Chapitre 9

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Cela faisait trois jours.

Trois jours que l’homme avait été embarqué, hurlant mon prénom comme si j’étais la cause de tous ses malheurs. Trois jours que je faisais semblant que tout allait bien, derrière le comptoir, avec ce sourire poli que je collais sur mon visage comme un masque.

Mais à l’intérieur, tout était fissuré.

Je n’en avais parlé à personne. Ni à Laura, qui m’observait parfois du coin de l’œil avec une inquiétude qu’elle n’osait plus exprimer. Ni à mes supérieurs. Ni à Tom, évidemment. Il avait recommencé à dormir à la maison, mais nos silences étaient plus lourds que nos disputes.

Je vivais en apnée.

Et chaque fois que la porte du commissariat s’ouvrait, mon cœur faisait un bond. Comme si j’attendais qu’il revienne. Ou que quelque chose d’encore pire arrive.

Mais ce soir-là, après une journée épuisante de paperasse, je pensais pouvoir enfin souffler.

Je pris mon manteau, fermant rapidement mon casier, et je traversai l'accueil d’un pas rapide, la tête pleine de tout sauf de ce qui m’attendait.

Quand je sortis dans la rue, l’air frais me frappa au visage, mais l’ombre du bâtiment derrière moi me laissa une étrange sensation de claustrophobie. J’adorais marcher après une journée de travail, c’était mon petit moment de paix. Mais ce soir-là, la rue semblait déserte. Trop calme.

Je n’avais pas fait dix pas lorsque je l’aperçus.

L’homme.

Il était là, accoudé contre une voiture garée sur le trottoir, son regard posé sur moi. Un sourire froid, tordu, aux lèvres. Je m’arrêtais instinctivement, une vague de peur me glaçant tout à coup les jambes. Mon cœur se mit à battre plus vite.

Tu pensais vraiment m’échapper, hein ? lança-t-il d’une voix rauque, comme un souffle coupé.

Mon estomac se tordit. Il s’approchait lentement, son corps lourd, menaçant. Je n’arrivais pas à bouger, mes pieds plantés au sol comme si je n’avais plus la force de fuir. Il n’avait pas l’air saoul, juste fou de rage.

— Je… je vais appeler du renfort, tentai-je de dire, ma voix tremblant malgré moi. Ne faites pas de bêtises.

Il éclata de rire, un rire qui fit écho dans la rue déserte.

— T’es mignonne quand tu fais semblant de m’intimider. Tu veux que je te montre vraiment ce que c’est que d’être humiliée, Lexie ?

Je fis un pas en arrière, la peur me paralysant. Il leva la main, comme pour me saisir, mais au même moment, une voix familière retentit.

— Hé, toi ! Lâche-la tout de suite !

Je me retournai instinctivement. Noah se tenait là, à quelques mètres, le regard dur. Il s’avançait sans hésiter, les poings serrés.

— Si tu veux t’en prendre à quelqu’un, commence par moi, lança-t-il en s’interposant entre nous.

L’homme sembla d’abord hésiter, puis, dans un cri de rage, il se rua sur Noah, le frappant violemment dans le ventre. Un coup rapide, brutal, mais Noah encaissa sans flancher. Il attrapa l’agresseur par le bras et, d’un mouvement habile, le fit chuter au sol, le maintenant fermement.

— Reste là, Lexie, ordonna Noah, les yeux fixés sur moi.

Je n’avais même pas réalisé que je tremblais jusqu’à ce qu’il me le dise. Mon corps se mit à réagir en sursis. J’étais en sécurité, mais je ne pouvais pas m’empêcher de penser à la proximité de la menace.

Noah maîtrisait l’homme, mais il ne le lâcha pas tout de suite. Une fois l’agresseur bien immobilisé, il appuya son genou sur son dos et cria.

— Appelle la patrouille, Lexie !

Je repris mes esprits, rapidement. Mon téléphone était dans ma main, et mes doigts tremblaient alors que je composais le numéro des renforts. En attendant, Noah restait là, impassible, surveillant l’homme, son regard porté sur moi, comme une promesse silencieuse de protection.

Le dépôt de plainte fut rapide, mécanique.

Les questions des collègues résonnaient dans ma tête comme des gouttes d’eau sur du métal. Nom, prénom, heure de l’agression. Description des faits. Est-ce qu’il m’avait touchée ? Est-ce que je voulais porter plainte ?

Je hochais la tête. Oui. Oui. Oui.

Mais dans ma gorge, chaque mot était une brûlure. J’avais l’impression de mentir, même en disant la vérité. Tout sonnait faux. Comme si ce n’était pas vraiment moi qui avais vécu cette scène.

Noah restait près de moi. Pas trop près. Juste assez pour que je sente sa présence, sans qu’il envahisse mon espace. Il n’avait pas besoin de parler. Il avait compris.

Quand je rentrai chez moi ce soir-là, Tom n’était pas là. Une note posée sur la table. “Sorti avec des potes. Ne m’attends pas.”

