Chapitre 14

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Je ne me souvenais plus du moment où mes jambes avaient cessé de me porter.

Juste de ses bras autour de moi. Fermes. Protecteurs.

Du balancement léger de ses pas. De la chaleur de son torse contre ma joue.

Noah me portait.

À travers la boutique.

À travers les regards.

Comme si j’étais faite de porcelaine. Comme si le monde autour n’existait plus.

Je gardais les yeux fermés.

Trop de lumière. Trop de bruit. Trop de tout.

Il ouvrit doucement la portière de sa voiture et m’installa sur le siège passager.

Avec une délicatesse que je n’avais plus connue depuis longtemps.

Comme si chaque geste voulait me dire : tu es en sécurité maintenant.

Je frémis malgré moi.

Le contact du cuir froid, la ceinture qu’il boucla pour moi, ses doigts effleurant ma main.

Tout me semblait irréel.

Il contourna la voiture, prit le volant, mais ne démarra pas tout de suite.

Il me regarda.

— Tu veux qu’on aille chez moi ? Ou ailleurs ? Où tu veux, Lexie.

Je mis quelques secondes à répondre.

Ma gorge était encore trop serrée pour parler.

Mais j’hochai la tête. Oui. Chez lui.

Il comprit.

Et en silence, il démarra.

Le trajet fut silencieux.

Pas un mot. Juste la route qui défilait et le moteur qui ronronnait doucement, comme pour ne pas me brusquer.

Quand la voiture s’arrêta enfin, je levai lentement les yeux.

Un immeuble. Des briques rouges. Une lumière tamisée dans le hall.

Noah descendit, fit le tour, ouvrit ma portière.

— Tu peux marcher ou tu veux que je t’aide ?

Je pris une inspiration. Mes jambes tremblaient un peu, mais j’acquiesçai.

— Je vais essayer.

Il ne me força pas. Il me tendit simplement la main.

Et je la pris.

On monta en silence. Deux étages. Une odeur de propre, de linge frais.

Devant sa porte, il sortit ses clés, mais avant d’ouvrir, il se tourna vers moi.

— Tu n’as rien à dire, Lexie. Pas maintenant. Pas si tu n’en as pas la force.

Je baissai les yeux. Il avait compris. Tout.

Il ouvrit. Me fit entrer.

L’appartement était simple, chaleureux. Une lumière douce, des photo un peu partout, un plaid jeté sur le canapé.

Rien qu’en y posant le pied, j’eus envie de pleurer à nouveau.

De soulagement cette fois.

Je restai debout, hésitante.

— Tu veux t’asseoir ? Ou prendre une douche ? Un thé ? Ce que tu veux. Y’a pas de règles ici.

Je hochai la tête. Juste ça. Trop de mots. Trop d’émotions.

Je n’en pouvais plus.

Il me guida jusqu’au canapé. Je m’y laissai tomber, épuisée.

Et quand il s’assit à côté de moi, sans parler, sans poser de questions…

Juste là, silencieux, présent…

C’est là que j’ai compris que je venais de franchir un point de non-retour.

Je n’étais plus chez lui.

J’étais en train de me retrouver, chez moi.

J’appuyai ma tête contre son épaule.

Il ne dit rien. Ne bougea pas.

Puis, doucement, il commença à passer ses doigts dans mes cheveux. Des gestes lents.

Apaisants.

Des papouilles presque enfantines, comme si son seul but était d’effacer, un à un, les morceaux de peur qui me collaient encore à la peau.

Je fermai les yeux, bercée par ce silence doux et la chaleur de sa présence.

Et sans m’en rendre compte, mes pensées se dissipèrent.

Ma respiration se fit plus calme. Mon corps, plus lourd.

Et je sombrai dans un sommeil profond, la tête posée contre l’épaule de celui qui, pour la première fois depuis longtemps, ne cherchait rien…

Juste à être là.

***

Noah

Elle dort.

Enfin.

Sa tête contre mon épaule, son souffle plus lent.

Mais moi, je fixe le mur. Incapable de fermer les yeux.

Parce qu’il y a des souvenirs qui ne dorment jamais.

C’était un samedi. Je m’en souviens parce que Julian était toujours plus en forme les week-ends.

Il était venu frapper à ma porte, un paquet de chips dans une main, sa trottinette dans l’autre.

— Viens, on bouge un peu. Skate park, peut-être le match après. J’te paye une glace si t’es sage.

Je souriais déjà. Mais j’avais d’autres plans ce jour-là.

— J’peux pas, frangin. J’ai… un rencard.

Il avait roulé des yeux. Exagérément.

— Ah ouais, Lise ?

— Ouais.

— T’abuses, t’es tout le temps avec elle maintenant.

Il rigolait, mais j’ai senti une pointe de déception.

— Une autre fois, j’te jure.

— Tu dis toujours "une autre fois", Noah.

Il était déjà sur le palier quand il m’a lancé ça.

J’ai haussé les épaules. J’ai fermé la porte.

Et je n’ai plus jamais revu mon frère vivant.

