Chapitre 4

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"Mademoiselle Rize?"

Elle leva la tête de son téléphone lorsqu'elle entendit son nom.

"C'est à vous."

Une boule d'appréhension monta en Lana alors qu'elle se leva de son siège pour suivre la personne qui l'avait appelée.

Après la séance photo, les candidates furent conduites vers les loges pour être appelées une par une pour leur entrevue.

Cela faisait près d'une heure que Lana était assise sur cette chaise, et plus d'une demi-heure qu'elle était seule à attendre son tour.

Elle avait profité de ce moment seul pour répondre aux nombreux messages inquiets de sa mère et envieux de sa sœur. Souriant, elle leur avait raconté dans les moindres détails ce qui lui était arrivé : sa rencontre avec Lin et Jessi, la séance photo, les compliments du photographe, et enfin le moment où elle avait été désignée pour être au centre de la photo de groupe.

Elle ne s'était d'ailleurs toujours pas remise de ce moment. Elle ne savait pas ce que signifiait être au centre dans une séance photo, mais elle savait ce que signifiait être au centre d'un groupe. Dans les films ou les romans, la fille du milieu était souvent le personnage principal, la plus charismatique qui attirait le regard sur elle. Ce n'était pas une place anodine et elle avait été honorée de s'y trouver.

Les yeux fixés sur le dos de l'homme qui l'avait appelée, elle le suivait à travers les longs couloirs gris éclairés au néon.

L'atmosphère était quelque peu lugubre comparée à la blancheur éclatante des loges ou à l'effervescence du plateau photo.

Il n'y avait personne et le couloir était si grand qu'elle n'en voyait pas la fin. Soudain, une pensée lui traversa l'esprit.

Si quelqu'un se faisait agresser ici, personne ne le saurait. Mais c'était absurde.

Puis soudain, tel un ouragan balayant tout sur son passage, elle se souvint de qui elle était. Elle se souvint de la haine que les gens avaient pour elle, de toutes les choses qu'on lui avait déjà faites.

Un frisson de terreur parcourut tout son corps alors que ses mains se mirent à trembler et sa respiration devint plus saccadée. Tout son corps se mit en alerte alors que le violent souvenir d'un homme collé à son corps lui revint en mémoire.

"Relaxe, tu vas aimer."

Elle pouvait sentir sa main crasseuse caresser son ventre nu et remonter petit à petit vers sa poitrine. Son haleine chargée d'alcool s'abattre sur son visage. Son odeur de cigarette remplir ses narines.

Elle pouvait encore sentir les larmes couler sur son visage, son corps trembler de peur, et la bile coincée au fond de sa gorge prête à se déverser.

Ses jambes se faisaient de moins en moins résistantes et sa vue s'obscurcissait de plus en plus alors qu'elle tentait du mieux qu'elle pouvait de chasser ces pensées horribles.

Mécaniquement, elle porta sa main à son poignet et attrapa avec force l'élastique.

Clac, clac, clac.

Le doux son de sa peau se faisant fouetter chassa l'horrible voix de cet homme. La douleur à son poignet se répandit sur tout son corps comme une douce délivrance.

Ses membres se calmèrent peu à peu, sa respiration redevint normale et sa vue redevint claire.

Au moment où elle se calma, l'homme s'arrêta devant une porte ouverte. Elle eut à peine le temps d'essuyer les larmes qui avaient coulé avant que ce dernier ne se tourne vers elle.

"C'est ici."

Et il s'en alla sans même se douter qu'il y a peine quelques secondes, la fille derrière lui revivait l'un de ses pires moments.

Lana resta figée quelques secondes, respirant à grands poumons pour faire disparaître les derniers vestiges de sa "crise".

Une fois prête, elle s'avança vers cette porte déjà ouverte et pénétra.

C'était une grande salle sombre, semblable à celle du shooting. Une caméra sur un trépied était braquée sur un fond vert. Elle pouvait distinguer une chaise noire face à la caméra et une autre derrière elle.

"Vous êtes Lana Rize", déclara une femme vêtue d'un pantalon tailleur et d'une veste noire. Sous la veste, un crop top blanc. Elle avait de longs cheveux bruns attachés en queue de cheval haute.

