La Bête en musique

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Tout ragaillardi par son rêve, la Bête, Maurice, se leva de bonheur (oui, c’est fait exprès, pas d’annotation s’il vous plait), se doucha en chantant l’air de la Traviata – mais pas trop fort pour ne pas réveiller la Belle qui dormait comme une buche- lissa son pelage et s’habilla avec ses plus beaux vêtements. Si si, il avait mis un costume Armani et des chaussures Berlutti. Il était aussi beau qu’une bête peut l’être. Il sifflotait en allant à la cuisine et commença la préparation d’un petit déjeuner complet pour sa belle. Oui, il pensait à SA Belle maintenant.

Il avait décidé de lui faire ce qu’on pourrait appeler un petit déjeuner « anglais ». Un repas complet avec saucisses, œufs brouillés, lard grillé, haricots à la tomate, avec en plus des crêpes et du jus d’orange fraichement pressé. Il allait sortir le grand jeu. SA belle lui plaisait. Comme lui avait dit la vieille fée dans son rêve, si cela devenait réciproque, il redeviendrait comme avant. Comme avant physiquement… pour le fait qu’il était…. Disons, un peu limité niveau neurones, sur ce volet-là, la fée n’avait rien promis. Au moins, il avait compris, mais c’était aussi assez récent, qu’il fallait qu’il soit moins avare et égoïste. Il allait lui montrer à cette vieille qu’il avait changé et qu’il pouvait être aimé lui aussi, non mais !

Il commença par disposer les tranches fines de lard dans la poêle, en les faisant chauffer à feu moyen, fallait pas que ça crame quand même. Puis il cassa les œufs dans un bol avant de les mettre dans la casserole. Feu très doux, faut que ça cuise lentement les œufs brouillés, c’est comme une omelette mais ça doit rester dans un état entre liquide et solide, pas simple, faut un certain coup de main, de patte en l’occurrence. Pendant ce temps-là, il ajouta les saucisses coupées en morceau dans une autre casserole avec un bon bout de beurre, ne mégotons pas. Les haricots blancs à la tomate finirent aussi sur le feu, réchauffage à feu doux. Allant touiller de temps en temps les œufs qui chauffaient tout doucement et retourner les tranches de lard, il intercalait le pressage des oranges. Il avait investi dans un extracteur de jus. Il prépara un mix oranges-pommes-citron avec une pointe de gingembre pour relever le goût.

  • Voilà, c’est presque prêt, ma belle va se régaler, dit-il en goutant ses œufs brouillés quasiment terminés.

Seuls les fumets de la cuisine lui répondirent

  • Ah, il manque une pointe de sel et un peu de ciboulette.

Aussitôt dit, aussitôt fait : quelques cristaux de sel de Guérande et puis des tiges de ciboulette fraiche coupées au-dessus des œufs. Un dernier coup de cuillère en bois pour touiller l’ensemble et ce fut prêt.

Pour la réveiller en douceur, il mit une valse de Chopin, Ut dièse mineur, Opus 64, n°2, piano seul, sobre, et de bon goût, pensait-il.

Justement SA Belle arrivait, les cheveux en vrac, la tête dans le c…, réveillée chafouine.

  • C’est quoi cette merde ?
  • Cette quoi ? s’étrangla la Bête.
  • Cette musique merdique ! Triste à pleurer en plus…
  • Mais c’est Chopin, ma Belle…
  • Dis donc, Maurice, je trouve que tu pousses le bouchon un peu trop loin, mon garçon. D’abord je ne suis pas TA belle et c’est vraiment une musique de naze.
  • Bien, bien ma… euh, belle, je vais changer de compositeur.
  • Tu ne vas rien changer du tout. Tu vas me laisser faire et c’est tout. Sortant une autre clé USB de sa jupe aux multiples poches, elle alla la brancher sur la chaine Hifi.
  • Tu connais le punk celtique, Maurice ?
  • Le quoi ?
  • Non, visiblement, tu ne connais pas, laisse tomber. Ecoute plutôt.

Les watts de la Hifi crachèrent les Real MacKenzies et leur Northwest Passage avec un début uniquement vocal, puis le groupe donnant toute sa puissance mélodique et rythmique…

  • Voilà de la vraie musique pour se réveiller, pas vrai Maurice ? Fit-elle en lui tapant sur l’épaule
  • Euh oui, Belle, tu veux manger peut-être ?
  • Oh oui, j’ai une faim de loup-garou !
  • Regarde ce que je t’ai préparé, fit-il en lui montrant son petit déjeuner « anglais »
  • Oh mais tu es tout chou, toi, comment as-tu su que je mangeais beaucoup au petit déjeuner ?
  • Je l’ai senti, dit-il en rougissant de plaisir sous le compliment.
  • À charge de revanche, Maurice !

