Chapitre 7
Le lendemain matin, quelque chose avait changé.
Ce n’était pas flagrant. Il n’avait pas modifié sa façon de parler, ni la distance qu’il mettait entre lui et les autres. Mais il y avait ce petit décalage, presque imperceptible.
Dans ses silences.
Dans ses regards.
Dans la manière dont il évitait les miens, surtout.
Quand je suis entrée dans la salle commune, il était là, assis seul à une table, son café entre les mains. D’habitude, il m’aurait lancé une remarque, un sourire en coin, une vanne.
Là, rien. Juste un hochement de tête, rapide. Presque gêné.
Comme s’il regrettait ce qu’il m’avait confié la veille. Comme s’il avait laissé tomber un masque, et qu’il cherchait déjà à le remettre en place.
Je me suis assise à l’autre bout de la pièce. Et j’ai essayé de ne pas y penser.
Mais évidemment, c’était impossible.
Je quittai la salle commune, incapable de me concentrer. Chaque mot de Noah, la veille, tournait encore en boucle dans ma tête.
Mais je n’avais pas le temps de me perdre dans ses silences.
Pas quand un dossier classé "top secret" attendait toujours des réponses.
Je rejoignis Laura a l’accueil. Elle tapotait sur son clavier, concentrée, les sourcils légèrement froncés. Elle releva les yeux dès que j’entrai.
— J’ai regardé de nouveau ce matin, dit-elle sans préambule. Le nom de Julian R. est complètement effacé du système. Même les anciennes sauvegardes sont vides. C’est pas une suppression classique. C’est une purge.
Je haussai les sourcils.
— Une purge ?
Elle hocha la tête, l’air grave.
— Quelqu’un a voulu qu’il disparaisse. Totalement. Pas juste qu’on l’oublie… qu’on pense qu’il n’a jamais existé.
Un frisson me traversa.
— T’as pu récupérer quelque chose ? Même une trace ?
Laura hésita, puis fit pivoter son écran vers moi.
— Juste ça. C’est un bout d’un ancien enregistrement audio. Mal en point, coupé au milieu. Mais écoute.
Elle lança la lecture. Une voix masculine, déformée, à peine audible, murmura dans un souffle :
« … pas censé être là… si Noah découvre… »
Puis le fichier se coupa net.
Mon sang ne fit qu’un tour.
— Tu crois que c’est Julian ?
Laura haussa les épaules.
— Peut-être. Ou quelqu’un qui parlait de lui. Ou de Noah. En tout cas, ce lien familial, c’est la clé. On creuse pas le bon dossier. Faut chercher autour. Pas juste Julian. Ceux qui l’ont approché. Ceux qui l’ont vu disparaître.
Je croisai les bras, mon esprit déjà en train de bouillonner.
— On retourne aux archives ce soir.
Laura me fixa un instant, puis hocha lentement la tête.
— Mais cette fois, on va plus loin.
Je quittai l’accueil avec l’intention de me changer les idées. Mais à peine avais-je traversé le couloir que je le vis.
Noah, assis seul dans la cour intérieure, un café à moitié vide à la main. Le soleil filtrait à travers les branches nues des arbres, dessinant des ombres mouvantes sur son visage. Il avait l’air ailleurs. Fatigué.
J’hésitai une seconde. Puis je m’approchai, presque sans bruit.
— Tu comptes broyer du noir encore longtemps, ou… tu laisses une place à quelqu’un d’autre pour t’y aider ?
Il releva lentement les yeux vers moi. Un sourire, à peine perceptible, effleura ses lèvres.
— Ça dépend. Tu veux m’aider ou juste m’enfoncer plus loin dans le noir ?
Je haussai une épaule, m’installant près de lui sur le banc.
— J’sais pas encore. Mais j’écoute.
Silence. Long. Pas pesant, pourtant. Plutôt… chargé.
Noah joua avec le gobelet entre ses doigts. Puis il parla, d’une voix plus grave que d’habitude.
— Tu sais ce que ça fait, Lexie… de sentir que quelque chose t’échappe. Que tu perds le contrôle. Que t’essaies de protéger un souvenir… mais qu’il finit toujours par te hanter ?
Je ne répondis pas. J’avais l’impression que s’il s’arrêtait, je n’aurais plus jamais droit à ces fragments.
Il reprit, le regard toujours ailleurs.
— J’ai vu un gamin, hier. Quinze ans à peine. Même regard que Julian. Même colère contenue. Et j’ai rien pu faire. Juste… regarder. Comme avant.
Sa gorge se serra. Moi aussi.
— C’est pour ça que t’as flanché ? demandai-je doucement.
Il hocha la tête. Un seul mouvement, mais plein de poids.
— Je me suis promis de plus jamais être témoin sans agir. Mais à chaque fois que je crois avoir tourné la page… il revient.
Il se tourna vers moi.
— Et toi, Lexie. Pourquoi tu continues à creuser ? Pourquoi tu me regardes toujours comme si t’étais prête à comprendre… même ce que je dis pas ?
Son regard me cloua sur place. Il n’y avait pas d’attaque dans sa voix. Juste une sincérité désarmante.
