Chapitre 4

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Jamais ses parents ne se seraient imaginés qu’elle aurait eu si piètre allure pour son premier jour, se disait Diane, les mains et les habits maculés de terre. Son cours de survie en milieu naturel durait depuis presque deux heures, et elle savait déjà qu'il ferait partie de ses bêtes noires de cette année.

Après une matinée studieuse passée à prendre des notes dans le cours de Maître Solan, consacré à l’éthique et à l’obéissance, le professeur Valek avait repris la classe après le déjeuner pour leur faire traverser la vaste forêt du parc. Leur marche avait duré longtemps, sous un ciel bas et une lumière filtrée par les feuillages, avant que Valek n’annonce enfin le but de la séance : construire un abri en conditions réelles.

Les élèves avaient été répartis par groupes de quatre et débattaient depuis de longues minutes sur la meilleure manière de s’y prendre.

Si elle avait pu choisir, Diane aurait voulu travailler avec Mélissa. Mais le professeur Valek avait constitué les groupes lui-même :

— On ne choisit pas avec qui on part en mission, avait-il lancé d’un ton sec en séparant les groupes qui s’étaient formés naturellement.

Diane avait roulé des yeux malgré elle : elle espérait bien le contraire.

Valek avait sa réputation. Avec lui, on apprenait vraiment à survivre sans ressources, et ça, Diane devait bien l’admettre, c’était une compétence précieuse dans ce monde. D’autant plus que sa matière comptait lourdement pour l’examen final de première année : le Seuil.

— Je ne savais pas que c’était aussi concret, se plaignit Annah, une jeune fille aux cheveux châtains, constellée de taches de rousseur et dotée d’un nez en trompette, en essayant d’attacher deux branches avec des lianes. Ce ne sont pas les soldats de dernier rang qui construisent les abris, d’habitude ?

Elle lui faisait penser à un écureuil nerveux à force de froncer le nez.

— Et à ton avis, on est quoi ? marmonna Diane en tassant la terre au sol. On n’a pas encore passé le Seuil.

— C’est une formalité, balaya Annah d’un geste de la main.

— Pas tellement, intervint l’homme occupé à tresser le toit de l’abri.

Il s’appelait Maël, et Diane l’avait remarqué immédiatement. Ce n’était pas tant sa carrure solide ni sa peau dorée par le soleil qui attiraient le regard, mais ses yeux, d’un jaune fauve, étrangement lumineux.

— L’année dernière, il y a eu douze cents candidatures pour intégrer l’Académie, répondit froidement Diane sans relever la tête. Cent quatre-vingts ont été admis en première année, quatre-vingt-dix ont validé la seconde, et seulement cinquante la troisième. En moyenne, trois à cinq élèves rejoignent l’Élite chaque année.

Un sifflement fendit l’air : c’était Victaire, le quatrième membre de leur groupe.

— C’est très précis, commenta-t-il avec un demi-sourire.

Diane haussa les épaules sans lever les yeux, mais elle sentit le regard de Maël se poser sur elle. Elle aimait les chiffres : ils ne mentaient pas.

— Vous visez tous l’Élite ? demanda Annah, rompant le silence qui s’était installé.

Personne ne répondit. Avouer son ambition dès le premier jour aurait semblé prétentieux. Chaque année validée ouvrait déjà de belles perspectives : la première menait aux emplois civils, la seconde aux cadres du Royaume, la troisième aux hauts fonctionnaires. Et seuls quelques élus atteignaient l’Élite.

— Je vais prendre ça pour un oui, marmonna Annah.

Ils terminèrent leur abri comme ils purent avant que la nuit ne tombe. Le professeur Valek inspecta les constructions à la lueur déclinante.

— Pas mal pour une première, dit-il d’une voix rocailleuse. Cependant, les fondations auraient pu être plus solides et la structure, plus équilibrée. Un vent trop fort ferait s’envoler la toiture.