Après les Real MacKenzies, Doprkick Murphys suivit avec The State of Massuchussets et cette partie au banjo qui enchantait Belle à chaque fois. Elle ne put se retenir, se leva et mima le musicien au moment du solo. La Bête n’avait encore jamais vu un tel enthousiasme pour une musique.

  • Eh ben, ça a l’air de vous plaire vraiment cette musique ?
  • Allez Maurice, fais pas ta mijaurée, tutoie moi, comme tu le fais de temps en temps !
  • Euh... Je euh... Oui, Belle, tu aimes beaucoup cette musique dirait-on ?
  • On dirait-on que je la kiffe, oh oui. Attends la prochaine. Tu connais the Rumjacks ?
  • C’est une marque de rhum ?
  • Pas du tout, écoute !

Et un air de pipeau s’éleva, vite rejoint par la guitare saturée, la basse et la batterie, c’était Irish pub, suivi de in my Shadow. Pour cette dernière chanson, Belle se leva et entraîna la Bête dans une danse échevelée.

  • J’y peux rien quand j’entends cette musique faut que je danse et que je chante, fit-elle entre deux couplets de la chanson.

Ils reprirent tous les deux à tue-tête le dernier refrain :

You're the light in my shadow

You're my wayward star

You're the light in my shadow

My wayward star, my wayward star

Emporté par l’entrain de Belle, la Bête se surprit à hurler la dernière phrase en tournant sur lui-même.

Une fois la musique en pause, ils se rassirent et Belle finit de dévorer son petit déjeuner.

  • Excellent, Maurice, tu devrais te recycler et faire cuistot de petit-déjeuner. Parce qu’hier soir, ton gratin de courgettes aux ravioles était pas mal, mais là, c’est top ton petit déj’
  • Merci Belle, c’est gentil, dit-il en rosissant de plaisir sous ses poils.
  • Tu vas vite apprendre, Maurice, que je ne suis pas gentille, je suis sincère, honnête, cash pistache comme on dit !
  • Cash pistache ?
  • Oui, je dis directement ce que j’ai à dire sans faire de périphrases à la con.
  • Oh... je vois, fit-il avec un sourire.
  • On peut dire aussi nature peinture…
  • Nature peinture ?
  • Ben oui, dis-donc, faut sortir un peu, Maurice, faut t’intéresser à ce qui se passe en dehors de ton château…
  • Oh j’ai bien essayé… Mais je fais peur aux gens. Y en a même qui m’ont lancé des cailloux….
  • Les gens sont cons !
  • Mais je ne te fais pas peur, moi ?
  • Ben non, pourquoi ? Tu sais, je pense que le premier homme qui me fera peur, même tout poilu comme toi… Ben, il n’est pas encore né, ni même conçu…
  • J’aime beaucoup discuter avec toi, Belle…
  • Moi aussi, Maurice, moi aussi et j’adore manger ce que tu cuisines ! On se remet un petit peu de musique ?
  • Avec plaisir, Belle, j’ai des fourmis dans les jambes !

Partant d’un grand éclat de rire, elle relança la chaine Hifi. Flogging Molly entra en danse avec justement, Devil’s Dance Floor. La Bête le rejoint dans une danse endiablée, comme le disait la chanson. Puis retour des Real MacKenzies avec leur célèbre Bluenose.

Quand Belle entendit les premières notes de guitare de Millions des O’Reillys and the Paddyhats, elle dit à la Bête :

  • On peut se rasseoir, c’est plus calme mais très beau, ouvre grand tes oreilles poilues, Maurice…

Un peu essoufflé, la Bête acquiesça et se rassit, content de pouvoir récupérer un peu. Il n’avait plus vingt ans, le Maurice… Un sourire béat illuminait les poils de son visage hirsute. Il rayonnait de bonheur. S’il s’était douté que le punk celtique lui ferait cet effet… Il était ému aussi que Belle plaisante sur ces poils, comme si c’était une chose quasi normale.

