L’Académie possédait de vastes salles d’entraînement, mais aussi plusieurs terrains extérieurs où les élèves pouvaient pratiquer dans des conditions variées. Diane et Mélissa étaient assises dans l’herbe encore tiède du soleil, observant les élèves des années supérieures qui s’entraînaient à quelques mètres d’elles.
Le bruit régulier des coups, les appels des instructeurs, et l’odeur de terre humide donnaient une ambiance vibrante au lieu.

— Ils sont vraiment doués, reconnut Diane.

— Je me demande si j’aurai un jour ce niveau, murmura Mélissa en plissant les yeux.

— Avec assez d’entraînement, on leur bottera les fesses, répondit Diane avec un sourire qui lui échappa plus par automatisme que par envie réelle.

Depuis l’incident avec Annah, les autres élèves l’évitaient comme si elle portait en elle un mal contagieux. Même Maël semblait prendre ses distances : toujours pressé, toujours occupé… même s’il finissait presque chaque soir par venir réviser avec elles à la bibliothèque.

Diane avait parfois l’impression d’être devenue étrangère à ce monde, comme si une frontière invisible l’avait isolée. Vanelle, évidemment, répandait des rumeurs à son sujet. Malgré le communiqué officiel du Conseil évoquant un simple accident pendant le cours de survie, les murmures continuaient. On se retournait sur son passage. On se taisait lorsqu’elle approchait.

Même certains professeurs, d’ordinaire accueillants, devenaient froids, distants.

Elle soupira en observant les deuxièmes années. Leurs mouvements étaient fluides, précis, presque élégants, bien loin de ce qu’on leur avait enseigné jusqu’ici.

Victaire vint s’affaler dans l’herbe à côté d’elles avec une nonchalance étudiée.

— Bonne idée de les observer… mais c’est aussi un peu déprimant. Vous pensez qu’on ressemble à ça, nous ?

— Certainement pas, rit Mélissa.

Sur le terrain, les duels en deux contre deux ressemblaient à des chorégraphies parfaitement réglées. Les coups fusaient avec une synchronisation presque troublante.

Diane soupira à nouveau. Les duels commenceraient demain pour les premières années. Elle s’efforça de mémoriser chaque déplacement, chaque posture défensive.

Soudain, un garçon retint son attention.

— Le garçon là-bas… dit-elle, presque malgré elle.

C’était celui qu’elle avait croisé à travers un rayonnage de la bibliothèque. Elle en était maintenant certaine.

— Lequel ? demanda Mélissa.

— Celui aux yeux verts. Vert olive, précisa Diane.

Mélissa éclata de rire.

— Tu arrives vraiment à voir la couleur de ses yeux d’ici ?

— Je l’ai croisé de près l’autre jour… enfin bref, regardez-le bouger.

Maintenant qu’elle le suivait du regard, elle distinguait ce qui la troublait : il se démarquait. Une puissance contenue, une précision presque animale. En quelques feintes rapides, un jeu de jambes impeccable, il plaqua son adversaire au sol.

Victaire souffla, admiratif.

— Lui, c’est un futur Élite, si vous voulez mon avis.

Diane ne le quitta plus des yeux. Il avait une façon de se déplacer qui la captivait. Celle d’un guerrier formé depuis longtemps. Il était immense, bien plus que les autres de sa promotion.

Même Maël n’atteignait pas sa taille.

Elle se crispa en réalisant à quel point le nom de Maël continuait de s’imposer à elle malgré son absence.
Encore une fois.
Il n’était pas là.

— Où est Maël ? demanda-t-elle à Victaire.

Il haussa les épaules.

— Aucune idée.

Cette réponse vague lui laissa un goût amer.

***

Cette nuit-là, Diane dormit mal. Les duels l’obsédaient. Et, plus encore, l’étrange comportement de Maël.
Quelque chose lui échappait… comme un fil qu’elle n’arrivait pas à saisir.

Le lendemain, le professeur Ryvan attendait les élèves sur l’un des terrains extérieurs. Bras croisés, regard dur. À ses côtés se tenait un homme que Diane reconnaissait vaguement : le professeur Grimal, qui formait les niveaux supérieurs et entraînait les membres de l’Élite.

— Voici notre juge impartial pour les duels, annonça Ryvan. Le professeur Grimal ne connaît aucun d’entre vous. Il choisira lui-même les premiers affrontements.

Plusieurs zones avaient été délimitées dans la poussière du terrain. Tous ne passeraient pas en même temps. Grimal marchait lentement le long des rangs, choisissant les élèves selon leur gabarit.

Maël fut appelé. Diane sentit son cœur accélérer alors qu’il se plaçait face à son adversaire.

Le duel débuta avec violence. L’autre tenta de le surprendre par un balayage, mais Maël pivota, vif comme un chat, et le prit de revers. Il coinça sa tête sous son bras, avant de se faire repousser d’un coup de coude dans le ventre.

Il se reprit aussitôt. Un coup de pied précis dans le genou. Un bras abattu dans le dos. Son adversaire fut immobilisé au sol pendant les trois secondes réglementaires.

Maël fut le premier de sa zone à terminer son duel. Ryvan nota quelque chose dans son carnet.

Puis ce fut au tour de Mélissa.

Diane sentit ses mains devenir moites. Sur le terrain, Mélissa semblait hésitante, presque mal à l’aise. Les premiers échanges furent difficiles ; elle encaissa plus qu’elle ne frappa, reculant pas à pas. Mais elle resta debout, appliquée, concentrée. Finalement, profitant d’un mouvement maladroit de son adversaire, elle parvint à la déséquilibrer juste assez pour tenir les trois secondes réglementaires.

Elle avait gagné. De justesse, mais elle avait gagné.

Diane n’eut pas le temps de souffler.

Grimal venait de la désigner.

— Vous… et vous, dit-il en pointant Vanelle.

Merveilleux.

— La tueuse… quelle chance, grinça Vanelle, le coin des lèvres relevé d’un sourire mauvais.

La gorge de Diane se serra.
Le duel commençait avant même qu’elles n’entrent dans l’arène.