Chapitre 15
L’odeur du café me tira doucement d’un sommeil léger, presque flottant.
J’ouvris les yeux, encore engourdie, tandis que le voile de la nuit s’effaçait lentement.
Le canapé. Le plaid autour de moi. La lumière douce du matin filtrant à travers les rideaux.
Le silence apaisant de l’appartement.
Et Noah.
Je me redressai à peine, les cheveux en bataille, le corps encore enveloppé de cette fatigue douce — non plus une ancre, mais un repos mérité.
Dans la cuisine, dos tourné, il versait quelque chose dans une poêle. Un sourire flottait au coin de ses lèvres, comme si rien ne pouvait troubler ce matin-là.
— T’as dormi longtemps, marmotte, lança-t-il sans se retourner.
Je souris malgré moi.
— J’ai dû me rendormir après… sans faire exprès.
— Tu tombes bien. J’allais justement déclarer la guerre à ces pancakes.
Il se retourna, spatule à la main, l’air faussement sérieux.
— Tu veux m’aider, ou tu préfères admirer mes talents de chef étoilé ?
Je haussai un sourcil.
— Aider. Juste pour pouvoir juger plus facilement après.
Noah me tendit un bol avec un clin d’œil complice.
— Tiens, mademoiselle la critique culinaire, à toi l’honneur pour la pâte.
Je pris le bol sans broncher, mais avec un sourire en coin. Il s’éloigna vers le frigo pour chercher les œufs. J’en profitai pour saisir le paquet de farine, l’ouvrant avec un peu trop d’élan.
Un petit nuage blanc s’échappa et vint se poser sur le plan de travail… et un peu sur moi aussi.
Noah revint, haussa un sourcil.
— Tu cuisines ou tu invoques les esprits ?
Je lui lançai un regard faussement outré, puis prélevai une pincée de farine entre mes doigts.
— Très drôle.
Et je la lançai doucement dans sa direction.
Elle lui atterrit en plein sur le col noir de son t-shirt.
Il baissa les yeux, lentement. Puis releva la tête vers moi, l’air mi-amusé, mi-menaçant.
— Tu viens de signer ton arrêt de mort.
Avant que j’aie le temps de reculer, il plongea la main dans le paquet et m’envoya une petite pluie blanche en plein torse.
Je poussai un cri, moitié surprise, moitié hilare.
— Noah !
— Quoi ? Tu as commencé !
Je tentai de riposter, mais il fut plus rapide. Il m’attrapa par le bras pour m’empêcher de bouger, tout en me saupoudrant de farine comme un gâteau à décorer.
Ce geste anodin déclencha en moi une réaction immédiate, viscérale.
En un éclair, je n’étais plus dans cette cuisine. J’étais de retour dans mon appartement. Avec Tom. Le carrelage froid sous mes pieds. La peur dans ma gorge.
Mes larmes montèrent d’un coup, incontrôlables. Je me débattis, paniquée, et ma voix se brisa :
— Lâche-moi… lâche-moi, s’il te plaît…
Noah recula aussitôt, les mains en l’air, le visage bouleversé.
— Lexie… je… qu’est-ce qui se passe ?
Mes pleurs redoublèrent instantanément. Sans réfléchir, je me jetai dans les bras de Noah, qui me serra aussitôt.
Je m’accrochais à lui de toutes mes forces, comme à un rocher, seule chose solide entre moi et le vide.
Il ne bougea pas. Ne dit rien pendant un moment. Il se contenta de me tenir, fermement mais sans force, comme s’il savait que j’avais besoin de ça — juste ça.
Puis, sa voix, douce, presque un murmure, rompit le silence.
— C’est… à cause de quelqu’un ?
Je hochai la tête contre son torse, incapable de parler tout de suite. Un sanglot étouffé me traversa encore.
Il attendit. Sans me presser.
— Quelqu’un qui t’a fait du mal ?
Un temps.
Puis un souffle, à peine audible.
— Oui.
Sa main remonta lentement le long de mon dos, sans insistance. Il me laissait l’espace de fuir ou de rester. Je restai.
— Tu n’as pas à m’en parler si tu n’en as pas envie, dit-il simplement. Mais… je suis là, d’accord ?
Je respirai un peu mieux. Juste un peu. Et mes doigts agrippés à son t-shirt se desserrèrent légèrement.
— C’était quelqu’un que j’aimais. Ou que je croyais aimer, ajoutai-je dans un murmure.
Il ne répondit pas. Mais je sentis son corps se tendre imperceptiblement, comme s’il voulait me protéger d’un fantôme.
— Il a pris beaucoup. Trop, avouai-je. Et parfois, il suffit d’un geste… pour que tout remonte.
— Comme tout à l’heure…
Je hochai la tête à nouveau.
— Tu ne pouvais pas savoir.
Il resserra son étreinte, juste un peu.
— Maintenant je sais. Et je ferai attention.
Ses mots me touchèrent plus qu’il n’aurait pu l’imaginer.
Un coup sec résonna soudain contre la porte d’entrée. Trois frappes rapides, trop assurées pour appartenir au hasard.
Je me raidis aussitôt dans ses bras, comme si la réalité venait de me rattraper d’un coup.
Noah tourna la tête vers la porte, surpris. Il murmura, presque à lui-même :
— C’est trop tôt pour des témoins…
Je me détachai de lui brusquement, le cœur battant. Mes yeux cherchèrent un refuge, n’importe où, loin du regard des autres.
— Je… je peux pas. Pas maintenant.