Valek avait le visage buriné et une longue cicatrice blanche lui barrait la joue. C’était un ancien éclaireur, un homme qui avait connu les véritables missions de terrain. Son enseignement était direct, sans détour, et souvent brutal.

Quand le groupe fut enfin autorisé à quitter la forêt, la nuit était tombée. Ils s’éclairaient grâce à des lampes à huile que le professeur avait fournies avant le départ. Les lueurs donnaient une impression ténébreuse aux arbres bordant le chemin sinueux menant au bâtiment principal.

Diane suivait la silhouette massive de Maël, qui écartait les branches d’un geste automatique. Quand elle comprit qu’il le faisait pour elle, un sourire lui échappa.

— Tu fais ça parce que je suis une fille ? lança-t-elle, le menton relevé.

Il se retourna, un éclat d’incompréhension dans les yeux.

— Non.

— Je suis sûre que c’est parce que je suis une fille, insista-t-elle, provocatrice.

Une liane lui fouetta soudain le visage : Maël avait relâché la branche qu’il tenait.

Diane resta un instant bouche bée avant d’éclater de rire, bientôt suivie par lui.

— C’était bien joué, admit-elle entre deux rires nerveux.

— Je suis grand frère, répondit-il avec un air moqueur. J’ai l’habitude des déstabilisations. Mais je rends toujours les compliments.

— Moi aussi, je suis grande sœur, répliqua Diane, le menton haut. Et j’ai toujours le dessus.

— Ça, je n’en doute pas. J’ai hâte de me battre contre toi.

Elle le dévisagea, incertaine. Était-ce une plaisanterie ? Un défi ?

— D’après ce que j’ai lu, les combats commencent après les cours de techniques, répondit-elle prudemment. On a encore plusieurs semaines.

— Un vrai petit rat de bibliothèque, marmonna Annah en les rejoignant. Si on a besoin d’une encyclopédie ambulante, on sait où la trouver.

Diane sentit ses joues chauffer. Elle était heureuse qu’il fasse sombre : personne ne verrait qu’elle rougissait.

Oui, elle avait lu tout ce qu’elle avait pu avant d’intégrer l’Académie.

Elle n’avait pas le droit à l’échec.

Il n’existait pas de plan B pour elle.

— Surveille tes paroles, Annah, intervint Victaire d’un ton tranquille. J’ai entendu dire que certaines poignées de porte mordent les langues trop perfides.

Annah leva les yeux au ciel, mais se tut. Diane esquissa un sourire reconnaissant vers Victaire, qu’il lui rendit d’un léger signe de tête, avant qu’ils ne se remettent tous en marche.

Tout à coup, Annah poussa un cri aigu, et tout le monde se tourna vers elle.

— C’était quoi, ça ? demanda Victaire en s’approchant d’Annah.

Cette dernière se passa la main dans les cheveux et distingua des traces de sang sur ses doigts.

— Un fichu hibou ! s’exclama-t-elle en tournant sur elle-même pour essayer de distinguer l’animal à travers les arbres. Sale bête !

— Un hibou ? répéta Maël, méfiant. Tu l’as vu ?

— Pas bien, admit Annah, incertaine, mais j’ai vu les ailes et senti les plumes.

Quelques secondes passèrent tandis qu’ils regardaient autour d’eux.

— Bizarre, normalement ils n’attaquent pas, observa Diane.

— De toute évidence, si ! s’énerva Annah.

— On dirait qu’il est parti, dit finalement Maël.

— On va te conduire à l’infirmerie, ajouta Victaire. Si c’est un animal sauvage, il ne faudrait pas que la plaie s’infecte.

Une fois revenus au château, Victaire accompagna Annah, et Diane se retrouva seule avec Maël, qui était resté particulièrement silencieux depuis l’attaque.

— Étrange, cette histoire de hibou, non ? demanda Diane tandis qu’ils traversaient le hall pour se diriger vers leurs dortoirs respectifs.

— Oui… étrange, répondit Maël en détournant le regard. Bonne nuit.

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