— Parce que je veux comprendre, murmurai-je. Et parce que je vois que t’as besoin de quelqu’un. Même si t’es pas prêt à l’admettre.
Nos regards se croisèrent. Longtemps. Et là, dans cet instant suspendu, quelque chose bascula. Ce n’était pas encore de l’amour. Mais c’était plus que de l’intérêt.
C’était le genre de tension qui prend racine dans les silences, les blessures partagées, et les secrets trop lourds pour un seul cœur.
Je baissai les yeux, un peu troublée.
— Je dois y aller. On a… du travail.
Je me levai. Il me suivit du regard, sans un mot.
Alors que je tournais les talons, il lâcha, à voix basse :
— Fais attention à ce que tu cherches, Lexie. Tu pourrais finir par le trouver.
La voix de Noah résonnait encore dans ma tête alors que je rejoignais Laura, une boule dans la gorge.
« Fais attention à ce que tu cherches, Lexie. Tu pourrais finir par le trouver. »
Mais c’était trop tard. On avait déjà mis les pieds dedans. Et plus je creusais, plus j’avais besoin de savoir. Ce n’était plus seulement une intuition. C’était devenu viscéral.
Quand j’arrivai au poste, Laura m’attendait devant la porte du local archives, un badge d’accès à la main et cet air qu’elle ne prenait que dans les moments graves.
— Tu sais qu’on est complètement folles, hein ? me lança-t-elle sans humour.
— Oui. Et c’est exactement pour ça que t’es là avec moi.
Elle esquissa un sourire en coin, nerveux. Puis on entra.
L’odeur familière de papier vieilli et de poussière nous enveloppa immédiatement. La lumière au néon clignotait faiblement, rendant l’atmosphère encore plus sinistre qu’à notre première visite.
Cette fois, on savait où chercher.
Section C-4.
Je sentais l’adrénaline grimper en moi à chaque pas. Comme si ce qu’on allait découvrir allait tout changer. Parce que c’était peut-être vrai.
Laura ouvrit le tiroir du meuble métallique, et ses doigts commencèrent à fouiller, précis, rapides. Je fis de même. Pendant de longues minutes, on ne dit rien. On fouillait. On cherchait un indice. Un mot. Une trace.
Et puis, soudain, Laura s’arrêta.
— Regarde ça, souffla-t-elle.
Elle me tendit un dossier plié en deux, dont la couverture était froissée, presque déchirée par endroits.
Pas de nom. Juste une annotation à l’encre rouge :
« NON CLASSABLE – R. 2007 »
Mon cœur se mit à battre plus fort.
Je l’ouvris.
Et là, au milieu des pages incomplètes, des documents à moitié arrachés et des rapports flous… un prénom revenait. Encore et encore.
Julian R.
Et une mention étrange, griffonnée à la main :
« Dérogation spéciale – intervention non répertoriée. Mort suspecte. Dossier scellé par ordre interne. »
Je levai les yeux vers Laura, la gorge sèche.
— On vient de mettre les doigts dans quelque chose de bien plus gros que prévu…
Je refermai doucement le dossier, le cœur battant.
Laura me regardait sans un mot, comme si elle aussi sentait que ce qu’on venait de trouver dépassait tout ce qu’on avait imaginé.
— On arrête là pour ce soir, murmura-t-elle.
J’hochai la tête, incapable de parler. J’avais la gorge serrée, l’esprit en feu.
On remit le dossier exactement où on l’avait trouvé, comme deux voleuses quittant une scène de crime.
En sortant, je me retournai une dernière fois vers les étagères plongées dans la pénombre.
Quelque chose me disait qu’on venait à peine d’effleurer la surface.
Et que ce qu’on allait découvrir ensuite… changerait tout.
Je pris le métro, mes pensées vagabondant à mesure que les stations défilaient, et regagnai mon appartement sans précipitation. Lorsque je poussai la porte, une obscurité presque palpable m'enveloppa immédiatement. L'air semblait plus lourd, comme si l'absence de lumière pesait sur les murs eux-mêmes. Je posai un regard furtif sur le porte-manteau : le manteau de Tom n'y était pas. Un frisson traversa mon esprit, et je fronçai les sourcils, une pointe de doute s'immisçant en moi. Je fis un pas en avant, traversant le hall silencieux. Pas un bruit. Rien que le vide, vaste et étrange.
Je jetai un coup d'œil à mon téléphone, mais aucun message de sa part, rien qui m'indique où il aurait bien pu être. Un doute sournois commença à m'envahir. Je n'arrivais pas à me défaire de cette pensée intrusive : et s'il me cachait, lui aussi, des choses ? Si, derrière ses silences, se cachait une vérité que je ne voulais pas voir ?
L'ombre de l'absence de Tom planait sur l'appartement. Je ne savais pas encore ce que cela signifiait, mais quelque chose en moi pressentait que tout venait de basculer.
*****
Tu es arrivé(e) jusqu’ici, et ça me fait super plaisir
Laisse-moi un petit "j’aime" ou dis-moi ce que tu as pensé de ce chapitre en commentaire, je lis tout avec attention !
La suite arrive vite, reste dans les parages !
— Sacha
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