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« Waouh ! » Clémence, du haut de ses huit ans, n'en revenait pas. LightCity, l'unique ville flottante, s'amarrait aux trois derniers étages de l'un des plus grands buildings de la fin des années quarante, l'Empire State. Ce navire rond, fait de rochers bleus luisants entremêlés de tuyaux de vapeur et de câbles et sur lesquels des infrastructures victoriennes ont été construites pour pouvoir accueillir les cinq mille LightCitois, tournait autour du monde, faisant escale ici et là. Aujourd'hui, c'était New-York, demain ce sera la Tour Eiffel.

« Et encore, à l'intérieur, c'est beaucoup plus grand », lui répondit Victor, de deux ans son cadet.

L'architecture de la ville avait peu changé en dix ans d'existence. Les bâtisses extérieures encerclaient une étoile de rues avec en son centre la maison du maire. Tout le monde savait aussi que si la minorité de bourgeois vivait dans des maisons confortables donnant sur l'immense promenade ouverte, les rochers creux qui les supportaient abritaient, outre la machinerie, l'ensemble des petites mains pour faire fonctionner la cité et servir les aisés.

« Tu crois vraiment que Chat est là ?

— Bien sûr. Tu as aussi entendu la conversation, non ? LightCity enlève beaucoup d'animaux, surtout des chats errants.

— Et qu'est-ce qu'ils en font ?

— J'en sais rien, Clémence. Tu sais, les riches... Allez, viens, on va essayer de se faufiler. »

L'amarrage fait, les va-et-vient commençaient. Les citoyens de première classe débarquaient pour visiter via la passerelle haute ; les bonnes et les travailleurs empruntaient celle du milieu, tandis que les marchandises commandées à la ville – dont des caisses d'animaux endormis – embarquaient par la plus basse. Curieusement, c'était cette dernière la mieux gardée. Impossible donc pour les deux garnements d'avoir un accès direct à l'entrepôt et de vérifier si Chat était dans l'une de ces caisses. Leur plan fut donc d'embarquer et de chercher à partir de l'intérieur de la ville avant que LightCity ne reparte. Certes, ils n'avaient aucun papier pour y entrer, mais qui ferait attention à deux gamins des villes ?

Pourtant, si leurs accoutrements faits de guenilles passaient inaperçus parmi les gens d'en bas accoutumés à la pauvreté, il n'en était pas de même sur ce petit coin de ciel humain ultra restrictif. Victor ne s'en rendit pas tout de suite compte, il croyait même avoir réussi à tromper la vigilance des gardes de la douane. Mais la main froide qui s'abattit sur son épaule alors qu'il contemplait le hall d'entrée de la cité, gravé à même un rocher, ne laissait augurer rien de bon.

« Où sont vos parents, vous deux ? »

Parents ? pensait intérieurement Victor, qu'il est drôle...

« Ils sont là-bas, monsieur le policier, dit-il en montrant des gens dans la file.

— Lesquels, je ne vo... » Mais Victor, qui avait silencieusement attrapé la main de son amie, s'était déjà mis à courir le plus rapidement possible, bousculant petits et grands sous les cris de l'agent berné qui essayait de les rattraper. Malheureusement pour Victor, il ne s'agissait pas des policiers de New-York, beaucoup plus commodes – pour ne pas dire plus fainéants. Plusieurs dizaines de minutes de course-poursuite ne suffirent pas à les semer, et le labyrinthe de couloirs à appartements et de petites rues couvertes, creusé à même les roches volantes, n'arrangeait rien. Victor s'arrêta pour reprendre son souffle. Il regarda Clémence, tout aussi essoufflée, et lui sourit. Mais derrière eux, des gardes se rapprochaient. Ils avaient tellement couru qu'ils n'auraient pu dire où ils étaient dans la ville. Probablement vers le centre, mais qu'importe. Victor réfléchit vite. Il connaissait la rumeur selon laquelle les immigrés étaient lancés dans le vide, et il ne voulait pas finir comme cela. Il fallait trouver une cachette en attendant que cela se calme.

Les deux enfants reprirent leur course mais tournèrent au mauvais endroit. C'était un cul-de-sac rempli de tuyaux, de conduites et de taules. La seule issue semblait une petite bouche d'aération défaite à hauteur d'homme au-dessus d'un panneau « réparation ». Plus le choix, Victor arracha l'inscription et aida son amie avant de la suivre. Et puis, silence.

