Chapitre 5
Une semaine de cours avait suffi à Diane et Mélissa pour comprendre à quoi elles devaient s’attendre pour le reste de l’année : un rythme intense, des groupes qui se formaient et se défaisaient, et des professeurs qui élevaient sans cesse le niveau d’exigence.
Le professeur Ryvan, taillé comme une armoire à glace et responsable des combats, ne dérogeait pas à sa réputation.
Ses phrases favorites claquaient dans l’air comme des coups de fouet :
— Plus fort !
— Plus vite !
— Tu serais déjà mort à l’heure qu’il est !
Ce matin-là, sous un soleil impitoyable, les élèves étaient rassemblés dans l’un des parcs d’entraînement du château. Les cris d’oiseaux se perdaient dans le rythme sec des corps qui s’efforçaient de suivre la cadence.
Ryvan tournait autour d’eux comme un prédateur patient, les bras croisés, guettant le moindre signe de faiblesse.
Comme Diane l’avait remarqué, pour l’instant ils s’exerçaient surtout aux techniques de base, mais les duels approchaient.
— On a quelques semaines pour être prêtes, murmura Mélissa entre deux pompes, ses bras tremblant sous l’effort.
Diane aurait voulu répondre, mais sa respiration brûlait déjà sa gorge.
Elle avait pourtant cru être en forme. L’Académie lui prouvait chaque jour le contraire.
— On devra se lever plus tôt, finit-elle par souffler. Travailler l’endurance avant les cours… Si on veut espérer tenir face à quelqu’un comme…
Elle désigna Maël d’un signe de tête, assez discret pour éviter les remarques de Ryvan.
Il enchaînait les exercices sans faiblir. Ses gestes étaient précis, puissants, presque mécaniques. Tout en lui respirait la maîtrise et la discipline.
Ses cheveux bruns collaient à sa nuque, sa respiration restait stable, et son regard fixé devant lui semblait ignorer la fatigue.
— Ici la terre, Diane ? demanda Mélissa, un sourire en coin.
Diane se mordit la lèvre : elle avait fixé Maël sans le vouloir.
— En étant objective, au corps à corps, on est dans la panade face à quelqu’un comme ça, marmonna-t-elle. Regarde-nous.
Le constat était sans appel. Leurs bras tremblaient déjà alors que Maël ne montrait aucun signe de fatigue.
Mélissa soupira.
— Ok, pour la course à pied, céda-t-elle en laissant tomber sa tête en arrière, révélant son cou trempé de sueur.
— Je n’ai jamais vu de muscle pousser en faisant la sieste dans l’herbe, lança une voix glaciale derrière elles. Cinquante de plus, Miss… ?
— Tarwel, Monsieur, répondit Mélissa en se remettant aussitôt en position.
Un groupe un peu plus loin ricana. Annah, à la tête du groupe, riait la première, satisfaite.
— Les petites pestes, grogna Diane quand le professeur se fut éloigné.
Sabotage, railleries, coups bas : à l’Académie, la compétition commençait dès le premier jour. Tout était bon pour éliminer les plus faibles.
C’était la loi silencieuse du lieu.
Et Diane allait vite comprendre qu’elle ne faisait pas exception.
Les jours suivants, les incidents se multiplièrent.
Diane vit son carnet de notes ruiné après qu’une amie d’Annah, Vanelle, y eut renversé de l’encre en plein cours d’éthique.
Le lendemain, elle fut bousculée violemment contre un mur du couloir par le même groupe.
Quant à Mélissa, elle avait lâché des yeux son sac pendant quelques minutes à la bibliothèque et Régis, le gardien, le retrouva plus tard, trempé, jeté dans les toilettes.
— On ne peut pas se laisser faire comme ça ! s’indigna Diane, la colère au ventre, tandis qu’elle faisait les cents pas dans la chambre de Mélissa.
— Techniquement, rien ne prouve que ce soit elles, tempéra Mélissa, assise sur son lit.
— Tu rigoles ? C’est évident !
— L’Académie ne tranche que les faits, c’est écrit dans le règlement. Une accusation sans preuve ne vaut rien.
— Et donc on ne fait rien ? s’énerva Diane.
— On fait bloc, comme prévu. On surveille nos arrières. Mais surtout, il nous faut des alliés.
***
Une semaine plus tard, le plan de Mélissa prit forme.
Elle attrapa Diane par le coude, un sourire calculateur aux lèvres.
— Tu souris, et tu la fermes, ordonna-t-elle en l’entraînant vers les jardins.
— J’ai toujours des doutes sur ton idée, marmonna Diane.
Le temps était doux, presque printanier. Les élèves profitaient des dernières lueurs du jour dans le parc du château.
Maël, lui, était adossé à un arbre, un carnet ouvert sur les genoux. Quelques mèches bouclées tombaient devant son visage. Il leva les yeux en les voyant approcher, l’air méfiant, le regard aussi froid que calculateur.
Diane, déjà, regrettait ce qu’elles s’apprêtaient à faire.
— Maël, commença Mélissa, on ne te dérange pas longtemps, promis, dit-elle en s’installant face à lui comme si elle avait tout son temps.
Depuis toujours, c’était Mélissa qui prenait les devants. Diane, plus réservée, n’aurait jamais osé engager la conversation d’elle-même.
— On voulait te proposer d’étudier avec nous ce week-end. Peut-être même de faire des séances régulières, pour travailler ce qu’on doit améliorer, proposa Mélissa.
— Avec vous deux ? demanda Maël, le regard passant de l’une à l’autre.
— Avec nous deux, confirma Mélissa en lui adressant un sourire confiant. Et peut-être Victaire aussi, si tu veux. Vous traînez souvent ensemble.
C’était vrai. Maël restait souvent seul, ou avec Victaire.
Leur plan était simple : s’associer à lui, c’était à la fois stratégique et protecteur.
Même le plus fort a besoin d’alliés, avait dit Mélissa.
Maël laissa passer un silence.
— Et on s’entraînerait aussi au combat ? demanda-t-il enfin.
— Tout ce qui peut nous faire progresser, oui, répondit Mélissa.
Il observa Diane, qui attendait en silence, visiblement tendue mais droite, comme si elle refusait de montrer le moindre signe de faiblesse.
Elle soutint son regard mais finit par détourner les yeux la première. Mieux valait fixer l’horizon que ce regard à la fois moqueur et troublant.
Il avait ce don de la mettre mal à l’aise, de la jauger sans un mot, avec ce mélange d’ironie et de curiosité qui l’exaspérait.
— Après, tu peux y réflé…, commença Mélissa.
— C’est d’accord, coupa Maël.
— C’est… d’accord ? répéta Mélissa, ébahie. Magnifique ! On commence ce week-end, alors. Je te laisse en parler à Victaire.
Elle se releva, entraînant Diane par le bras pour repartir.
— Tu as perdu ta langue ? lança Maël alors qu’elles n’avaient pas fait trois pas.
— On a convenu qu’il valait mieux qu’elle ne parle pas, répondit Mélissa en se retournant.
— Sage décision, fit Maël, un sourire au coin des lèvres.
— Dommage que tu n’en prennes pas de temps en temps, répliqua Diane sans se retourner.
— J’étais sûr que tu ne tiendrais pas, s’amusa-t-il avant de reprendre sa lecture.

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