Chapitre 3
Assise sur son lit depuis une heure, elle fixait la feuille d'information de Daichi. Ses yeux n'avaient pas quitté une seule seconde ce mot écrit en noir sur blanc dans la case "crime".
Après son long discours, sa mère avait fini par accepter qu'elle y participe à une condition : que le crime commis ne soit pas très grave.
Elle avait donc attrapé l'enveloppe et s'était isolée dans sa chambre pour découvrir ce qui avait amené son 95% à finir en prison. Elle pensait, elle en était même persuadée, qu'il n'avait pas fait quelque chose d'extrêmement grave. Peut-être un trafiquant de l'époque ou un voleur à l'étalage, mais pas plus. Sinon, le STC ne l'aurait jamais autorisée à faire ce test.
Pourtant la voilà, une heure plus tard, toujours enfermée. Lorsqu'elle avait pris dans ses mains la feuille d'information, elle s'était directement mise à chercher la case crime. Lorsque celle-ci fut sous ses yeux, elle avait senti son cœur lâcher. Son souffle s'était bloqué alors, ses yeux écarquillés et sa bouche grande ouverte par le choc. Elle se serait attendue à beaucoup de choses, mais pas à ça. Elle ne voulait pas y croire. Elle ne pouvait pas croire qu'elle était aussi malchanceuse. Pourtant, c'était là, écrit noir sur blanc. Ce mot, ces 7 lettres étaient pourtant bien là.
Meurtre.
Depuis, elle n'avait pas osé remettre un pied au salon. Son cerveau carburer à 100 à l'heure, ses pensées se bousculaient. Elle ne savait pas quoi faire.
Ne pas y aller aurait été la réponse la plus sensée. Elle ne pouvait pas rester enfermée pendant des jours avec un meurtrier. Pourtant elle hésitait. Cela restait sa porte de sortie. La clé pour se réinsérer dans la société.
Tout ce qu'elle avait dit à sa mère était réel. Elle n'en pouvait plus. Elle ne pouvait plus supporter tout cela. De ce mépris, de cette haine injustifiée. Elle voulait pouvoir vivre normalement. Et cet homme, ce meurtrier, était sa seule chance de vivre normalement.
La raison ou ses désirs. Qui devait-elle écouter ? Quelle voix était la meilleure à suivre ?
Elle ne savait pas. Ces deux voix étaient tentantes. Elle ne savait rien.
Elle passa sa main sur son visage avant que ses yeux ne tombent sur l'enveloppe marron encore bien remplie.
Le dossier d'incarcération.
Si elle savait pourquoi et qui il avait tué, alors la réponse lui viendrait peut-être.
Elle attrapa l'enveloppe et sortit un énorme paquet de feuilles relié par une agrafe.
"Si c'est par plaisir du meurtre, je n'irai pas. Si ce n'est pas le cas, alors j'irai", elle murmura ces paroles avant de lire la première page.
Le cœur lourd, Lana essuya une larme qui avait coulé sur son visage. Ce qu'elle avait lu l'avait retournée, dégoûtée, anéantie.
Comment pouvait-on faire ça à un être humain ?
Comment pouvait-on être aussi cruel ?
Elle n'arrivait pas à le comprendre. Plus que ça, elle était en colère, elle se sentait désolée. Elle se sentait coupable.
Coupable de ne pas être née plus tôt. Coupable de ne pas avoir pu l'empêcher de commettre ce crime.
Elle savait qu'elle ne pouvait rien y faire. Pourtant, elle s'en voulait de ne pas avoir pu le sortir de là avant qu'il ne vive toutes ces horreurs.
Daichi était un orphelin que ses parents avaient abandonné dès sa naissance. Il avait été balayé de famille d'accueil en famille d'accueil, toutes plus horribles les unes que les autres.
Il avait vécu les pires abus. Des coups, des brûlures, des séquestrations et sûrement tellement d'autres souffrances dont lui seul avait connaissance.