« Il faut les retrouver avant qu'on ne parte » entendit Victor, en coup de vent parmi d'autres conversations.

Au fond de leur cachette, pendant que Victor tendait l'oreille, Clémence était, elle, attirée par une faible lumière bleue et scintillante venant de l'autre bout de la conduite. Impatiente, elle se retourna en faisant le moins de bruit possible, puis avança à quatre pattes jusqu'à l'autre bout. À travers une autre grille d'aération, elle vit une pièce cylindrique aux couleurs cuivrées du sol au plafond. Les murs, formés de plaques de tôle courbées attachées par des boulons dorés brillants, reprenaient, à intervalles réguliers, d'autres bouches d'aération comme celle où se trouvait Clémence. Il y avait au centre de cette pièce ronde une autre pièce scellée par une grosse porte à écoutille et un hublot d'où s'échappait la lumière bleue ; et devant le hublot, deux ouvriers en faction, tels des cheminots surveillant un poêle à charbon.

« Allons en chercher encore un ou deux, dit le premier.

— OK, mais cette fois, c'est toi qui t'y colles, j'en ai marre de me faire griffer », répondit le second en fermant la porte par réflexe.

Une fois la pièce vide, Clémence regardait, fascinée, la lumière bleue. Elle regardait le hublot, visage et main contre la grille, sans se rendre compte qu'elle y mettait tout son poids. La grille lâcha, et elle se retrouva par terre trois mètres cinquante plus bas.

Bong !!! « Aïe... Encore une bosse !? » pensa-t-elle. Elle regarda autour d'elle : impossible de remonter. Elle se dirigea vers la porte de la pièce, mais des cris stridents se rapprochaient. Les marins n'étaient pas loin, elle devait se cacher. Elle regarda l'écoutille de la porte centrale et l'attrapa, puis laissa son poids de gamine de huit ans l'ouvrir. Une fois à l'intérieur, elle la referma aussitôt.

A l'intérieur, cette lumière bleue qu'elle entrapercevait par le hublot jaillissait d'une pierre qui flottait entre deux socles. De la taille d'une main, elle formait une masse informe en lévitation qui n'arrivait pas à s'échapper, comme si deux tenailles invisibles la maintenaient. Clémence, subjuguée, s'avança, traversant sans s'en rendre compte un champ de force d'un mètre de diamètre. Un bras de lumière se forma pour atteindre la gamine. Clémence était béate d'admiration. Les photons s'allongeaient de plus en plus pour l'enlacer, tel un serpent autour d'une proie. La petite fille était aux anges, émerveillée. La lumière s'immobilisa. Puis vint l'attaque...

« Aïe ! », lâcha Clémence. Le contact fut douloureux. Une forte sensation de picotement et une brûlure rouge apparurent. « Aïe ! » Une deuxième attaque. Puis une troisième, plus forte. De l'émerveillement, la petite passa à la peur et la douleur. « Aïe ! » Le coup dans les jambes la fit se mettre à genoux. Les larmes perlaient. Elle aurait mieux fait de rester avec Victor, et maintenant, impossible qu'il la trouve, se disait-elle. Les attaques se succédaient, de plus en plus vite, et ses cris, de plus en plus fort. Tant pis si quelqu'un l'entendait, elle voulait sortir. Mais en vain, elle était prisonnière d'un monstre bleu transparent qui voulait la consumer. Clémence tenta de le repousser. Quand sa main entra en contact avec la lumière, la réaction fut telle que la petite fut violemment projetée contre un des murs. Assommée, elle ne se souviendra de la suite de sa mésaventure que par bribes : l'aspiration de l'énergie par la tuyauterie ; Victor rentrant dans la pièce, l'en extirpant et la portant sous les bras ; tous deux se cachant tant bien que mal en attendant que tout se calme...

Victor l'avait emmenée sur les toits, entre les cheminées à vapeurs chaudes des belles maisons. Il lui fit des pansements avec ce qu'il avait pu trouver et regarda New-York s'éloigner. Il était tard, ils étaient fatigués, et LightCity avait quitté l'Amérique avec à son bord deux clandestins.

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