Une rage sourde le possédait. Kamal apercevait trop nettement les tentatives habiles d'R'yline pour masquer les traces laissées par le souverain. Il était persuadé que son père n'avait pas mis à jour leur subterfuge, sinon pourquoi l'aurait-il laissée à sa disposition pour les sept prochains solaris ? Pourquoi alors la battre ? Il se demandait si son imagination l'amenait à aggraver ce qu'elle avait dû vivre au cours de cette longue matinée ou s'il était en deçà des horreurs subies un peu plus tôt.

Kamal fut pris d'un élan protecteur et il enserra la jeune femme. Sa colère grondait, le volcan s'éveillait soudain. L'étreinte ne l'apaisa pas, au contraire l'éruption menaçait d'exploser à tout instant. Cet état le déstabilisait. En effet, le prince ne se rappelait avoir perdu le contrôle qu'à deux ou trois reprises au cours de sa vie. Il avait laissé la fureur à son père préférant la tranquillité de l'érudit. Peut-être un moyen de se détacher de cette image paternelle dure et colérique.

Il fut sorti de ses pensées par le corps de la nymphe qui devint soudain amorphe. Il dut la soutenir pour éviter la chute. Kamal la traîna jusqu'à sa couche, s'assit et l'appuya contre lui. La jeune femme agrippa sa veste et se mit à pleurer. La colère se volatilisa aussitôt et une vague de tendresse l'envahit. Il lui caressa délicatement les cheveux d'une main tout en la serrant davantage.

Ils restèrent longtemps immobiles.

Puis lorsque ses larmes se tarir, R'yline attrapa sa main et la fit glisser sur sa joue. La nymphe leva la tête vers lui et il se perdit dans l'océan de ses yeux. Incapable de réfléchir, il laissa son corps le guider. Kamal posa ses mains sur les joues d'R'yline et l'embrassa. Le contact doux et tiède lui rappela le goût suave de la baie de joko, la douceur d'une pluie d'été, la faim dévorante de lecture des dernières pages d'un ouvrage inédit. Ses lèvres en demandaient encore. Chaque contact marquait l'urgence du prochain baiser. R'yline glissa sa main sur la nuque de son amant, puis attrapa ses cheveux en bataille. Elle accentua la pression. Les mains du jeune Eflamme glissèrent le long de son dos pour venir se nicher dans le creux de ses reins. Ses bras l'attirèrent contre lui et elle posa une jambe sur ses cuisses. La langue de la nymphe vint caresser la sienne avec une infinie douceur. Cet effleurement électrisa le prince. Plus rien d'autre n'existait que cet instant, plus rien d'autre ne comptait qu'R'yline. Il voulait sentir tout son corps contre le sien et percevait l'envie réciproque de sa partenaire.

La nymphe posa sa main sur son entrejambe. Kamal sentit son corps réagir au toucher aventureux mais sa tête s'y refusait. Il s'immobilisa. Les doigts d'R'yline frottèrent le tissu en remontant jusqu'à la ceinture du jeune homme. Kamal agrippa ses doigts. Il recula légèrement et contempla le visage à la fois désireux et emplie de mélancolie de la danseuse. Elle agissait avec professionnalisme mais la douleur se terrait voilée dans un coin de son âme. Il n'était pas son père. Il ne voulait pas la posséder.

Il se sentait confus. Et si elle ne cherchait qu'à tirer profit de la situation ? Si tout ce qui lui importait était d'asseoir son statut auprès du fils et du père ? Il avait senti le désir d'R'yline mais n'était-ce qu'un mirage offert à chaque homme partageant sa couche ? Il voulait croire à un lien unique qui les unissait, mais son esprit rationnel le tempérait, le rendant méfiant. Après tout, depuis sa nourrice, il n'avait connu aucune autre relation désintéressée. Pourquoi cela changerait-il ?

Le prince se sentait tiraillé entre l'envie de l'embrasser à nouveau et le besoin impérieux de fuir. Retrouver sa logique et ses livres. Ramener le calme sur le tsunami d'émotions qui le traversaient. Mais l'idée de rompre tout contact le terrifiait. Il voulait encore sentir la douceur de sa peau, le goût aérien de ses lèvres.