Puis, un jour, une énième famille vint l'adopter. Un homme et une femme qui semblaient tellement heureux, vivant une vie presque parfaite. Une vie qui serait totalement parfaite si la femme pouvait avoir des enfants.
Daichi était pour eux le moyen de vivre cette parfaite vie de famille. C'étaient les mots de cet homme qui avait choisi Daichi parmi tous les enfants.
Mon dossier ne disait rien sur ses sentiments, son ressenti. En fait, il se contentait de rapporter des faits sans une once d'émotion. Pourtant, Lana pouvait aisément comprendre ce qu'il avait ressenti.
Le sentiment d'un condamné à mort prêt à assumer sa sentence.
Tout semblait parfait, mais ce n'était qu'une façade. L'homme n'était pas aussi doux et gentil qu'il le prétendait. La femme n'était pas aussi heureuse et épanouie qu'elle le faisait croire.
Chaque soir, à l'intérieur de cette maison luxueuse, l'horreur débutait. Dans cette chambre, à l'abri des regards, la femme, assise à terre, le visage baigné de larmes, suppliait son mari de ne pas la fouetter encore une fois, de ne pas la toucher. Chaque soir, cette pauvre femme subissait des coups et des violences sans que personne ne le sache, sauf Daichi, à peine âgé de 14 ans, qui cachait sous ses draps sa bouche aussi fort qu'il pouvait, ses oreilles, le corps tremblant, priant pour ne pas être le prochain.
C'est ainsi qu'il vécut pendant près de 4 ans. 4 ans à voir cette femme douce et gentille vivre les pires horreurs. 4 ans à la voir lui sourire tout en lui disant que tout allait bien. Qu'il n'avait pas à s'inquiéter ou à s'interposer.
Il avait essayé, mais tout ce qu'il avait récolté, c'était des bleus et des cris encore plus effroyables de cette pauvre femme.
Puis, un jour, rentrant des cours, il entendit hurler. Un cri qui lui glaça le sang. Bien plus horrible, bien plus fort qu'il ne l'avait jamais entendu, et il comprit. Il comprit qu'elle mourrait.
Il se précipita dans cette chambre et poussa l'homme violemment. Une violente bagarre suivit ce geste avant que Daichi n'attrape une batte et martèle de coups le crâne de ce monstre.
Il fut ensuite arrêté par la police.
Il avoua à peine avant d'être interrogé. Sa déposition ne contenait qu'une phrase, quatre mots : "je l'ai tué."
Lana avait relu encore et encore cette phrase, essayant d'imaginer comment il était. Quelle aurait pu être son expression ? Était-elle dénuée d'émotion ? Était-il rempli de remords ou, au contraire, n'avait-il pas une once de culpabilité ?
Elle finit par se lever, faisant tomber l'enveloppe marron qui contenait encore quelques feuilles.
Elle s'était décidée. Elle irait. Elle participerait à cette téléréalité. Elle irait le voir. Il le fallait. Il fallait qu'elle mette un visage sur cet homme ayant vécu les pires horreurs. Cet homme qui avait dû devenir un meurtrier contre sa volonté parce que le monde l'avait décidé. Parce que le monde l'avait poussé à l'être.
Une partie d'elle, la plus grande, voulait trouver un moyen de revenir dans le passé pour éviter à cet homme de vivre tant de souffrance. Elle donnerait cher pour pouvoir y retourner.
Pourtant, une infime partie d'elle était soulagée qu'il ait vécu tout cela.
Sur la fiche d'information, il était indiqué qu'il avait fait son test à ses 18 ans et qu'il avait été compatible avec 2 filles.
Âgée de 6 ans de plus qu'elle. Elle savait que si tout cela n'était pas arrivé, il serait au bras d'une autre et elle, elle aurait été à cette heure dans son lit, pleurant toutes les larmes de son corps car le STC l'aurait diagnostiquée Unique.
Un violent dégoût d'elle-même lui sauta à la gorge si violemment qu'une envie de vomir lui prit.
Elle était dégoûtée d'avoir pensé de telles choses. Quoi qu'elle aurait vécu, jamais elle ne se réjouirait du malheur des autres si cela pouvait la bénéficier.
