124.3 - Une chute inattendue

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Estelle entra dans sa chambre la première. C’était une pièce grande et spacieuse. Son épouse et elle n’y passaient plus beaucoup de temps, mais Kylie avait son propre coin où elle faisait de la musculation, alors que la journaliste avait droit à son propre pupitre où elle écrivait des articles pour passer le temps.

Depuis le départ du Célestia pour l’inconnu, la petite blonde avait rapidement commencé à rémunérer tous les événements de leurs aventures pour l’écrire dans des documents. C’était sa façon de contribuer à cette guerre étrange. Elle comptait ensuite vendre ses mémoires, un jour, lorsqu’elle aurait récolté assez d’information.

Debout au centre de la chambre, Estelle se prit les bras et grelotta, elle avait le sentiment que ceci serait la dernière fois qu’elle verrait ce bout du vaisseau où elle avait passé les derniers mois.

— Ah, te voilà, toi ! fit une voix familière derrière la jeune femme.

La journaliste n’avait pas remarqué la présence de son épouse derrière elle, qui avait dû se rendre à l’infirmerie, un instant plus tôt. L’écrivaine se tourna vers Kylie qui s’approcha d’elle, inquiète.

— Est'… t’es toute bizarre… qu’est-ce qui se passe ? questionna-t-elle.

La punk passa une main dans la chevelure soyeuse de son épouse afin de la réconforter. Cette dernière lui prit la main et ferma les yeux, tendrement.

— J’ai peur… C’est tout… J’ai peur qu’ils vous enlèvent tous ou bien que vous soyez tous tués… Je n’ai pas envie de revivre… tout ça.

— Tu veux dire… comme la fois où le néant nous avait dévorés ?

Nerveusement, Estelle ouvrit les yeux, leva son regard vers Kylie et hocha la tête rapidement. Elle se souvenait encore des cris et des pleurs de cette fameuse soirée, où elle avait cru perdre les jumeaux à jamais, alors qu’elle disparaissait elle aussi dans le noir. Elle en faisait toujours des cauchemars.

Tout cela avait fait en sorte que la journaliste avait développé de l’achluophobie – la peur de l’obscurité. Il n’était donc pas étonnant qu’une lampe de chevet était toujours allumée à chaque fois qu’elle travaillait ou bien qu’elle se couchait. Cela avait dérangé Kylie, au début, mais elle s’était rapidement habituée à ce style de vie. Pour elles, dix ans s’étaient écoulées, mais cette peur du noir n’avait jamais disparu.

— Tu sais… moi aussi il m’arrive d’avoir peur de cette merde qui gobe tout, déclara la jumelle. Mais nous sommes bien entourés, avec Athéna et les autres dieux. Ils ne nous laisseront pas tomber.

— Oui, mais tu n’arrives toujours pas à rester dans la même pièce que Perséphone et Thanatos, plus d’une minute. Il est clair, pour moi, que tu n’aimes pas leur présence.

— J’ai pas de points en commun avec eux, c’est tout…

Estelle ressentait une douleur dans ses épaules, tendue à cause de tout le stress accumulé. Kylie comprit que son épouse avait besoin d’un massage. Elle lui fit un signe de tête pour qu’elle aille s’asseoir sur leur lit. La punk s’installa alors à genoux, derrière la petite blonde. Depuis qu’elles vivaient ensemble, la punk passait la plupart de son temps à masser sa partenaire, quand elle passait de mauvaises journées. Cette technique lui avait été transmise par son père adoptif, durant sa jeunesse.

Tandis que Kylie essayait de trouver tous les points de tension de sa confidente, l’intéressée fixa sa lampe de chevet et essaya de se calmer. Voilà plus d’un mois qu’elle tentait d’avouer à sa conjointe qu’elle ne pourrait probablement plus avoir d’enfants, même si elle en désirait du plus profond de son âme. Comment lui dire qu’après de nombreuses visites à l’infirmerie, que Cassandra lui avait annoncé que ses ovaires ne fonctionnaient plus ? La pauvre Estelle n’aurait jamais le privilège de porter en elle, un bébé, à moins d’avoir recours à un miracle magique. Elle avait décidé de faire son deuil, mais jamais elle n’en avait discuté avec sa partenaire.

— Y a-t-il quelque chose que tu souhaiterais me dire, Est' ? fit la punk en approchant son visage vers son épouse. Tu es très silencieuse, ces dernières semaines…

— Ce n’est rien… rien d’important… vraiment, répondit la blonde.

— Pourtant, tu baisses la tête comme si t’avais fait quelque chose de mal…

— Ce n’est pas ce que j’ai fait de mal, hésita Estelle. C’est plutôt, ce que je ne peux plus faire… J’avais une fonction tout à fait naturelle et elle n’existe plus en moi…

L’écrivaine se sentait fébrile à l’idée de tout dévoiler à son épouse, mais si elle pouvait s’enlever ce stress de ces épaules, peut-être qu’elle aurait moins besoin d’être massée. Elle prit une grande respiration avant de rajouter :

— J’ai fait quelques tests aux laboratoires pour tester ma fertilité… et… je suis stérile. Cassandra m’a expliqué que je suis l’une de ces rares jeunes femmes qui vivent avec cette condition… Je… je ne pourrais plus porter… de bébés.

