Poursuite jusqu'au fond des abysses

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 Un éclair illumina le ciel l'espace d'un instant. Une lumière blanche, presque fantômatique. C'était la mort elle-même qui poursuivait l'Albatros. Sur le pont de la corvette, il n'y avait pas des hommes, mais des squelettes au regard perdu. Chaque membre se tenait, les mains crispée, à une prise solide, préférant l'éxecution à la noyade. Les vagues se levaient, la pluie harcelait les hommes courageux, qui tenaient le cap pour leurs vies. Ces pics d'eau transperçaient la peau et le coeur de l'équipage, jusqu'à la moelle de l'os. Frigorifiés par la pluie, par le vent, par la peur, tous claquaient des dents. Ils ne pouvaient pas se permettre de rentrer au chaud à l'intérieur. Chaque action, chaque mouvement, chaque ordre comptait dans la fuite désespérée de l'Albatros. Charles n'en pouvait plus. Ses cheveux, trempés, lui recouvraient le visage jusqu'aux sourcils. Que pouvait-il faire ? Il n'était d'aucune utilité dans cette situation. Un second éclair tonna, révélant de nouveau le visage morbide de l'équipage fantôme de la corvette dans la pénombre de la tempête.

 Un troisième éclair tonna. Un éclair sans lumière. Juste un sifflement. Un boulet passa au-dessus de la tête des marins. Les pirates, malgré la tempête, n'avaient cessé de tirer sur l'Albatros, désormais oiseau mutilé. Sur le pont de la corvette, on réglait les voiles, malgré le danger que cela représentait. Des marins, déterminés, et abattus à la fois, montaient et descendaient des haubans, les boulets de canons fusant quelques fois autour d'eux, pour éviter que les voiles ne se déchirent à cause du trop grand vent. Ces véritables héros, ridicules face au pouvoir de la nature, devaient tenir jusqu'à la fin, pas seulement pour eux, mais également pour les autres. Dans la cabine du capitaine, trois charpentiers s'occupaient à rafistoler le trou béant de la cabine du capitaine, malgré les attaques du galion pirate, maintenant à une centaine de mètres de l'Albatros, malgré les vagues meurtrières qu'ils pouvaient quasiment toucher du poste qu'ils occupaient, malgré la houle et les conditions terribles de travail. Le skipper Jones tenait la barre, solide comme un roc, encaissant les violentes gerbes d'eau qui lui fouettaient le visage. Il ne pouvait pas essuyer ses yeux trempés, au risque de faire dévier l'Albatros, et de montrer le flanc du navire aux pirates. Sa vision était trouble, mais il tenait. Le visage concentré, ressentant dans chaque molécule de son corps les mouvements de la corvette qu'il connaissait tant. Le vent était arrière, alors la houle était très forte, mais, le brave skipper n'en avait que faire. Il utilisait les vagues pour surfer, et donner de l'élan au navire, qui se balançait d'avant en arrière plus violemment que jamais.

 Charles vomit. Ce balancement horrible, c'en était trop pour lui. Dexter, lui, avait perdu sa béquille qui glissait au rythme des vagues sur le pont du navire, et restait assis, pantois, adossé au bastingage babord du navire, s'accrochant avec toute la poigne du monde à un taquet d'amarrage un peu au-dessus. Il sortit un canif de la poche de sa vieille veste de marin trouée, et le fit glisser sur le pont jusqu'à Charles, qui se remettait peu à peu de son vomissement. Dexter hurla de sa voix rongée par l'alcool, de manière à ce qu'il soit audible par Charles:

- Charles ! C'est trop dangereux ! On y voit rien avec cette tempête, et notre trajectoire n'est plus ce qu'elle était ! Prends ce canif, cache-toi dans la chaloupe ! Si, par malheur, nous ne nous en sortons pas, coupe les liens qui la retiennent !

- C-compris ! bégaya Charles, effrayé et frigorifié.

Le mousse saisit donc le canif, les mains tremblantes, et se glissa, agile, sous la toile cirée de la chaloupe. Il était donc désormais dans la frêle embarcation, et vit les bouts qui retenaient la chaloupe sur le pont du navire. Quand il le faudra, il coupera ces liens. En attendant, il s'allongea au fond de la chaloupe, sous les bancs, en fermant les yeux. La pluie martelait la toile cirée dans un bruit terrible.