Une grande inspiration et elle ouvrit la porte, prête à affronter sa mère.
Lorsqu'elle pénétra dans le salon, tout se tut et on la dévisagea.
"Dealer de drogue", ses mots étaient sortis avant même qu'elle ne le décide.
Elle resta quelques secondes perturbée par le mensonge qu'elle venait de sortir.
En réalité, elle ne savait pas pourquoi elle avait menti. Sa mère, étant une ancienne psychologue spécialisée dans la criminalité, aurait sûrement compris ce qu'avait traversé Daichi. Les circonstances qui l'avaient poussé à commettre cet horrible crime.
Pourtant, elle avait menti. Elle s'était tenue là, devant sa mère, et lui avait menti droit dans les yeux. Sans une once d'hésitation.
Je ne veux pas qu'il sache. Ce n'est pas mon rôle de divulguer son passé. Je ne suis personne pour le faire.
« Tout ce temps pour un simple dealer ? » demanda-t-elle, l'air plus que suspicieux.
« J'étais tellement absorbé par son dossier et ce qu'il y avait dans l'enveloppe que je n'ai pas vu l'heure. »
Elle était surprise de l'aisance avec laquelle elle mentait. Cacher ses sentiments était une chose, mais mentir...
Cela n'avait jamais été son fort. Pourtant, elle était là, en train de mentir si farouchement. Avec une conviction si forte que même elle avait du mal à savoir si elle mentait réellement ou non.
Sa mère la regarda quelques secondes, sondant son regard. Elle n'était pas dupe. Au contraire, elle avait toujours eu le don de dénicher les mensonges.
« Bien », céda-t-elle, « si ce n'est que ça, je t'autorise à y aller. »
En réalité, elle n'avait pas besoin de l'autorisation de sa mère. Elle avait 22 ans, elle pouvait prendre ses propres décisions, mais c'était important pour elle. L'avis, la bénédiction de sa mère était important pour elle.
Un large sourire se dessina sur ses lèvres, un sourire qui avait disparu depuis ce premier test. Et sa mère le sut. Elle sut qu'elle avait fait le bon choix. Peu importe qui était cet homme, si il réussissait à dessiner ce magnifique sourire sur le visage de sa fille, elle le laisserait faire ce qu'il voudrait.
Assise dans cette immense salle blanche, sur cette chaise noire, à l'écart d'un groupe de jeunes filles, elle les surveillait d'un œil.
Dans cette salle, enfermée, beaucoup de choses pouvaient arriver. Il suffisait que l'une d'entre elles la reconnaisse, et c'en serait fini.
Triturant ses doigts, elle attendait patiemment.
Une semaine était passée depuis qu'elle avait accepté de participer à cette télé-réalité.
Le lendemain, elle avait été convoquée au bureau du SOULMATE TEST CENTER SIÈGE. C'est là-bas qu'elle fut informée de tous les détails de l'émission après avoir signé le contrat.
Elle vivrait avec lui dans un appartement. Elle pourrait continuer à aller en cours et vivre normalement.
Elle devrait assister à des dates spécialement préparées pour le couple. Dates qui avaient été préparées à l'aide de leurs fiches d'information. Fiches d'information qu'elle avait remplies aléatoirement, espérant que cela changerait la donne.
Elle avait souri à cette pensée. Elle ne se souvenait même plus de ce qu'elle avait bien pu écrire.
Ce serait drôle en tout cas.
Elle n'était pas obligée de dormir dans le même lit que lui, mais il devait impérativement dormir dans la même pièce.
Ce détail l'avait un peu perturbée. Vivre avec un inconnu était déjà beaucoup pour elle, mais devoir dormir dans la même pièce ? Est-ce qu'elle y arriverait ?
Elle n'avait pas le droit de découcher. Elle n'avait pas le droit de révéler pourquoi son partenaire avait fini en prison. Cela l'avait quelque peu soulagée. Elle ne savait pas comment sa mère le prendrait si elle apprenait qu'elle avait menti.