Je n’attendis pas. Je pris une douche brûlante, m’enroulai dans une couverture et m’effondrai dans le lit. Mais je ne dormis pas vraiment.

Je tombai.

D’abord dans un sommeil agité, puis dans ce gouffre où je n’étais plus adulte, plus flic, plus forte.

J’étais une enfant.

Je suis enfermée dans ce placard dans lequel je me suis retrouvée beaucoup trop de fois. Je tape fort contre la porte et hurle à m’en casser la voix. Les larmes coulent sans s’arrêter et je supplie qu’on m’ouvre la porte, que je ne recommencerai plus.

Je me réveillai en sursaut, haletante, le visage trempé de sueur. Mon cœur cognait contre ma poitrine comme s’il voulait en sortir. Il me fallut plusieurs secondes pour comprendre que j’étais dans ma chambre, en sécurité.

Enfin, en apparence.

Je me redressai dans le lit, le souffle court. Trop court. L’air ne rentrait plus.

Mon cœur battait à tout rompre. Comme s’il voulait exploser. Mes mains tremblaient, mes jambes aussi. Et cette sensation dans ma poitrine, comme si quelqu’un y avait planté un poing fermé.

Je posai les pieds au sol. J’avais besoin d’air. Besoin de sortir. De fuir. Mais mes jambes refusaient de m’obéir.

Une goutte de sueur glissa le long de ma tempe. Mon champ de vision se rétrécissait.

Je n’arrivais plus à penser. Plus à respirer.

C’était comme revenir dans ce fichu placard.

La même panique.
La même solitude.
Le même silence.

Je n’arrivais plus à penser. Plus à respirer.

Mon téléphone était là, posé sur la table de chevet. Sans réfléchir, mes doigts l’attrapèrent. Comme un réflexe. Comme une bouée de secours. Je ne savais même pas quel numéro je composais.

Une sonnerie. Puis une autre.

— Lexie ?

La voix de Noah. Calme. Présente.

Je ne répondis pas. Je n’arrivais pas. Seuls mes sanglots passaient, rauques, désordonnés.

— Lexie, respire. Écoute-moi. Respire avec moi, ok ? Inspire… doucement… voilà. Expire. Encore une fois. Je suis là.

Sa voix était comme un fil auquel m’accrocher dans le noir. Un fil tendu mais solide.

— T’es en sécurité, Lexie. C’est fini. Tu es dans ta chambre. Rien ne peut t’arriver. Je suis là, tu m’entends ?

Je hochai la tête, sans savoir s’il pouvait le voir. Je me laissai guider par ses mots, essayant de caler ma respiration sur la sienne. Inspirer. Expirer. Encore.

Peu à peu, le chaos se fit moins violent. Mon souffle s’apaisa, même si mes mains tremblaient encore.

— Tu veux que je vienne ? demanda-t-il doucement.

Je n’en savais rien. Peut-être que oui. Peut-être que non. Mais j’étais trop fatiguée pour répondre. Trop écorchée.

— Reste juste au bout du fil, soufflai-je enfin.

— Aussi longtemps que tu veux.

Le silence s’étira entre nous, mais ce n’était pas un silence gênant. C’était un silence habité.

Je sentais encore des sanglots se coincer par moments dans ma gorge, mais je n’avais plus besoin de les repousser. Il ne disait rien. Il attendait.

Il était là. Et c’était suffisant.

Je m’allongeai sur le côté, le téléphone serré contre mon oreille. J’écoutais sa respiration de l’autre côté du fil. Stable. Rassurante.

— Tu es toujours là ? murmurai-je.

— Toujours, répondit-il sans hésiter.

Je fermai les yeux.

Pour la première fois depuis des jours, je ne me sentais plus complètement seule.

Je ne sais pas quand le sommeil m’a reprise. Juste que Noah était encore là, au bout du fil, lorsque mes pensées se sont éteintes.

***

Noah

Elle ne parlait plus.

Mais je savais qu’elle ne dormait pas encore.

Je restai là, allongé sur mon lit, le téléphone collé à l’oreille, à écouter sa respiration. Elle devenait plus lente. Moins saccadée.

Elle s’endormait.

Et moi, je fixais le plafond comme un con, à me demander depuis quand je m’inquiétais autant pour elle. Depuis quand sa voix pouvait me foutre un frisson dans le dos, comme si c’était mon propre corps qui flanchait.

J’aurais voulu être là. Pas au bout du fil. Pas à des kilomètres.

Mais je savais qu’elle ne l’aurait pas supporté. Pas ce soir.

Alors je suis resté. Silencieux. Présent.

Quand j’ai entendu son souffle se régulariser, j’ai fermé les yeux.

— Dors bien, Lexie, murmurai-je, même si elle ne pouvait plus m’entendre.

Et je suis resté là. Encore un peu. Juste au cas où.

*****

Tu es arrivé(e) jusqu’ici, et ça me fait super plaisir

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La suite arrive vite, reste dans les parages !

— Sacha

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