Lana hocha la tête sans dire un mot.

"Bien, suis-moi", dit-elle d'une voix neutre, sans aucune émotion, comme une sorte de robot.

Lana la suivit jusqu'au fond vert. Elle lui demanda de s'asseoir sur la chaise face à la caméra.

Une fois assise, la femme se posta derrière la caméra.

"Bien, commençons", dit-elle. "Je vais te poser quelques questions afin que les téléspectateurs sachent qui tu es. Tu n'as rien d'autre à faire que de regarder la caméra et de répondre à mes questions."

Lana hocha de nouveau la tête.

"Présente-toi", ordonna-t-elle. "Nom, prénom, profession."

"Hmm, je m'appelle Lana Rize, j'ai 22 ans et je suis en études d'économie à la fac."

"As-tu des hobbies ?"

"Des hobbies ? Euh, pas vraiment, mais j'aime lire et peut-être dessiner."

Aucune expression sur son visage. Elle se contenta de fixer son bloc-notes sans la regarder.

Lana se sentait nerveuse, son cœur battait extrêmement vite.

"Et si je disais n'importe quoi ?"


Cette question la figea, le souffle bloqué dans sa gorge. Elle était troublée. Elle aurait dû s'attendre à ces questions. Elle n'était pas une inconnue du monde. Tout le monde connaissait son visage et son nom.

Elle aurait dû s'attendre, et pourtant elle était là, figée, essayant d'encaisser le coup. Sa bouche était sèche, incapable de sortir un mot.

"Nous n'avons pas toute la journée", la voix de la femme la réveilla.

"Hmm", commença-t-elle mal à l'aise. "J'étais effondrée. Ce fut un choc, mais je gardais espoir que je sois compatible l'année prochaine."

"Gardais espoir ? Vous avez fini par le perdre ?"

"Oui", elle serra ses mains, "après mon troisième test, j'ai fini par comprendre que..." Elle prit une grande inspiration. "Surtout, ne pas pleurer. J'ai fini par comprendre que je n'aurais jamais de prétendant."

La femme hocha la tête.

"Bien, dites-moi ce que vous avez ressenti lorsque vous avez appris qu'enfin vous étiez compatible avec une personne."

"Eh bien", commença-t-elle en essuyant ses paumes humides sur son jean, "j'étais soulagée."

"Soulagée ? Même quand vous avez appris qu'il s'agissait d'un criminel ?"

"Qu'importe qu'il soit un criminel ou un saint. Pour moi, il est mon sauveur."

"Votre sauveur ?", la femme fronça les sourcils, "c'est-à-dire ?"

"Euh..." Elle resta muette, ne sachant pas quoi dire. Devait-elle dire la vérité ? Non, elle ne pouvait décidément pas dire ça. Elle avait honte. "Sauveur dans le sens où je ne finirais pas ma vie seule. Que moi aussi, j'ai le droit à l'amour."

Sa voix était peu assurée. Est-ce qu'on sentait qu'elle mentait ? La femme accrocha son regard, essayant de la sonder. Lana détourna le regard en affichant un grand sourire.

"Toutes les filles rêvent du prince charmant", conclut la femme en hochant la tête.

"Bien, c'était pour moi, tu peux y aller."

Un soupir de soulagement s'échappa de ses lèvres lorsque la femme se leva pour éteindre la caméra. Son corps, tout crispé, se détendit, la faisant s'affaisser contre le dossier de la chaise. Elle n'avait pas remarqué à quel point elle était tendue depuis son arrivée ici.

La seule chose qu'elle voulait faire maintenant, c'était rentrer chez elle.

Elle salua timidement la femme avant de sortir de la pièce et de rejoindre l'agent de sécurité qui l'avait amenée ici. Il la ramena jusqu'à la loge désormais vide.

Une fois l'agent parti, elle se précipita vers la chaise où étaient disposés les vêtements avec lesquels elle était venue. Elle s'empressa de les mettre. Un soupir de bien-être se fit entendre lorsqu'elle rabattit la capuche de son sweat gris sur sa tête.