Tout la playlist punk celtique de Belle défila durant cette matinée mémorable pour la Bête. Tout y passa : Il découvrit pèle-mêle les Celkilts, le Black Tartan Clan, les Ramoneurs de Menhirs et un des groupes préférés de Belle, Alestorm et leur thématique de pirates. Il en avait plein les oreilles… Il aimait bien les instruments celtiques mais la bombarde lui cassait un peu les oreilles quand même. Cette espèce de trompette bretonne lui avait quasiment percé deux ou trois tympans…

Mais ce n’était pas fini. Après avoir dévoré –la danse, ça creuse- des Cheese Naan fabrication maison (galette de farine de sarrazin, courgettes – il devait en avoir planté beaucoup dans l’enceinte du château- et mozzarella) cuites à la poêle, ils se dirigèrent chacun vers leur chambre respective pour aller faire une petite sieste. La matinée avait été fatigante… Il n’avait jamais fait autant de sport de toute sa vie, notre Bête.

Ils dormirent bien deux-trois heures et Belle émargea la première. Finalement, il était sympa, ce Maurice. Tous ces poils lui donnaient un petit air original (à tout le moins) et elle avait vu dans son regard qu’il s’était vraiment amusé en dansant avec elle. Elle était touchée de son lâcher-prise en musique.

Une fois rhabillée (ben oui, elle ne dormait pas avec ses habits et ses rangers), elle se dirigea vers la salle à manger du château. Elle avait encore l’estomac dans les talons. Il restait une Cheese Naan dans le plat sur la table. Elle s’en saisit et l’engloutit froide. Elle avait le gosier sec maintenant. Elle ouvrit le frigo à la recherche d’eau fraîche ou d’un autre liquide frais. Elle découvrit un pack de bière tout neuf. Elle prit une, fit sauter la capsule avec un manche de fourchette (elle n’avait pas les dents pour ça) et la but quasiment d’une traite. Après un rot sonore et majestueux, elle se saisit d’une seconde bière et la déboucha de la même façon… Bon, ça manquait quand même de musique maintenant.

On allait passer à la vitesse supérieure. Elle y avait été progressivement jusque-là. Mais le moment était venu de passer aux choses sérieuses : le métal, qu’il soit folk, symphonique, finlandais ou autre, mais le METAL ! LA musique qu’elle aimait par-dessus toutes les autres. Après avoir bu quelques gorgées de bière, elle fouilla encore dans ses multiples poches et en sortit LA clé USB : une clé en métal -comment pourrait-il en être autrement- en forme de tête de mort qui rit.

Elle alluma la chaine hifi, augmenta le volume au-delà du raisonnable et lança la première chanson : Korpiklaani, célèbre groupe de métal folk finlandais empli la pièce avec Keep on Galloping, une bonne façon de réveiller la Bête, de façon gaie et enjouée, non ? Au bout de quelques minutes, il apparut, visiblement réveillé en sursaut :

  • Hein, qu’est-ce qui se passe ici ? On est envahis ?
  • Mais non, c’est les Finlandais qui chantent, lui répondit-elle joyeusement. Viens danser avec moi, Maurice je vais t’apprendre un truc.
  • Les Finlandais ? C’est eux qui attaquent le château ?
  • Mais non, ils chantent dans ta chaine hifi, idiot ! Allez viens, fit-elle en lui tendant la main.

De mauvaise grâce il la rejoignit au moment où la musique basculait sur Jäggermeister, ode à une célèbre liqueur suisse –plus consommée à l’extérieur que dans son pays d’origine- dont ces Finlandais semblent friands.

  • Regarde mes mains, Maurice, lui dit-elle en faisant le fameux signe de tous les métaleux avec l’index et l’auriculaire levés.

Elle levait les bras en rythme avec la musique, incitant la Bête à en faire de même. Puis la musique bascula sur un de ses groupes préférés, les Suisses d’Eluveitie avec les rugissements des voix et les guitares hyper saturées de King.

  • Je vais t’apprendre un autre truc, Maurice. Regarde-moi !

Elle se pencha un en avant et bouger sa tignasse noire en faisant tourner celle-ci en rythme avec la musique. Au bout de quelques instants, elle se redressa :

  • À toi, Maurice, avec tous tes poils, ça devrait être facile, non ? fit-elle légèrement moqueuse.

D’abord timidement, il se lança, faisant virevolter ses poils. Puis pris par la musique et le rythme, oubliant ce qu’il pouvait dégager et en pensant qu’aux regards d’encouragement de Belle, il se laissa complètement aller. Il ne s’aperçut même pas que le morceau venait d’être remplacé par Inis Mona, dont le refrain semblait ressembler à une vieille chanson qui parlait d’une vallée de Dana ? Il était vraiment pris par la musique. La soirée se passa sur le même ton, avec le même volume sonore, les deux dansant et faisant tourner leurs chevelure et poils sur Korpiklaani, Eluveitie et autres Ensiferum (Finlandais) ou Nightwish (Finlandais aussi…).

Après s’être trémoussés autant que ça, ils dormirent tous les deux comme des loirs.

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