— Viens, me dit-il aussitôt, sans poser de questions.
Il m’entraîna d’un geste doux mais ferme vers sa chambre. Je le suivis sans réfléchir, les pas légers mais précipités, comme si je fuyais un danger invisible.
— Reste ici. Je reviens.
Je refermai la porte derrière moi, les mains encore tremblantes, le dos appuyé contre le bois. De l’autre côté, j’entendis la serrure grincer.
— Salut, lança une voix masculine familière.
— Léo ? s’étonna Noah.
— Je passais dans le coin. T’avais dit que t’étais de repos aujourd’hui, alors je me suis dit… pancakes ?
Noah eut un petit rire forcé.
— T’as un radar pour la bouffe, c’est pas possible.
— C’est mon super-pouvoir. Je sens les pancakes à travers les murs. Y a quelqu’un d’autre ici ?
Un silence. Léger, presque imperceptible.
— Non. Juste moi. Enfin, moi… et mes talents de chef.
Ils échangèrent quelques mots, puis le bruit de pas s’éloigna vers la cuisine.
Dans la chambre, j’avais les bras croisés sur ma poitrine, essayant de reprendre mon souffle. J’étais en sécurité. Mais mon cœur, lui, battait encore contre mes côtes comme s’il cherchait à fuir.
Là, tout était à son image : simple, ordonné, un peu trop peut-être. Des teintes neutres, des meubles sobres. Mais il y avait des traces de vie, discrètes — une montre posée sur la commode, une vieille veste suspendue au dos d’une chaise.
Je fis quelques pas, les doigts serrés autour de ma manche, hésitante. Je ne voulais pas fouiller, juste… occuper mes pensées.
Sur une étagère, plusieurs cadres étaient alignés, sagement. Des photos de famille, souriantes, vivantes.
Un couple — ses parents, sans doute. Une femme aux yeux clairs, la même lueur dans le regard que Noah. Un homme aux épaules solides, au sourire un peu réservé. Puis, une photo d’enfance : deux garçons jouant dans un jardin. L’un d’eux, un peu plus âgé, tenait l’autre par la taille, comme pour le retenir de s’envoler.
Noah. Et l’autre… il lui ressemblait. Mais ce n’était pas lui.
Je m’approchai, le cœur lent.
Sur un autre cadre, plus petit, posé à l’arrière, une photo plus récente. Cette fois, les deux garçons étaient adolescents. Le même air complice. Le même sourire tordu.
Au dos du cadre, une date griffonnée au stylo. Et un prénom.
Julian.
Je restai figée un instant, les doigts effleurant le verre.
Il y avait quelque chose de profondément silencieux dans cette photo. Comme si elle avait cessé de vivre au moment même où elle avait été prise.
Je reposai doucement le cadre à sa place, comme si un mot plus haut que l’autre pouvait briser l’équilibre fragile de cette mémoire.
Un murmure intérieur grandissait en moi. Peut-être que Noah portait, lui aussi, ses propres fantômes.
Un pas léger résonna dans le couloir. Noah ouvrit doucement la porte de la chambre, comme pour ne pas troubler le silence qui s’était installé.
Il me trouva immobile devant l’étagère, les yeux posés sur les cadres. Son regard se posa un instant sur moi, puis glissa vers la photo que je tenais, délicatement effleurée du bout des doigts.
— Tu regardes ça depuis un moment, murmura-t-il en s’approchant.
Je sursautai légèrement, surprise de sa présence, mais je ne lâchai pas le cadre.
— Je… je voulais juste… comprendre un peu mieux.
Il hocha doucement la tête, sans pression.
— C’est Julian, mon frère.
Sa voix était calme, mais teintée d’une émotion qu’il contenait difficilement.
Je tournai lentement la tête vers lui.
— Il te ressemblait. Un peu plus que je ne l’aurais cru.
Il esquissa un sourire triste.
— On nous prenait souvent pour des jumeaux, même s’il était plus vieux.
Je ne dis rien. J’écoutais.
— Julian, c’était… le soleil. Il entrait dans une pièce et tu le sentais tout de suite. Pas besoin de le voir. Il était là. Il faisait du bruit, il faisait rire. Et il comprenait les gens sans qu’ils aient besoin de parler.
Il s’arrêta. J’aperçus ses doigts se crisper légèrement.
— Il est mort il y a quatre ans.C’est arrivé si vite que parfois, j’ai encore l’impression qu’il est juste… ailleurs. Pas mort. Juste en retard.
Je m’approchai un peu, les bras croisés contre moi.
— Je suis désolée, Noah.
Il hocha la tête, les yeux fixés sur la photo que j’avais reposée.
— C’est étrange… toi, t’as regardé cette photo comme si elle avait arrêté le temps. Moi, je la regarde chaque jour en espérant qu’il y reste.
Un long silence s’installa. Pas gênant. Profond. Plein d’échos qu’on n’osait pas encore nommer.
Et puis, doucement, je vins m’asseoir à côté de lui. Sans parler. Sans poser de questions.
Juste… là.
Ce jour-là, sans serment ni bruit, on a laissé nos silences s'effleurer — comme une promesse que même nos blessures finiraient par se reconnaître.
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Tu es arrivé(e) jusqu’ici, et ça me fait super plaisir
Laisse-moi un petit "j’aime" ou dis-moi ce que tu as pensé de ce chapitre en commentaire, je lis tout avec attention !
La suite arrive vite, reste dans les parages !
— Sacha
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