Elle n'avait plus l'habitude d'être découverte en public, elle se sentait mal à l'aise. Mais la vérité était qu'elle se sentait vulnérable sans sa capuche ou ses vêtements trop larges pour la couvrir, pour la dissimuler.

Une fois prête, elle récupéra son téléphone, enfila ses écouteurs et se dépêcha de sortir du studio.

Elle n'avait pas passé une mauvaise ou désagréable journée, au contraire, c'était sympa pour elle qu'on s'occupe d'elle, qu'on la complimente, qu'elle parle avec d'autres personnes. Pourtant, elle ne se sentait pas à l'aise. Tout ce qu'elle voulait était de ne plus avoir le regard des gens sur elle. Et dans cet endroit, devant cette caméra, sous cette lumière si chaude qu'elle avait cru fondre toute la journée, elle était loin d'avoir passé inaperçue.

La semaine était passée très rapidement, que Lana ne l'avait pas vue s'écouler. Entre les shootings, les interviews, les réunions marketing, elle n'avait pas eu une minute pour souffler.

En réalité, elle en était soulagée, parce qu'elle savait. Elle savait que si elle avait pris le temps de se poser, elle aurait fait machine arrière.


Maintenant, dans ce van aux côtés de ses deux nouvelles amies en direction de l'immeuble où elles vivront, elle ne peut plus faire machine arrière.

"C'est dommage qu'on ne nous ait pas donné de photo", boude Emie.

"C'est vrai, et si on tombait sur un mec super laid", renchérit Lin.

"Oh non", s'exclame Jessi, "les leçons sur le laid, j'en ai déjà eu."

Tout le monde se tourne vers elle, attendant plus d'informations.

"Tous les prétendants étaient laids, que ce soit de l'intérieur ou de l'extérieur", l'ambiance se remplit de rires. Les quatre prétendantes explosent de rire. La discussion reprend, plus enflammée que jamais, alors que Lin, Emi et Jessi se lancent dans un débat sur leurs dernières dates.

Assise à côté de cette dernière, Lana, un sourire aux lèvres, éclate de rire ou commente chacun de leurs récits. En deux semaines, elles avaient appris à être amies, et même si au début Emi était réticente, elle a fini par se lâcher. La seule qui ne participait à rien était Aminata.

Assise près de la fenêtre à gauche d'Emi, les jambes croisées élégamment, elle fixe son téléphone.

Lana jette un coup d'œil vers elle. Habillée d'une combinaison en jean bustier qu'elle avait habillée d'une chemise ouverte par-dessus, Lana la trouve sublime. Elle envie sa beauté et son charisme naturel qui fait retourner chaque personne vers elle quand elle est dans la pièce. Ses cheveux blonds frisés encadrent son visage et font un joli contraste avec sa peau basanée.

Lana, enfin plutôt Jessi, avait essayé de faire connaissance avec elle, mais à peine Jessi lui avait-elle adressé la parole qu'elle l'avait rembarrée comme une malpropre avant de fusiller du regard Lana.

Il ne fallait pas être un génie pour comprendre que le fait que Lana lui ait volé sa place au milieu de la photo était la raison pour laquelle elle ne l'appréciait pas. Pourtant, Lana n'avait pas été vexée. Ce genre de comportement était routinier pour elle.

"Nous sommes arrivées."

Les filles descendent du van, plus excitées que jamais. Une boule se forme au creux de l'estomac de notre héroïne.

Si jusqu'à maintenant toute cette émission n'était qu'un simple concept dans sa tête, elle devenait réelle. Elle réalise enfin où elle se trouve, ce qu'elle va faire, qui elle va rencontrer.

Ce retour à la réalité est si brutal qu'elle en a la nausée.

"Bon sang, c'est un tueur."

Cette pensée la pétrifie. Sa respiration devient plus forte alors que tout son corps se met à trembler d'effroi.

Que devrait-elle faire ? Mais qu'est-ce qui lui est passé par la tête ? Qu'importe son histoire, il reste un meurtrier. Et si il aimait ça ? Et si tuer l'avait fait aimer ça ? Et si elle était la prochaine sur la liste ?