Sans pouvoir se contrôler, la blonde sanglota et voulut éviter le regard de Kylie. Même si elle savait que la musicienne n’aimait pas tellement les gamins, Estelle ne pouvait pas s’empêcher de rêver à fonder sa propre famille, à ses côtés.

— Juste ça ?! répliqua la guerrière, surprise. Non mais, Est'. Tu oublies qu’on est deux dans ce couple. Si t’as besoin de mes ovules, bah… je suis partante !

Elle lui donna une petite tape dans le dos. Surprise par cette réaction, la petite demoiselle aux cheveux dorés posa ses yeux dans le regard de sa bien-aimée.

— T… tu… ferais ça pour moi ? couina Estelle. T… tu porterais un… bébé… dans ton ventre ? J… je… Je pensais que tu n’en voulais pas…

— Bah écoute, si tout ce dont t’as besoin, c’est d’un gosse, je ne vais pas t’en priver, hein ? Et puis, à te voir jouer avec ton p'tit frère, dernièrement, je me dis bien que t’as envie d’avoir ton propre bonhomme, hein… Je ne suis pas dupe. Par contre, ne me demande pas mettre un pénis dans mon corps ! Oh ça non ! Ce sera l’insémination.

Estelle éclata de rire avant de se retourner vers son épouse. Elle s’agenouilla devant elle et posa ses lèvres sur les siennes. Elles s’enlacèrent alors et se laissèrent tomber sur leur lit douillet. Pendant plusieurs minutes, les deux jeunes femmes gloussèrent et se bécotèrent, comme durant leurs premières nuits passées ensemble. Au bout d’un moment, la petite blonde soupira, mélancolique.

— Il n’empêche, que j’aurais aimé être celle qui porterait notre future fille… ou futur garçon… rechigna-t-elle. J’aurais trop aimé vivre un accouchement…

— T’es folle, Est', pouffa son épouse. C’est genre la pire chose à souhaiter à n’importe quelle femme ! Même Cassie a failli y passer, avec sa césarienne.

— Oui, mais ils étaient tellement mignons, ses bébés…

— Tu peux toujours te servir des machines, tu sais ?

Estelle secoua la tête et grimaça. Luna lui avait déjà parlé de cette option, ainsi que Cassandra. Cependant, cela restait de la magie et la jeune femme ne désirait pas que son corps soit modifié comme ça. Tout ce qu’elle pouvait faire, désormais, c’était accepter son destin. Jamais elle n’aurait cru devenir stérile à vingt-sept ans.

— Non merci, soupira la jeune femme. Autant mes parents aiment jouer avec ce truc, autant je préfère en rester loin. À part Shayne, on dirait que tous les mecs de notre groupe ont une fascination morbide à jouer avec leurs paramètres

Elle ne put s’empêcher de repenser à l’un des fameux épisodes où elle avait croisé ses deux pères transformés en hommes-chiens, alors qu’ils sortaient du centre sportif du vaisseau. C’était au beau milieu de la nuit et tout le monde dormait. La journaliste avait préféré ne pas se poser de questions, puisqu’elle savait que ses parents étaient tordus. Cependant, elle avait aussi été témoin des folies de Scottie et Wyatt… des images encore plus troublantes qu’elle souhaitait oublier.

— Ah ouais ! commenta Kylie. Comme la fois où Flint avait la même grandeur et grosseur que ton autre père… Puis aussi le jour où Wyatt a subitement grandi de quelques centimètres… C’est très étrange, j’dois l’avouer.

— Sans commentaire, soupira Estelle.

— Mon frère, par contre, je n’ai aucune idée de ce qui lui passe par la tête.

Alors qu’elles discutaient, de leur entourage coloré, les deux jeunes femmes en avaient oublié ce pourquoi elles étaient venues dans leur chambre. Estelle sursauta alors et réalisa qu’il ne leur manquait plus qu’une trentaine de minutes pour se préparer. Elle commençait déjà à stresser.

— Oh merde, c’est vrai ! s’exclama Kylie. La guerre…

Rapidement, toutes deux ramassèrent ce qui leur serait utile sur le terrain. Elles rangèrent le reste dans leurs bagues magiques, respectives. Cette chambre serait abandonnée pour quelque temps, alors ni l’une, ni l’autre ne pourrait y revenir avant un bail. Il leur fallait faire vite.

Estelle n’avait même pas le temps de se doucher.

De toute façon, nous sommes en guerre, soupira-t-elle. Nous n’aurons pas le temps de prendre notre bain avant quelques jours… ou semaines… ? Des mois ?

Une fois la majorité de leurs affaires ramassées, la petite blonde se tourna nerveusement vers sa compagne. Elle prit une grande respiration et s’en approcha.

— Promets-moi que tout ira bien, supplia Estelle. Promets-moi que nous reviendrons toutes les deux, en vie, de cette mission.

— J’te le promets Est', répliqua la punk. Et dès notre retour, nous célébrerons notre victoire en gros ! T’en fais pas, on va y arriver !

Même si ses paroles se voulaient d’être rassurantes, l’écrivaine ne put s’empêcher de croire que ceci serait leur dernier moment passé à bord du Célestia.

À sa grande surprise, le vaisseau se prit un énorme coup d’une force inconnue. Cela provoqua une puissante secousse et Estelle tomba dans les bras de sa femme.

Que s’était-il passé ?

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