Finalement, elle serait filmée h24, à l'appartement et lorsqu'elle serait avec son partenaire.
Il y aurait des caméras et des micros partout, sauf dans les toilettes.
La dernière règle ne la concernait pas du tout puisqu'elle était convaincue que jamais cela n'arriverait. Les relations charnelles étaient interdites. Seuls les contacts physiques étaient autorisés.
Après cela, on lui avait donné une feuille, un emploi du temps pour toute la semaine prochaine.
Shooting photo, interview, examen complet médical, rendez-vous avec un psychologue mais aussi des réunions avec des professionnels des médias et du marketing pour les aider sur la manière de se comporter devant les caméras.
Même si c'était une expérience scientifique, cela restait de la télé.
Elle se trouvait maintenant dans les loges d'un studio photo, attendant d'être maquillée et coiffée pour son premier shooting.
Elle ne pensait pas qu'elle serait traitée comme une sorte de célébrité et cela la rendait quelque peu mal à l'aise. La raison pour laquelle elle faisait cette émission était pour qu'on la traite enfin comme tout le monde. Qu'elle puisse enfin se fondre dans la masse.
Elle ne voulait pas être célèbre, faire des interviews ou autre. Elle voulait juste que le monde sache qu'elle n'était pas un monstre sans lien.
« Salut. »
Une voix pleine d'entrain la fit sursauter si fort qu'elle faillit tomber de sa chaise.
« Oh mon Dieu », fit-elle, la main sur sa bouche, « je suis vraiment désolée, je ne voulais pas te faire peur. »
La fille qui venait de lui parler, aux longs cheveux noirs et aux yeux bridés, lui sourit d'un air sincèrement désolé.
« Ce n'est pas grave », marmonna-t-elle froidement.
Pourtant, son air renfrogné ne la fit pas reculer. Elle tendit sa main vers elle.
- Salut, moi c'est Lin Xiaming.
Lana regarda sa main tendue, les sourcils froncés, ne sachant pas si elle devait la prendre. Et si, comme l'hôtesse d'accueil, elle n'était pas au courant de qui elle était et que, après l'avoir su, elle changerait totalement.
De toute façon, tu vas les voir beaucoup.
Prenant son courage à deux mains, elle finit par saisir la main de la jeune fille.
- Euh, salut, dit-elle d'une voix timide, je... hum... je m'appelle Lana Rize. Son nom ne fut qu'un murmure prononcé du bout de ses lèvres.
Elle détestait son prénom. Elle aurait adoré le prononcer, mais un goût acre se posait sur sa langue à chaque fois qu'elle le prononçait. Un frisson de dégoût la parcourait et une immense honte la submergeait.
Elle savait que le problème n'était pas son nom mais elle-même. Mais c'était plus facile pour elle de détester un nom que soi-même.
La jeune fille fronça légèrement les sourcils lorsqu'elle finit. Elle la dévisagea intensément, comme on dévisage quelque chose en essayant de se souvenir de ce que c'était.
Après ce qui sembla une éternité, sa main toujours dans celle de Lin, cette dernière avança son autre main sur son front d'une façon plus que théâtrale avant de hurler.
- Mais oui, c'est toi !
Lana se tendit. Tout son corps était en alerte.
- J'ai toujours voulu te rencontrer. Sa voix était toujours aussi joyeuse et son visage toujours aussi chaleureux. "Unica, ma fille sans lien", dit-elle d'une voix solennelle.
Elle posa sa deuxième main sur la sienne.
- Ça a dû être vraiment dur pour toi.
Sa voix compatissante, son regard chaleureux lui firent monter les larmes aux yeux.
Cela faisait longtemps qu'on ne l'avait pas traitée aussi sincèrement gentiment. Longtemps qu'on n'avait pas compatir sur son sort.
Une larme s'échappa de son œil. Puis deux, puis trois. Bientôt une rivière de larmes coula.
- Merci, sanglota-t-elle, merci beaucoup.
De la considération, voilà tout ce qu'elle voulait. Être traitée comme un être humain.