Des pensées plus macabres s'infiltrent comme des parasites dans son cerveau alors que des images de son corps gisant dans une mare de sang défilent sous ses yeux.

Elle ne peut pas le faire. Elle en est incapable.

"Lana, tout va bien ?", Emi pose sa main sur l'épaule tremblante de notre héroïne.

Elle secoue la tête, l'envie de vomir devient encore plus forte. Elle ne peut pas le faire, elle a peur.

"Je...", commence-t-elle les larmes aux yeux, "je ne..."

Une main derrière son dos la pousse violemment alors qu'une voix retentit.

"Bon sang, mais bouge de là."

Cette bousculade fait cesser tout le chaos dans sa tête.

J'ai fait tout ça, je ne peux pas revenir en arrière. Je suis protégée.

"Oh, fais attention, tu ne vois pas qu'elle tremble", migre Emi en fusillant Aminata du regard.

Aminata ne lui lance aucun regard. Elle se contente de hausser les épaules, comme pour dire que cela lui est égal, et de pénétrer dans l'immeuble.

Toujours dans les bras d'Emi

, qui a rattrapé Lana de justesse avant qu'elle ne tombe au sol, Lana reprend peu à peu ses esprits.

Il ne lui fera pas de mal. Et peu importe ce qu'il lui fera, ce sera toujours moins pire que ce qu'elle vit au quotidien.

"Lana, ça va pas ? Tu veux qu'on te ramène chez toi ?", demande Lin, l'air soucieux.

"Non", elle secoue la tête, "j'ai eu le tournis à cause de la voiture, mais je vais bien."

C'est ainsi qu'elles rentrent bras dessus bras dessous dans l'immeuble où son seul prétendant, jamais compatible, l'attendait.

Lanah se tenait devant la porte, son cœur battant la chamade dans sa poitrine. Elle hésitait, les mains moites, son esprit tourbillonnant d'appréhension. Pourtant, malgré sa nervosité et sa peur, une lueur d'espoir brillait au fond d'elle. Elle avait tellement désiré être acceptée, de ne plus être regardée de travers par la société, de ne plus être une paria. C'était cette aspiration qui la poussait à franchir le seuil de cet appartement, dépassant ses craintes.

Lanah pénétra dans l'appartement, son cœur battant la chamade, non pas par anticipation d'une connexion, mais par le désir ardent d'être enfin acceptée. Elle n'était pas là pour l'amour, mais pour briser les chaînes de l'isolement et du jugement. Son regard croisa celui de Daichi une pointe de peur glaciale la saisit.

Daichi demeurait impénétrable, son aura de danger palpable. Pour Lanah, il restait avant tout un meurtrier, une présence intimidante qui la faisait frissonner. Elle se sentait vulnérable en sa présence, consciente de la distance insurmontable entre eux.

Dans cette pièce où leurs destins se croisaient, Lanah était loin de chercher une connexion profonde. Tout ce qu'elle voulait, c'était que le monde sache qu'elle n'était plus une paria, qu'elle avait été, ne serait-ce qu'une fois, compatible avec quelqu'un. Mais même cette simple aspiration semblait lointaine face à la présence imposante de Daichi.

Elle ressentit alors une onde de doute l'envahir. Était-ce une erreur d'avoir accepté cette expérience ? Les murmures dans son esprit se mirent à résonner, alimentant ses craintes. Mais malgré tout, une lueur d'espoir persistait au fond d'elle-même, une flamme fragile qui refusait de s'éteindre.

Daichi, lui, restait muré dans son propre monde, ses pensées insondables dissimulées derrière un masque d'indifférence. Il ne se souciait ni de l'expérience ni de Lanah. Pour lui, tout cela n'était qu'un énième chapitre dans une vie marquée par la noirceur et la solitude.

Leur rencontre, chargée de tension et de silence, semblait figée dans le temps, comme si le destin lui-même retenait son souffle, attendant de voir ce que l'avenir leur réservait. Et dans cet instant suspendu, Lanah et Daichi demeuraient des étrangers l'un pour l'autre, chacun portant le poids de son propre passé, se demandant si le futur leur offrirait ne serait-ce qu'une lueur d'espoir.

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