Chapitre 7
« Papa, Maman, Casior, Adalmas, Grand-mamie,
J’espère que tout le monde se porte bien. Vous me manquez, même les disputes entre Casior et Adalmas me procurent un sentiment de nostalgie, de là où je suis.
Ma chambre donne sur l’océan. Papa aimerait sans doute rester des heures à le contempler.
Les cours sont intenses, comme nous le savions. Aujourd’hui, nous avons étudié l’histoire de l’Académie à l’époque où la magie existait encore sur le territoire. Je comprends désormais pourquoi il en reste ici quelques traces.
Les poignées de porte, notamment, semblent entretenir un réseau d’humeurs et de rancunes.
J’ai commis l’erreur d’en ignorer une ce matin : celle donnant sur le réfectoire. Depuis, celle des toilettes s’obstine à ne pas me laisser entrer. J’ai dû attendre que quelqu’un d’autre m’ouvre.
Comment je l’ai su ? C’est celle du dortoir des filles qui me l’a dit. Elle a même dû intercéder en ma faveur. Elles ont, à priori, leur propre hiérarchie.
Je crois que cela amusera Adalmas.
Diane.
PS : Je plaide coupable pour les arcs. »
Diane posa sa plume sur le bureau en bois, relut rapidement sa lettre, puis l’inséra dans une enveloppe.
C’était la première qu’elle adressait à sa famille, et trouver les mots justes pour décrire l’ambiance des lieux n’avait pas été simple. Elle avait donc choisi de rester sobre, en ajoutant l’anecdote des poignées de porte pour y glisser un peu de légèreté.
Ce matin-là, comme promis, Mélissa et elle avaient décidé de reprendre la course à pied.
Diane se leva donc plus tôt, enfila sa tenue d’entraînement : un ensemble vert mêlant cuir et tissu élastique , puis rejoignit son amie dans le couloir encore plongé dans la pénombre.
Leurs pas résonnaient doucement sur les dalles froides du château.
Elles descendirent jusqu’au parc.
Le soleil se levait à peine, teintant le ciel de nuances roses et orangées.
L’air piquait les joues, et leurs souffles formaient de petits nuages dans la fraîcheur du matin.
Elles s’élancèrent en direction de la forêt, longeant les sentiers qui menaient aux falaises.
Pendant de longues minutes, elles enjambèrent des racines, contournèrent les ronces et se frayèrent un passage entre les orties.
Mais lorsqu’elles débouchèrent enfin au bord des falaises, la vue en valait tous les efforts du monde.
Les rayons du soleil naissant se reflétaient sur la mer en contrebas.
Les vagues s’écrasaient paresseusement contre la roche, et les mouettes tournoyaient au-dessus d’elles en poussant leurs cris perçants.
— C’est…, commença Diane, essoufflée.
— Magnifique, termina Mélissa, le regard perdu vers l’horizon.
Elles s’assirent dans l’herbe, leurs jambes pendant dans le vide. Le vent salé faisait danser leurs cheveux et portait jusqu’à elles l’odeur de la mer. Elles exposèrent leurs visages jusqu’à sentir leur peau chauffer agréablement.
— J’ai l’impression que ça fait des jours qu’on n’a pas eu un vrai moment rien qu’à nous, dit Mélissa. Pour souffler un peu, tu vois ?
— Vraiment ? Entre les cours du professeur Ryvan et ceux de Maître Solan, tu ne t’éclates pas ? ironisa Diane d’un ton faussement léger.
Mélissa esquissa un sourire, mais son regard resta sérieux.
— Je me sens… submergée, depuis quelques jours. Par tout ça. L’Académie, la compétition… Je me demande si je suis faite pour cette vie.
Mélissa prit ses jambes dans ses bras. Diane ne répondit pas tout de suite.
Le bruit des vagues s’écrasant sur la falaise remplit le silence.
— Les duels vont bientôt commencer, murmura Mélissa. Il faudra se battre, peut-être même l’une contre l’autre.
Diane hocha la tête. C’était possible.
— Et puis, j’ai l’impression que tout ce que je fais n’est jamais suffisant, reprit Mélissa d’une voix plus basse. J’ai l’impression d’être noyée dans la masse. Il y a tellement de monde, et j’ai... peur. Peur de ne pas y arriver, peur de décevoir ma famille, d’être un fardeau pour eux. Tu crois que ça fait de moi une lâche ?
Diane tourna la tête vers elle. Les yeux de Mélissa brillaient, bordés de larmes.
— Pas du tout, dit-elle doucement en lui prenant la main. Tu n’es pas une lâche.
Diane déglutit.
— C’est légitime. Et je penserais que tu es folle si tu n’avais pas peur, même un peu. On a tous peur, à notre façon. Mais on est là, toutes les deux. Les premières semaines sont les plus dures, c’est tout. Il faut qu’on trouve notre place.
— Tu crois ? demanda Mélissa.
Diane hocha la tête avec conviction.
— J’en suis certaine. Tu crois que je vais te laisser tomber ? Jamais. Oui, peut-être qu’on aura des duels ensemble, et si tu gagnes, je serai heureuse pour toi, tout comme je sais que tu le seras pour moi si c’est l’inverse. Mais surtout, on va tellement bien s’entraîner qu’on battra tout le monde. Et alors, peu importe qui aura battu qui. Et s’il faut te remonter le moral à coups de sucreries, je descends aux cuisines dès notre retour.
Un vrai rire s’échappa des lèvres de Mélissa.
— C’est vrai que je commence à avoir faim.
— Moi aussi, avoua Diane, soulagée de la voir sourire.
Mais au fond, elle savait que les mots qu’elle prononçait pour réconforter Mélissa, elle aurait aimé que quelqu’un les lui dise à elle aussi.
Oui, la vie à l’Académie était dure.
Mais il fallait tenir.
Quand elles reprirent leur course, Mélissa avait meilleure mine.
À mi-parcours, un cri strident fendit soudain l’air au-dessus d’elles.
— Qu’est-ce que c’était ? demanda Mélissa, en s’arrêtant net.
Elles levèrent les yeux vers le ciel, mais le feuillage épais masquait leur vision.
Elles n’aperçurent qu’un vol de mouettes… puis plus rien. Le silence.
— Tu crois que c’était un hibou ? murmura Diane.
— Tu penses que c’est le même animal qui a attaqué Annah pendant le cours de survie ? répondit Mélissa, le souffle court.
— On continue ? proposa Diane après un temps d’hésitation.
Elles échangèrent un regard inquiet avant de repartir, accélérant le rythme jusqu’à apercevoir les contours du château.
Lorsqu’elles s’arrêtèrent enfin, essoufflées, le cœur battant à tout rompre, la peur s’était un peu dissipée.
— On s’est fait des idées, non ? souffla Diane, pliée en deux, une main sur le côté.
— Je ne sais pas, répondit Mélissa, encore sur le qui-vive. Mais quelque chose a bien lacéré les cheveux d’Annah. Et à ma connaissance, les hiboux n’ont pas pour habitude d’attaquer les élèves. Alors qu’est-ce qui rôde dans les bois, à ton avis ?

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