veux la suivre.
Mais elle ne le dit pas avec ses vrais mots. Pas encore.
Ce soir-là, elle retrouva Madeleine près du vieux mur couvert de lierre.
Le visage de Madeleine était tendu.
— Ils savent, dit-elle.
— Pas vraiment. Ils devinent. C’est pire, peut-être.
Elles ne se touchèrent pas ce soir-là. Trop de peur. Trop de monde entre elles.
Madeleine murmura, la voix cassée :
— Tu le regretteras, Élise. Un jour ou l’autre.
— Jamais. Même si on me brûlait. Même si je dois me taire jusqu’à la fin des jours.
Elle lui tendit la main.
Et dans ce geste minuscule, elles se promirent tout ce qu’elles n’avaient pas le droit de dire.
Annotations