Soudain, un bras vint s'abattre violemment sur ses épaules.
- Pas besoin de la remercier, dit une rousse, c'est normal.
Lana essaya tant bien que mal d'essuyer ses larmes.
- Pas pour moi, renifla-t-elle, se moquer de moi, me mépriser, m'insulter ou être indifférent face à la haine que je ressens, c'est normal pour moi, mais... elle déglutit, sentant ses larmes prêtes à tomber, être compatissant ou gentil avec moi, ce sont des choses qui ne sont plus normales depuis un moment déjà.
Elle garda les yeux rivés sur le sol, morte de honte. Pourquoi avoir honte ? Elle n'avait rien fait, c'était aux autres de se sentir comme ça, pas à elle.
Elle avait beau se le répéter encore et encore, rien n'y faisait, elle continuait inlassablement d'avoir honte.
- Que des fils de pute, jura la rousse.
- De vrais bâtards, renchérit Lin.
Lana releva la tête, choquée par la brutalité de leurs mots.
Les yeux braqués sur elle, les filles attendaient que Lana jure à son tour.
- Euh... ouais, commença-t-elle, gênée, de vrais... de vrais euh... débiles ?
Un silence suivit sa réponse. Les filles la regardèrent, dubitatives, avant d'éclater de rire.
- Oula, commença Lin d'une voix faussement choquée, doucement sur les insultes.
Lana pouffa de rire. Elle n'était pas douée pour insulter. Elle n'y arrivait pas, même si elle en avait entendu des tas.
- Je suis pas très douée pour ça, murmura-t-elle.
- T'inquiète, on va t'apprendre, hein Jessi ?
La rousse opina du chef en la secouant par les épaules.
- On va faire de toi la reine des jurons, t'en fais pas.
Et elles riaient de bon cœur toutes les trois.
Cela faisait du bien. Découvrir le rire et le sourire avec d'autres personnes que sa propre famille. Elle avait cette agréable impression d'être normale, une jeune femme qui passait un bon moment avec ses amis.
Clic, clic, clic
Le son de l'appareil photographique résonne dans son crâne alors que les flashs l'aveuglent alors qu'elle essaie, maladroitement, de suivre les indications du photographe.
- Penche-toi un peu plus, ordonne-t-il, souris plus. Sois plus enjouée.
Elle se sent extrêmement mal à l'aise face à tout ça. Le photographe la bombarde de flashs et d'instructions. Tout est flou autour d'elle. Ses jambes sont en coton, prêtes à céder. Son corps tremble mais elle essaie du mieux qu'elle peut de ne pas le montrer.
Le photographe continue à lui donner des ordres d'une voix indéchiffrable. Était-il en colère ? Elle ne le savait pas et cela la stressait encore plus.
Que ça se finisse vite.
Elle ne sait pas si ce qu'elle fait est bien ou mal. Tout ce qu'elle sait, c'est qu'elle se sent extrêmement mal à l'aise, comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Elle n'est pas à sa place.
- C'est ma dernière.
Lana soupire de soulagement à l'entente de ces mots. Son corps crispé se décontracte d'un seul coup.
Le photographe lui fait signe de s'approcher pour contempler ses photos.
Ce qu'elle voit sur l'écran lui coupe le souffle. Comment tant d'artifices peuvent-ils changer autant une personne ?
La coiffeuse a décidé de garder ses cheveux naturels. Elle a redéfini ses boucles brunes et les a laissées flotter sur ses épaules avant de les tresser en une petite natte et de les assembler comme une sorte de couronne.
La maquilleuse a opté pour un maquillage simple. Elle a caché ses quelques imperfections avec un fond de teint léger et a souligné son regard avec un trait d'eyeliner et de mascara. Ses lèvres ont été habillées d'un gloss transparent brillant.
La styliste, sur sa demande, a opté pour une tenue simple. Un tee-shirt blanc simple à l'intérieur d'un jean boyfriend noir.
