Chapitre 6

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— Tu réponds à Noah maintenant ?

Sa voix me cloue sur place.

Je suis encore en pyjama, le téléphone à la main, debout dans la cuisine. Tom est dans l’encadrement de la porte. Les bras croisés. Le regard noir. Il ne sourit pas. Il ne sourit plus depuis longtemps.

Mon cœur bondit dans ma poitrine.

— C’est… juste un message, dis-je, la voix tremblante.

Il ne répond pas. Ses yeux me traversent. Froids. Durs.

Tom ne bouge pas. Il reste planté là, dans l’encadrement de la porte, les bras croisés. Mais c’est son regard qui me glace. Ce regard fixe, sans clignement, comme s’il cherchait à lire au fond de moi quelque chose que je ne lui ai pas dit.

— Tu penses vraiment qu’il n’y a rien entre vous ?

Sa voix est douce. Trop douce. Chaque syllabe est polie, lisse… presque calme. Mais je sens la colère qui palpite dessous. Comme une bête tapie, prête à surgir.

Je reste figée. Mon téléphone repose sur la table, écran noir. Mais j’ai l’impression qu’il brille encore comme une preuve. Une faute.

— Tom… c’est juste Noah. C’est un collègue.

Je n’arrive pas à soutenir son regard. Il me brûle, m’évalue.

— Un collègue qui te demande si tu as bien dormi ?

Il ne hausse pas la voix. Et pourtant, j’ai le souffle court. J’entends mon cœur battre trop fort, trop vite.

— Tu sais que je t’aime, dis-je. Comme un réflexe.

Il sourit. Un rictus, sans joie. Ce n’est pas un sourire qu’on offre à quelqu’un qu’on aime. C’est un masque.

— Bien sûr. Moi aussi, je t’aime, Lexie.

Mais dans sa bouche, les mots résonnent à l’envers.

Un silence étouffant tombe sur la pièce.

Puis, il tourne les talons. Il s’en va, sans un mot de plus.

Et je reste là, seule dans la cuisine, le cœur au bord des lèvres.

Et là, tout revient.

Ce matin encore.

Je suis restée figée dans le lit, incapable de bouger. Le plafond au-dessus de moi. La lumière du jour filtre à peine à travers les rideaux. Le silence m’écrase. Même les bruits de la ville semblent lointains, irréels.

Et ce rêve…

Je me revois dedans, allongée dans le lit. Tom est là, debout au pied du matelas. Il me regarde. Mais ce n’est pas son regard habituel. C’est… vide. Hostile. Comme s’il ne me reconnaissait pas. Comme s’il me jugeait.

Il ne dit rien. Il me fixe, longtemps. Puis, il sourit.

Pas un vrai sourire.

Un sourire figé, mécanique. Glacial.

Je me réveille en sursaut. Mais l’angoisse reste accrochée à ma peau.

Je tourne la tête. Il est là, endormi. Paisible en apparence. Pourtant, je sais que quelque chose a changé. Ces derniers temps, il est différent. Distant. Glacé. Comme s’il avait refermé une porte, et que je restais seule de l’autre côté.

Je me lève. Le sol est froid sous mes pieds. La cuisine est silencieuse. Je me sers un café, espérant que l’amertume m’éveillera. Mais rien n’efface cette sensation. Ce poids.

Puis, le téléphone vibre.

Un message.

Noah.

Tu as bien dormi ?

Je fixe l’écran. Mon ventre se noue. Pourquoi maintenant ?

Je tape une réponse, presque machinalement.

Oui, un peu. Merci. Et toi ?

Emoji. Sourire.

Pourquoi ce sourire ? Je n’en sais rien. Peut-être pour masquer la confusion.

Je repose le téléphone. Je m’avance vers la salle de bain. Je m’arrête devant le miroir. Mon reflet me regarde sans me reconnaître. Cernes, peau pâle, yeux vides.

Je passe de l’eau froide sur mon visage. J’espère chasser le rêve, la peur, le doute.

Mais rien ne part.

Et maintenant, Tom est là. Devant moi.

Et son regard…

Ce n’est plus un rêve.

Je fermai les yeux un instant, tentant de me ressaisir. Je n’avais pas le choix, je devais avancer. Même si tout en moi criait de m’arrêter, je me forçai à respirer profondément. Puis, je me regardai une dernière fois, tentant d’afficher une calme que je ne ressentais pas.

Quelques minutes plus tard, j’arrivai devant le commissariat. En traversant le couloir, je tombai sur Noah. Il me fixa intensément, puis, sans prévenir, il attrapa mon poignet, me forçant à m’arrêter.

