Chapitre 21
La journée passa sans vraiment exister.
Un dimanche suspendu, flou, entre deux silences. J’errais dans l’appartement comme une invitée de trop, incapable de rester, incapable de partir. Noah était là, quelque part, mais distant. Comme s’il avait lui aussi besoin d’espace. Ou peut-être que c’était moi.
On se parlait peu. Juste l’essentiel. Un café posé sur la table. Un "merci" murmuré sans lever les yeux.
Rien n’avait été dit à propos de la veille. Ni sur Emma. Ni sur ce que j’avais entendu. Ça flottait entre nous, cette chose étrange, pesante, qu’on n’osait pas toucher.
J’aurais voulu lui demander s’il pensait à elle. À ce qu’elle avait dit. À moi. Mais je n’avais pas la force de tendre un fil qu’il ne tiendrait peut-être pas.
Alors je suis restée là. À faire semblant de ne pas attendre. À faire semblant d’aller bien.
Le réveil me vrilla les tempes. J’avais dormi quelques heures, à peine. Assez pour que mes yeux piquent, pas assez pour que mon cœur s’apaise.
Je bus un café froid, en silence, le regard perdu dans ma tasse. Noah était déjà prêt. Il ne dit rien. Moi non plus. On se contenta d’un échange de regards trop rapides pour être honnêtes.
Le trajet jusqu’au commissariat fut court. Ou long. Je ne sais plus. J’avais juste envie que cette journée passe, qu’elle m’écrase, me vide, me distraie.
Mais même là-bas, dans le bruit des claviers et les voix qui se croisent, je sentais encore ce truc. Cette tension, discrète mais bien là. Comme un mot qu’on ne veut pas prononcer, alors qu’il brûle déjà toutes les lèvres.
Noah m’évitait un peu. Ou c’est moi qui le fuyais. Je savais pas trop. On faisait semblant, chacun à notre façon.
Et pourtant, au fond, je crois qu’on savait que ça finirait par exploser.
Je venais à peine de m’asseoir à mon poste que Laura débarqua, un gobelet à la main et son éternel sourire accroché aux lèvres.
— T’as une sale tête, me lança-t-elle en guise de bonjour. Cadeau du lundi matin : café dosé comme un uppercut.
Je relevai les yeux, forcée de sourire un peu malgré moi.
— Merci. T’es un ange.
Elle s’installa sur le coin de mon bureau, sans vergogne, et m’observa comme si elle cherchait à lire entre mes cernes.
— Week-end pourri ? demanda-t-elle, mi-curieuse, mi-sérieuse.
Je haussai les épaules, évitant son regard.
— Disons… compliqué.
Elle fronça les sourcils, mais n’insista pas tout de suite. Laura savait quand pousser, et surtout, quand se taire.
— Il est au courant, Noah ? finit-elle par demander doucement.
Je lâchai un petit rire, sans joie.
— Oh oui. Il est même au cœur du truc.
— Oh. Dit comme ça, j’ai presque envie de m’asseoir avec du popcorn.
Je secouai la tête, un peu amusée malgré moi.
— Non. C’est pas drôle, Laura.
Elle reprit un ton plus doux, plus sincère.
— Je sais. Je plaisante juste pour pas te secouer. Mais tu veux m’en parler ?
Je pris une gorgée de café, hésitante.
Je respira profondément et me lanca.
— J’ai aménager avec Noah ce week-end.
— Tu as fait quoi ? Elle criat tellement fort que je cru qu’on l’entendrait jusqu’à l’autre bout de la ville.
— Parle moins fort. Lui dit-je en plaquant ma main sur sa bouche.
Elle recula légèrement, les yeux écarquillés, et chuchota cette fois :
— T’as vraiment emménagé chez lui ? Genre... avec tes affaires ? Ton oreiller ? Tes chaussettes dans son tiroir ?
Je levai les yeux au ciel.
— Oui, Laura. Tout le package. C’était pas vraiment prévu, mais… Tom m’a laissé aucun choix.
Son visage changea immédiatement. Plus de sourire, plus de blague. Juste cette ombre dans ses yeux qu’elle ne montre que quand elle comprend que les choses sont graves.
— Il t’a refait un coup ?
Je me contentai d’un hochement de tête. Pas envie de rentrer dans les détails. Pas ici. Pas maintenant.
— J’ai fui. J’ai atterri chez Noah. Il m’a proposé de rester. J’ai dit oui. C’est tout.
— C’est pas rien, Lex.
— Je sais. Mais là, j’avais juste besoin de calme. Et Noah… il me l’apportait. Du moins, c’était le cas.
Laura fronça légèrement les sourcils.
— Comment ça, “c’était” ?
Je baissai les yeux, hésitante. Puis je soufflai.
— Ce week-end, une fille a débarqué chez lui. Elle s’appelle Emma. Apparemment, elle connaissait Julian.
— Julian ? Le frère de Noah ?
— Ouais. Et franchement… elle m’a mis super mal à l’aise. Elle est entrée comme si l’appart lui appartenait, hyper à l’aise, limite collée à Noah. Et lui, il disait rien. Ça avait pas l’air de le déranger du tout.
— Sympa, la meuf.
— Le pire, c’est que quand je suis sortie de la pièce, je les ai entendus parler. Elle lui a balancé un truc du genre… qu’il s’intéressait à moi juste parce qu’il avait ce besoin de “sauver” les gens. Genre syndrome du sauveur, tu vois ?
