Chapitre 2

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L’âne suivait docilement le père de Diane à travers les petites maisons de Paeonia. Ils habitaient dans les bas quartiers, dans une rue minuscule et en pente, où la terre battue se transformait souvent en boue après la pluie.

Là-bas, la misère s’invitait à chaque porte. Les odeurs de soupe claire se mêlaient à celles du linge humide, et les regards s’éteignaient un peu plus chaque hiver.

La famille de Diane n'était pas la plus à plaindre : d’autres avaient dû en venir à des extrêmes pour s’en sortir, comme Diane l’avait entendu dire.
Une rumeur persistante murmurait que certaines femmes avaient troqué leur dignité contre un morceau de pain.

Elle avait frissonné le soir où sa mère en avait parlé avec son père et sa grand-mamie.
Même si elle ne pensait pas que sa propre famille en arriverait là, elle s’était jurée de ne jamais être un poids.
Depuis, elle travaillait avec acharnement, sans jamais se plaindre.

Son père parla à peine pendant le trajet. Ce n’était pas un grand bavard, et Diane appréciait son silence autant que sa présence rassurante.
Elle put tout à loisir observer les autres élèves qui se dirigeaient vers l’Académie.
Certains étaient comme elle, issus d’un milieu modeste, mais plus ils montaient en ville, plus les rues s’élargissaient, et plus les tenues se paraient de richesses : tissus brillants, boutons dorés, chevaux lustrés.

Bientôt, Mumule, leur vieil âne au poil terne, fit tache à côté des montures racées qui portaient cavaliers et bagages.
Mais Diane s’en fichait.

Même au milieu des maisons les plus splendides et colorées de Paeonia, elle ne voyait plus rien d’autre que l’Académie : une forteresse de pierre claire, hérissée de tours étincelantes, si hautes qu’elles semblaient effleurer le ciel.

– Pas mal, hein ? s’émerveilla son père en levant la tête vers le château.

Ni lui ni sa mère n’avaient eu l’opportunité d’y entrer, faute de moyens.
Ils avaient placé en elle tous leurs espoirs, et Diane le savait.
Elle ne les décevrait pas.

Deux fois par an, les grilles de l’Académie s’ouvraient : à la rentrée et lors de l’entre-deux-cours.
C’était à la fois une promesse et une menace.
Ceux qui échouaient repartaient, leurs rêves brisés, tandis que les meilleurs restaient.

Le cycle complet durait trois ans.
Peu allaient jusqu’au bout.

Le gardien de l’Académie, un petit homme à la barbe clairsemée, affectait un emplacement aux bagages en inscrivant le nom de chaque élève dessus.

– Régis, se présenta-t-il au père de Diane.
Il jeta un coup d’œil à la liste qu’il tenait.
– Diane Calven… très bien, marmonna-t-il avant d’épingler une étiquette sur les bagages. Les malles seront apportées dans votre chambre pendant la présentation.

Diane acquiesça d’un signe de tête.
Elle savait déjà tout cela. Elle avait lu et relu les instructions des dizaines de fois avant le départ.

Elle se tourna vers son père, qui tenait Mumule par la bride, mal à l’aise, les épaules raides, comme s’il craignait de dire un mot de trop.

Diane le prit dans ses bras maladroitement – elle n’était pas habituée aux marques d’affection – puis le relâcha presque aussitôt, le cœur serré sans savoir pourquoi.

– Au revoir, Diane. On se revoit dans quelques mois, dit son père avant de lui tourner le dos.

Mais il se retourna une dernière fois :
– J’ai mis quelques pièces de bronze dans ta sacoche. Ne dis rien à ta mère si tu écris, elle n’est pas au courant. Fais-en bon usage.

Une boule se forma dans la gorge de Diane.
Son père n’était pas démonstratif, mais il prenait toujours soin d’elle, à sa manière discrète et pudique.

Elle regarda sa silhouette s’éloigner, courbée sur la bride de l’âne, jusqu’à ce qu’il disparaisse dans la foule.

Alors, elle inspira profondément et se décida à pénétrer dans le hall du château.

Comme toutes les premières années, elle portait déjà l’uniforme réglementaire : pull et pantalon vert émeraude, souliers noirs.
L’uniforme flottait légèrement sur sa silhouette mince, mais elle se tenait droite, fière, cherchant quelqu’un de bien particulier dans la foule.

Elle finit par apercevoir une jeune fille brune à la peau claire, l’air sévère, qui scrutait les nouveaux venus.

– Mélissa ! l’appela Diane.

Son amie se tourna vers elle, et ses traits se détendirent.
Diane s’autorisa un sourire.
Mélissa était une lointaine cousine du côté maternel ; elles se connaissaient depuis l’enfance et s’étaient promis de réussir ensemble.

– Enfin le grand jour, lança Mélissa en la prenant par les épaules. Il y a du monde, hein ?
– Oui, la concurrence est rude, répondit Diane.
– On va au réfectoire ? À priori, c’est là qu’aura lieu la présentation. Autant avoir de bonnes places dès le début.

Mélissa s’était préparée aussi sérieusement que Diane, peut-être même plus.
Elle était toujours impeccable, précise, là où Diane agissait souvent dans la hâte.

Elles avaient fait un pacte avant leur entrée : se soutenir sans faille, quoi qu’il en coûte.

Jouant des coudes, elles accédèrent au réfectoire et trouvèrent des places proches du pupitre.

Le réfectoire était immense et respirait l’opulence : de hautes baies vitrées filtraient la lumière dorée du matin, les poutres du plafond étaient rehaussées de dorures, et des bannières aux couleurs de l’Académie pendaient le long des murs.
De grandes tables rondes occupaient la majeure partie de la pièce.

Bientôt, tous les élèves de première année furent installés.
L’air vibrait d’excitation ; une énergie fébrile flottait dans la salle comme un frisson collectif.

Diane, elle, sentait ses mains se crisper sur ses genoux.
Elle tenta de respirer calmement, mais son cœur battait trop vite.
Mélissa ne parlait plus non plus.

Le silence tomba quand entrèrent cinq personnes vêtues de lourdes étoffes noires.
Leurs pas résonnaient sur le sol de marbre.

Un homme aux cheveux aussi noirs que de l’encre s’avança devant le pupitre, balayant l’assemblée d’un regard pénétrant.

– Je m’appelle Adalric Van Grendal, membre du Conseil de Paeonia.
Je vous souhaite à tous la bienvenue, premières années.

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