 Le galion s'était rapproché à une vitesse folle. Il n'était plus qu'à une cinquantaine de mètres de l'Albatros. Il avait cessé de tirer. Sans doute la poudre à canon était devenue humide, rendant ainsi inutilisables les canons. Tout à coup, une vague, gigantesque, fit apparition derrière le galion. Elle devait facilement atteindre la dizaine de mètres de haut. Imposante, et dévastatrice, elle approchait des deux navires, sans un bruit. Dans un premier temps, elle souleva, lentement, le galion pirate, sans grandes conséquences. Puis, tout à coup, la vague se creusa, portant le galion beaucoup plus violemment, et lui faisant gagner une vitesse incroyable. Le navire allait tellement vite que ses voiles le ralentissaient. Les cinquante mètres d'écart furent rattrapés en un instant. Puis, ce fut la corvette qui fut portée doucement par cette immense vague. Seulement, elle ne prit pas assez de vitesse. Le galion pirate fonçait, lui, vers l'Albatros, encore lent. Dans un bruit et un fracas incommensurable, les deux navires s'entrechoquèrent, proue dans poupe. Les mâts de l'Albatros s'emmêlèrent avec le rostre du galion, créant un véritable dédale de bois et de cordages. Les mâts de l'Albatros craquaient, soumis à une force incroyable. Puis, le mât principal se brisa, et ses cordages avec, fouettant tous les marins sur le pont de la corvette. Mais le mât, lui, trempait dans l'eau, alourdissant les deux navires, désormais liés l'un à l'autre, car retenu par quelques bouts survivants de la chute du géant. Les pirates avaient abandonné toute idée de lutte. La vague, elle, ne s'arrêtait pas. Elle continuait son chemin, et les deux navires prenaient de la vitesse. Le mât posait problème. Imposant, il emportait les deux navires lentement vers le fond des abîmes, à cause de la vitesse. Liam ordonna qu'on en finisse avec ce mât, mais personne n'était en possibilité d'accomplir ses ordres, car trop dangereux. C'est ainsi que les deux navires coulaient lentement, tandis que la vague les emportaient à une vitesse terrible. Les voiles se déchiraient, certains marins passaient par-dessus bord. Ils finiront sans doute noyés, mangés par des créatures marines, ou bien fracassés par la vague contre un rivage inconnu. Ces marins en proie à la mort essayaient de nager, sans résultat. C'était un effort méritoire, mais futile.

 C'est alors que leur fin arriva pour de bon: en face des deux navires, des récifs montraient le bout de leur nez, effleurant la surface de la mer. C'était terminé. En trois secondes à peine, les deux navires se fracassèrent sur les rochers, explosant en mille morceaux. Personne n'avait eu le temps de faire une dernière prière: ils étaient tous partis dans les bras de la mer, à la merci de tout. Certains étaient morts à cause des éclats de bois. D'autres s'étaient faits empalés par le rostre du galion pirates, quelques-uns finissaient broyés entre les récifs et les navires qui coulaient, et enfin d'autres se faisaient lentement emporter au fond des océans, les membres emmêlés dans les cordages. C'était une véritable scène d'horreur. Seuls quelques survivants nagaient encore à la surface des vagues. Dexter, lui, était mort noyé, son vieux corps et sa jambe amputée l'empêchant de nager. Quant à Jones, Jack, et Liam, ils étaient morts dans de terribles conditions, bien trop morides à décrire. Et Charles ? Il était toujours dans sa chaloupe. Il n'avait même pas eu besoin de couper les liens: la vague s'en était chargée. Et il était coincé sous les bancs de son embarcation, dévalant la vague à une vitesse affolante. Le coeur du jeune mousse battait à une vitesse de course, et le garçon avait le teint livide, sentant la vitesse dans les moindres particules de son corps. Ils se demandait ce qu'il se passait, et ce qu'il allait se passer, mais préférait ne pas le savoir.

 En aucun cas il ne s'était imaginé être dans ces conditions. Il repensa à sa mère, qu'un père alcoolique avait quitté pour une prostituée d'un bordel de Port-Grâce. Charles lui-même l'avait quitté, car elle était bien trop pauvre pour subvenir au besoin de deux personnes. Il s'était alors engagé sur l'Albatros. Beaucoup de gens autour de lui l'avaient prévenus des dangers du métiers de marin, mais il avait fait la sourde oreille et n'avait pas réalisé. Et en ce moment, il regrettait. Il regrettait comme il n'avait jamais regretté. Il revoyait toutes les scènes de sa vie, pensant mourir d'une seconde à l'autre. D'un coup, la chaloupe fit une embardée et Charles se cogna la tête, gisant, évanoui, dans la chaloupe à la merci de la vague.

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