Parfois, je me demande…

Et si j’étais sorti ce jour-là ?

Est-ce qu’il aurait pris une autre rue ? Est-ce qu’il aurait été en retard ? Est-ce qu’il aurait encore été là ?

On croit toujours qu’on a le temps.

Mais non.

La vie frappe vite. Fort. Et elle laisse des silences qu’aucun cri ne pourra jamais combler.

Alors quand elle, Lexie, me serre la main comme si elle allait se noyer…

Je reste.

Parce qu’on ne m’y reprendra pas. Pas encore

***

Lexie

Je ne sais pas ce qui m’a réveillée en premier.

Le silence. La chaleur. Ou peut-être l’absence de peur.

C’était… nouveau.

Je clignai des yeux. La lumière était douce, tamisée. Un rayon filtrait à travers les rideaux.

Et il était toujours là.

Noah.

Son épaule contre la mienne, son souffle calme, ses doigts dans mes cheveux. Immobile.

Veillant.

Comme s’il avait veillé toute la nuit.

Je restai là, sans bouger. Parce que pour une fois, je n’avais pas envie de fuir.

Pas envie de m’éloigner. Pas envie de me refermer.

Je sentais encore cette fatigue au creux de mes os, mais elle n’avait plus la même forme. Ce n’était plus une ancre. C’était juste… du repos. Enfin.

Je glissai un regard vers lui. Il avait l’air ailleurs. Perdu dans ses pensées.

Un pli entre ses sourcils. Comme si même dans le calme, quelque chose l’habitait.

Quelque chose de douloureux.

Je me surpris à vouloir poser la main sur sa joue. Le rassurer, lui. Lui dire que moi aussi, je pouvais rester.

Mais je n’osai pas encore.

Alors je murmurais, à peine plus qu’un souffle :

— Merci, Noah.

Ses yeux se tournèrent vers moi. Pas de mots, pas de sourire exagéré. Juste cette présence. Silencieuse. Entière.

Et dans ce regard-là, je compris que je n’étais pas la seule à porter des fantômes.

Mais qu’à deux, peut-être… peut-être qu’on pouvait apprendre à vivre avec.

Il ne répondit pas tout de suite.

Ses yeux restèrent plongés dans les miens un peu plus longtemps que nécessaire. Comme s’il essayait de deviner jusqu’où il pouvait aller. Jusqu’où je le laisserais entrer.

Puis, il baissa légèrement la tête, presque un sourire au coin des lèvres.

— T’as pas besoin de me remercier, tu sais.

Je haussai doucement les épaules. Mes doigts jouaient nerveusement avec le bord du plaid.

— Je crois que si. Pour… hier. Pour tout.

Un silence.

Pas gênant. Juste… dense.

Il hocha lentement la tête, comme s’il acceptait le merci sans vraiment savoir quoi en faire.

— Tu veux un café ? Ou un thé ? Ou… tu veux juste rester là encore un peu ?

Je regardai autour de moi. Cet appartement, je ne le connaissais pas, mais il avait quelque chose d’apaisant. À l’image de lui. Pas de faux-semblants. Pas d’attente. Juste une présence.

— Là, c’est bien.

Il hocha la tête, comme soulagé. Et puis, sans que je m’y attende, il dit, presque dans un souffle :

— Tu m’as fait peur, hier.

Je tournai lentement la tête vers lui. Il regardait le mur, pas moi. Mais sa mâchoire était un peu plus tendue.

— J’ai vu ton regard. J’ai reconnu ce vide.

Et soudain, j’avais envie de pleurer.

Pas de tristesse. Mais de ce genre de larmes qu’on retient trop longtemps. Celles qui naissent quand quelqu’un comprend, vraiment.

Je murmurai :

— J’avais l’impression d’être en train de couler. Et personne ne me voyait.

Il tourna enfin la tête vers moi. Son regard n’était pas choqué. Ni compatissant. Juste… vrai.

— Je sais ce que c’est.

Je hochai la tête, les yeux brûlants.

— Et toi ? Tu coules encore ?

Il eut un petit rire, sans joie.

— Moins, maintenant. Mais y’a des jours… où l’eau monte vite.

Un battement de silence. Puis il ajouta, un peu plus bas :

— J’ai perdu quelqu’un aussi.

Je ne dis rien. Je n’avais pas besoin de détails. Juste ces mots suffisaient. Parce que dans cette pièce, à cet instant, il n’y avait plus de masques.

Plus de protection.

Juste deux âmes cabossées qui, pour une fois, n’avaient plus besoin de faire semblant.

Je posai doucement ma main sur la sienne.

Il la retourna, sans un mot, et entrelaça nos doigts.

Et là, sans promesse, sans explication, sans futur défini…

Juste là, dans le silence…

On commença à guérir.

Et dans le creux de son silence, j’ai senti, pour la première fois, le monde cesser de hurler.

*****

Tu es arrivé(e) jusqu’ici, et ça me fait super plaisir

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La suite arrive vite, reste dans les parages !

— Sacha

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