Tout respire la simplicité, presque insolente, mais pourtant à l'écran, tout paraît plus vif, plus brillant, beaucoup plus sophistiqué, au point qu'elle a du mal à croire que cette magnifique jeune femme était bien elle.
- L'appareil t'adore, souffle le photographe en admirant son travail.
Lana rougit à ce compliment. Elle secoue la tête timidement.
- Vous êtes doué, dit-elle timidement sans oser le regarder.
L'homme secoue à son tour la tête.
- Non, je te jure, commence-t-il, tu ne sais pas le nombre d'artifices et de montages qu'il faut faire pour que des modèles paraissent si éblouissants à la caméra.
- Non... je...
Une femme arrive et se blottit contre le photographe.
- Petite, commence-t-elle, Luc n'est pas du genre à faire des compliments juste pour faire plaisir. Elle le regarde quelques secondes avant de reposer son attention sur elle, il n'est pas du genre à faire des compliments tout court. Si il dit que tu es éblouissante, c'est que tu l'es.
Lana sourit timidement, toujours morte de honte. Une certaine fierté emplit son corps. C'était la première fois qu'on lui faisait ce genre de compliment.
- D'accord, elle triture ses doigts sans oser détacher le regard de ces derniers, merci alors.
- Pas de quoi, répond-il, AU SUIVANT.
C'est sur ce cri qu'elle part, non sans passer près de la femme près du photographe pour la remercier.
- Bien, on va faire la photo de groupe.
Lana se lève, accompagnée de Lin et Jessi, toutes deux magnifiquement habillées, maquillées et coiffées. Elles étaient déjà belles avant mais encore plus à cet instant.
Lana se sentait comme le vilain petit canard. L'euphorie du compliment du photographe retombe. Elle examine toutes les filles. Elles étaient toutes habillées de vêtements sophistiqués et luxueux, maquillées avec élégance et grâce. Face à elles, Lana se sentait plus que mal à l'aise.
Elle se répétait inlassablement les mots de tout à l'heure pour ne pas s'enfuir, morte de honte.
Lana arrive sur le fond blanc et se place à l'extrémité gauche de la bande, près de ses nouvelles amies.
Enfin, je l'espère.
- Euh, il pointe du doigt une jolie brune, toi là, décale-toi d'une place vers la gauche.
La jolie brune qui se trouvait à gauche de la fille du milieu se déplace d'un pas.
- Toi aussi, décale-toi d'une place vers la gauche.
La jolie métisse au milieu, habillée d'une combinaison en cuir beige, regarde le photographe incrédule.
- Quoi ? Moi ? demande-t-elle légèrement outrée.
- Oui, toi, répond le photographe agacé, dépêche-toi, on n'a pas toute la journée.
Serrant les poings, la jolie métisse soutient le regard du photographe quelques secondes, prête à céder, mais elle finit par obéir.
- Bien, et pour finir, le photographe ancre son regard dans celui de Lana, allez, au milieu.
Lana reste quelques secondes perturbée par ce qu'il vient de dire.
Parle-t-il d'elle ? Ou de Jessi juste à côté d'elle ?
Incrédule, elle se pointe du doigt.
- Oui, toi, sourit-il, au milieu, on n'a pas toute la journée, poursuit-il légèrement agacé.
Lana toujours perturbée, regarde la place du milieu vide qui n'attend visiblement plus qu'elle.
Pourquoi moi ? Il y a des filles bien plus belles ? Pourquoi c'est moi qui devrais être au milieu ? Il y a sûrement une erreur sur...
Un léger coup de coude la sort de ses pensées. Elle regarde Jessi et Lin qui, d'un seul regard, l'encouragent à se déplacer.
Lana inspire profondément pour se donner du courage et s'avance vers la place du milieu. Lorsqu'elle passe devant la jolie métisse, celle-ci la fusille du regard.
Elle a l'habitude des regards noirs. Elle sait les gérer. Ce qu'elle n'arrive pas à gérer, c'est la gentillesse, la douceur et les compliments.
Elle se place enfin au centre. Deux filles à sa gauche, deux filles à sa droite.
Clic. Clic. Clic.
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