— Est-ce que tout va bien ? demanda-t-il, sa voix portant une inquiétude que je n'avais pas anticipée.

Je détournai le regard, espérant masquer ce tourbillon d’émotions qui m’envahissait. Je répondis, presque froidement :

— Oui, ça va.

— Regarde-moi dans les yeux.

À contrecœur, je levai les yeux vers lui. Là, je le vis. Une lueur étrange, presque menaçante, dans ses prunelles. Ça me paralysa sur place, une gêne palpable me traversant.

Sans réfléchir davantage, je pris la décision de fuir. Je me détournai brusquement et me dirigeai vers l’accueil, là où Laura m’attendait, laissant Noah planté dans le couloir, sans un mot, sans une réponse.

Je sentais encore son regard sur moi, même après que j’ai tourné les talons.

Je savais pas si c’était moi… ou si c’était lui qui déclenchait ça. Ce mélange de peur, d’attraction, d’urgence presque animale. J’avais envie de fuir. Et en même temps… j’avais envie qu’il me rattrape.

Mais il ne le fit pas.

Pas ce jour-là.

Arrivée à l’accueil, encore un peu secouée, je racontai à Laura ce qui venait de se passer avec Noah. Elle m’écouta en silence, un sourire en coin accroché aux lèvres. Elle ne dit rien, mais son regard en disait long : elle trouvait ça bien trop intéressant pour ne pas savourer chaque détail.

Plus tard, à la pause déjeuner, je l’aperçus dans le hall.

Noah.

Adossé contre le mur, les bras croisés, le regard perdu quelque part très loin d’ici. Il avait l’air… absent. Comme si le monde autour de lui n’existait plus.

Je m’approchai doucement et posai une main sur son épaule.

Il sursauta, visiblement surpris de ne pas m’avoir entendue arriver.

— Ça va ? demandai-je doucement.

Il tourna lentement les yeux vers moi. Une lueur étrange, presque douloureuse, traversa son regard.

— Je reviens d’une intervention, souffla-t-il. Ça m’a un peu retourné.

Je le dévisageai un instant, hésitante. Il avait l’air sincèrement ébranlé, plus vulnérable que je ne l’avais jamais vu.

— Je vais me chercher à manger à la boulangerie, juste à côté. Tu veux venir avec moi ? Ça te changera les idées.

Il hésita une seconde, puis hocha lentement la tête.

— Ouais… pourquoi pas.

On sortit ensemble dans le froid sec de la fin de matinée. Aucun de nous ne parla tout de suite. Le silence n’était pas pesant, juste… suspendu, comme si chacun cherchait ses mots.

Ce fut lui qui le rompit.

— C’était un accident de la route. Une voiture retournée. Une gamine de huit ans à l’arrière. Elle respirait à peine quand on est arrivés.

Je tournai la tête vers lui, surprise. Il ne parlait presque jamais du terrain.

Il serra la mâchoire.

— Elle avait le même regard que ma petite soeur. Quand on l’a sorti de la voiture… elle me fixait sans bouger, comme si elle savait déjà que c’était foutu.

Un frisson me parcourut.

— Elle est… ?

Il secoua doucement la tête.

— Non. Elle est vivante. Juste… entre deux mondes, tu vois ?

Je ne savais pas quoi répondre. Il semblait loin, encore bloqué dans cette scène.

— Je sais que c’est pas mon rôle de m’attacher. On n’est pas censés… Mais y’a des visages que tu peux pas oublier. Elle, c’en est un.

On arriva devant la boulangerie. L’odeur du pain chaud nous enveloppa dès qu’on passa la porte, mais je ne le quittai pas des yeux. Il évitait mon regard, visiblement troublé d’avoir autant parlé.

— Merci, souffla-t-il finalement. De m’avoir fait sortir un peu.

— Tu sais, tu peux me parler, Noah. Même quand c’est moche. Surtout quand c’est moche.

Il tourna lentement la tête vers moi. Son regard s’accrocha au mien une seconde de trop. Puis ses lèvres frémirent dans un sourire à peine perceptible.

— Faut faire gaffe à ce que tu dis, Lexie. J’pourrais finir par te croire.

Il y avait quelque chose dans sa voix, un mélange de défi et de douceur, qui me fit oublier pendant une seconde que j’avais promis de garder mes distances.

Une tension imperceptible, mais bien réelle, s’installa entre nous. Et j’aurais juré qu’à cet instant précis, on était sur le fil.

Et pendant qu’il parlait, pour la première fois, j’ai eu l’impression qu’il me laissait vraiment entrer dans son monde.

*****

Tu es arrivé(e) jusqu’ici, et ça me fait super plaisir

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La suite arrive vite, reste dans les parages !

— Sacha

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