Laura écarquilla les yeux.
— Et tu penses qu’elle a raison ?
Je haussai les épaules, un nœud dans la gorge.
— J’en sais rien. Mais ça m’a blessée. Sur le coup, j’ai préféré sortir prendre l’air… j’ai fini dans un bar. Et j’ai peut-être un peu trop bu. Quand je suis rentrée, Emma était partie. Et là, bam… on s’est pris la tête, Noah et moi. Depuis, c’est froid entre nous.
Laura poussa un long soupir, faussement dramatique.
— Eh ben, votre histoire, c’est un vrai feuilleton. Vous me fatiguez rien qu’à vous écouter, lança Laura en croisant les bras. Mais attends…
Elle se pencha un peu plus vers moi, le ton qui changea, plus sérieux.
— Cette Emma… Tu sais depuis combien de temps elle connaissait Julian ?
— Elle a pas précisé. Juste qu’ils étaient proches à l’époque.
— T’as pas son nom de famille ?
— Non, Noah l’a pas dit non plus. Et vu comment elle s’est incrustée chez lui, j’ai pas osé demander. Déjà que j’avais l’impression de trop en être.
Laura roula des yeux.
— Bon. On va faire avec ce qu’on a. Une fille prénommée Emma, proche de Julian, qui réapparaît pile maintenant, et qui balance des remarques bien placées pour te faire douter… Moi j’dis, ça sent le truc pas net.
Je hochai la tête, un peu soulagée qu’elle prenne ça au sérieux.
— J’ai eu la même impression. Elle était pas juste bizarre. Y’avait un truc chez elle… je sais pas, comme si elle voulait contrôler l’image qu’on garde de Julian. Et peut-être même celle de Noah.
— C’est louche. Tu veux qu’on farfouille un peu dans les archives ? Voir si une Emma revient dans les affaires liées à Julian ? Ou même dans ses relevés d’appels, témoignages… ?
— Oui. On a rien vu passer jusqu’ici, mais si elle était pas dans les fichiers, c’est peut-être qu’elle a été volontairement mise hors champ.
— Ou qu’elle a su s’effacer quand ça devenait trop chaud.
Je fixai Laura, une légère tension dans la poitrine.
— Tu crois qu’elle aurait pu être impliquée dans sa mort ?
Elle haussa les épaules, le regard dur.
— Je crois que personne revient après des années, l’air de rien, sans une raison précise. Et dans une histoire comme celle-là, c’est jamais anodin.
Elle attrapa son badge et se leva d’un bond.
— T’as dix minutes pour ton café ? On va fouiller un peu. Juste histoire de voir si ton intuition te mène quelque part.
Je me levai à mon tour, le cœur battant un peu plus vite.
Peut-être que ce n’était pas juste une mauvaise impression.
Peut-être que c’était le début de quelque chose.
On s’était installées dans un coin discret du bureau, là où personne ne viendrait poser trop de questions. Laura pianotait sur son clavier avec l’air concentré d’une chasseuse de trésors. Moi, j’étais restée debout derrière elle, le regard fixé à l’écran.
— OK… commença-t-elle en tapant rapidement, si elle a été entendue dans l’affaire de Julian, même de loin, son nom devrait apparaître dans les relevés ou les annexes de l’enquête.
Quelques secondes passèrent. Un premier écran de résultats apparut, vide.
— Rien, souffla-t-elle. Bizarre.
Elle affina les recherches. “Emma + Julian + commissariat de Paris”. Puis elle ajouta le nom de famille de Julian. Toujours rien.
— Attends… C’est pas possible que son nom ne figure nulle part. Elle était proche de lui, elle aurait dû être entendue, ou au moins citée.
Elle continua de taper, changeant d’approche, et finit par ouvrir une vieille pièce jointe. Une annexe du dossier d’enquête, classée dans une sous-catégorie un peu paumée.
— Bingo. Enfin… je crois, dit-elle, les yeux plissés.
Je me penchai. C’était une copie de l’inventaire des objets personnels récupérés après le décès de Julian. Rien de choquant au début : téléphone, portefeuille, carnet de croquis… mais une ligne attira mon regard.
Lettre manuscrite non signée – initiales E.M. – non exploitée
Je frissonnai.
— “E.M.”… murmurai-je. Emma… ?
Laura hocha lentement la tête.
— C’est peut-être une coïncidence. Mais t’avoueras que ça fait beaucoup, là.
— Pourquoi elle a jamais été interrogée ? Pourquoi son nom est jamais sorti ?
Elle fit défiler le fichier, mais il n’y avait rien de plus. Juste cette note, presque oubliée.
— Soit elle a été volontairement tenue à l’écart. Soit elle s’est très bien cachée.
Je me reculais légèrement, le cœur battant plus vite.
Et si Emma n’était pas juste une amie du passé ?
Et si elle avait été là… quand tout avait basculé ?
Laura se tourna vers moi, l’expression grave.
— On vient peut-être d’ouvrir une porte qu’on pourra plus refermer, Lex.
Je n’ai rien répondu.
Mais au fond de moi, je savais qu’elle avait raison.
*****
Tu es arrivé(e) jusqu’ici, et ça me fait super plaisir
Laisse-moi un petit "j’aime" ou dis-moi ce que tu as pensé de ce chapitre en commentaire, je lis tout avec attention !
La suite arrive vite, reste dans les parages !
— Sacha
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