Chapitre 10

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C’était impossible.

Diane s’agrippait désespérément aux crochets fixés dans la paroi, les doigts engourdis, les bras tremblants. Elle avait vu le corps d’Annah passer devant elle.

Elle avait entendu le cri, puis ce bruit sourd, irréel, qui résonnait encore entre les falaises. Mais son esprit refusait d’y croire. Non. Pas Annah. Pas de cette façon.

Son cerveau logique lui hurlait pourtant la vérité : Annah était tombée d’une centaine de mètres. Aucune chance.

Et en même temps, une autre pensée s’insinuait, venimeuse :

Si l’aigle n’était pas intervenu, c’est moi qui serais en bas.

Elle serra les dents. Elle ne voulait pas penser à ce qu’il y avait sous ses pieds. À ce corps disloqué, écrasé quelque part plus bas.

— Concentre-toi, Diane. Remonte.

Sa voix intérieure tremblait autant que ses mains. La sueur brouillait sa vue, le vent hurlait à ses oreilles et la roche lui mordait les paumes.

— Diane ! cria une voix au-dessus d’elle.

Elle n’osa pas lever la tête.

— Ne regarde pas en bas ! Je t’envoie une corde. Tiens bon !

Quelques secondes plus tard, la corde se balança tout près, fouettée par le vent. Diane attendit le moment parfait, puis l’attrapa dans un réflexe désespéré. Ses paumes brûlèrent sous le frottement. Elle fixa la boucle à son harnais et poussa un soupir tremblant.

Enfin attachée.

La voix continua de l’encourager, rythmant sa remontée comme une prière. Chaque prise lui semblait plus lourde que la précédente, mais la peur la tirait vers le haut plus sûrement que la force.
Quand ses doigts effleurèrent enfin le bord du plateau, deux bras puissants la saisirent : Maël.
Il la hissa hors du vide et la déposa dans l’herbe.
Le sol n’avait jamais été aussi doux sous ses doigts.

Elle inspira profondément, le cœur battant à lui rompre la poitrine. Mais son répit fut bref.

Les autres élèves formaient déjà un cercle autour d’elle et du professeur Valek. Tous regardaient en contrebas, là où Annah avait disparu. Un silence pesant planait, comme si la falaise elle-même retenait son souffle.

— C’est de sa faute ! lança Vanelle, livide, en pointant Diane du doigt. C’est à cause d'elle qu'Annah est morte !

Le silence tomba d’un coup. Même le vent sembla se figer.

Valek s’avança, calme, mais son regard perçait comme une lame.
— Que s’est-il passé, Diane ? demanda Valek, sans accusation dans la voix, mais avec une gravité lourde.

Elle resta muette un instant. Sa gorge se serra. Comment expliquer ce qu’elle-même n’avait pas compris ?

— On… on est descendues ensemble chercher la pierre. Annah est remontée la première, et puis…

Les mots s’étranglèrent. Tout semblait irréel, décousu.

— Elle a sorti une lame. Elle m’a dit qu’elle couperait la corde si je ne quittais pas l’Académie.
— Et ensuite ? demanda Valek, impassible.
— J’ai refusé. Alors, elle a coupé ma corde. Seulement un peu, mais la corde a fini par céder.

Un murmure parcourut le groupe.

— Mensonge ! s’écria Vanelle, les yeux pleins de larmes. Annah n’aurait jamais fait ça !

Diane sentit sa voix se briser.
— Je suis restée accrochée aux crochets… alors elle a commencé à descendre vers moi…

Elle ferma les yeux, cherchant son souffle.
— Un aigle est arrivé. Immense. Il s’en est pris à elle. Elle a crié, a glissé… et je ne l’ai plus vue.

Le silence retomba. Seul le vent siffla entre les rochers.

Valek hocha lentement la tête.
— Toi et toi, dit-il à deux élèves. Courez prévenir la Directrice. Ensuite, descendez avertir Régis pour qu’il envoie une équipe chercher le corps.

Les garçons partirent en courant, tandis que Diane restait immobile, figée entre la peur et l’incrédulité.
Tout ce qui suivit ne fut qu’un flou : les voix, la marche à travers la forêt, le poids du regard des autres.

Quand elle reprit conscience, elle se tenait déjà au pied du château.
La Directrice l’attendait sur le perron, droite comme une statue.

— Veuillez me suivre, Miss Calven.

Le bureau de Madame Fouquet était vaste et sévère, éclairé par la lumière filtrant à travers un vitrail. Un tapis rouge profond recouvrait le sol, et des rayonnages de livres anciens tapissaient les murs.
En temps normal, Diane aurait été fascinée. Mais pas aujourd’hui.

— Maintenant, racontez-moi ce qu’il s’est passé, dit la Directrice en s’asseyant.

Diane ouvrit la bouche, mais la porte s’ouvrit brusquement sur un homme.

Grand, brun, les traits durs, les yeux révélant une tempête contenue. Le charisme qu’il dégageait n’avait rien d’humainement rassurant.

La Directrice se raidit légèrement.

— Je viens d’être mis au courant, dit-il d’une voix grave. Permettez-moi de prendre le relais, Madame Fouquet.

Elle hésita, puis hocha lentement la tête.

— Comme vous voudrez, Monsieur le Conseiller.

L’homme s’approcha de Diane. Sa haute stature jetait une ombre sur elle.

— Je suis Adalric Van Grendal, annonça-t-il simplement.

Il marqua une pause, ses yeux rivés aux siens.

— À partir de maintenant, Miss Calven, vous ne parlerez qu’à moi.

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