Chapitre 13

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Diane se plaça face à Vanelle dans la zone de duel. Elle essaya d’occulter le bruit alentour, les chuchotements, les regards. Au fond, ce n’était pas difficile : les yeux de Vanelle l’aimantaient, sombres comme un puits sans fond où brûlait une hargne brutale. Diane avait presque l’impression d’y tomber.

Elles pivotèrent l’une autour de l’autre, déplacées par un même cercle de tension, dans l’attente du premier coup.

— Peut-être que je devrais m’inquiéter d’être devant toi, lança Vanelle d’une voix glaciale. Vu ce que tu as fait à Annah.
Elle marqua une pause.
— L’adieu a lieu demain, sur la plage. Tu dois être ravie.

L’attaque jaillit avant que Diane ne s’y attende. Elle eut tout juste le temps de pivoter pour éviter le coup.

C’était clairement destiné à la déstabiliser. Et ça fonctionnait.

— Toute sa famille sera présente. Moi aussi, ajouta Vanelle. Tu savais que je la connaissais depuis mes six ans ?

Diane la vit. Une fraction de seconde. Cette faille dans son regard. Une douleur brutale et vraie.
Oui, Vanelle pouvait être infecte, cruelle et mauvaise.
Mais elle aimait Annah. Comme Diane aimait Mélissa.

Vanelle attaqua encore. Cette fois, Diane para et glissa sur le côté.

— Tu vas arrêter d’esquiver et te battre ? cracha Vanelle.

Oui. Diane esquivait. Diane encaissait. Elle encaissait depuis des jours. Depuis qu’Annah était tombée. Depuis que tout le monde la regardait comme une menace.

Quelque chose céda en elle. Comme un filament trop tendu.

Diane lâcha prise.

Elle ne réfléchit plus. Son corps prit le relais, animé par une force qu’elle n’avait jamais ressentie, brûlante, vive, presque étrangère.

Elle attaqua.

Ses coups étaient plus rapides, plus puissants, plus tranchants que tout ce qu’elle avait jamais produit. Elle n’entendait plus rien, sinon le martèlement de son sang et un rugissement sourd à l’intérieur de son crâne.

Vanelle tomba, criant de surprise et de douleur.
Mais Diane ne s’arrêta pas.

Elle frappa encore avant de s’arracher elle-même à sa propre impulsion, trop tard.
Vanelle roulait déjà sur le sol et, paniquée, se releva pour fuir hors de la zone de combat.

— Elle est complètement folle ! hurla-t-elle en boitillant.

Diane resta figée, la respiration heurtée.
Grimal avait avancé d’un pas, prêt à intervenir. Ryvan, impassible d’habitude, paraissait stupéfait.
Autour d’elle, les autres combats s’étaient arrêtés.
Les élèves la regardaient comme si elle venait d’exploser au milieu d’eux.

Un brasier pulsait encore dans sa tête, un éclat brûlant qui vibrait sous sa peau. Quand elle vit le groupe de Vanelle se rapprocher comme pour la protéger, quelque chose en Diane se déchira.

Elle tourna les talons et courut.

Elle courut plus vite qu’elle ne l’avait jamais fait.

Ce n’est qu’après plusieurs minutes de sprint que son corps cessa de lancer ces ondes de chaleur. Elle se trouva dans une clairière d’entraînement, l’une de celles proches de la zone où ils suivaient les cours de survie avec le professeur Valek.

Diane s’avança vers les falaises.
La mer la calmait toujours.
Le vent salé, la rumeur des vagues, l’horizon sans limites.

Elle n’était pourtant pas seule.

Un homme remontait la pente en contrebas, la tête baissée. Diane pensa à s’éclipser, mais renonça. Elle n’avait pas honte des larmes qui traçaient des sillons chauds sur ses joues. Pas aujourd’hui.

Il releva la tête.
Yeux olive.

Il s’arrêta net.

Diane vit la surprise sur son visage. Il jeta un regard derrière lui, comme pour vérifier quelque chose, puis continua d’avancer.

— Tu ne devrais pas être en cours ? demanda-t-il en arrivant près d’elle.

— Et toi ? répliqua Diane sans chercher à adoucir son ton.

Il esquissa un demi-sourire.

— J’avais un peu de temps libre avant mon prochain cours, première année.

Elle se souvenait de lui se battant la veille. Cette précision dans les gestes. Cette force calme.
Oui, il pourrait la mettre au sol sans difficulté.
Cette pensée, étrangère et presque absurde, la traversa.

— Un problème ? demanda-t-il.

— Un seul ? Je dirais plutôt plusieurs, souffla Diane avant de s’asseoir dans l’herbe. J’avais juste besoin de calme.

Elle lui tourna délibérément le dos.
Il aurait pu repartir.

Il ne partit pas.

Il s’assit à ses côtés, sans commentaire.

— Je sais écouter, dit-il simplement. Mais on peut aussi ne rien dire, si tu préfères.

Pendant un moment, il n’y eut que les vagues.

— Il y a eu un accident, il y a quelques jours, dit Diane. Une élève de première année. Elle est tombée de la falaise. Et j’étais avec elle.

— J’en ai entendu parler, répondit-il doucement.

Diane pinça les lèvres.
Elle avait craint cette phrase.

— Ce n’était pas moi. Je ne l’ai pas poussée. Mais depuis… tout a changé. Les élèves, les professeurs. Et je me sens coupable même si je n’ai rien fait. Et encore plus parce que… je ne l’aimais pas, cette fille.
Elle marqua une pause, secouée par la sincérité brutale de ses propres mots.
— Si elle avait été en feu, je n’aurais pas versé d’alcool dessus… mais je ne suis pas sûre que je lui aurais lancé un seau d’eau non plus.

Elle renversa la tête en arrière, laissant le soleil caresser son visage. Le sel se déposa sur ses lèvres.

Il réfléchit avant de répondre.

— Peut-être que tu dois faire ton deuil aussi, dit-il.

— Tu n’as pas écouté. Je viens de dire que je ne l’aimais pas.

— Ce n’est pas contradictoire.
Il haussa légèrement les épaules.
— Tu peux ne pas aimer quelqu’un… et quand même avoir besoin de tourner la page. Les adieux, ce n’est pas pour la personne qu’on perd. C’est pour soi.

Diane resta silencieuse.

— Je ne suis pas invitée à la cérémonie, dit-elle.

— Qui n’a jamais été à un endroit où il n’était pas censé être ? répondit-il, une lueur amusée dans le regard.
— Et puis, se tenir au milieu de sa famille n’est pas la seule manière de rendre hommage. Trouve-en une qui compte pour toi.

Elle hocha la tête.

Il avait raison.
Et cela l’étonna plus qu’elle n’osa l’admettre.

Elle se tourna vers lui. Le vent décoiffait ses cheveux impeccablement peignés, et la proximité fit frôler leurs épaules.
Une intimité si simple qu’elle en eut presque le souffle coupé.

— Tu t’en remettras, Diane Calven, dit-il avec assurance. J’en suis certain.

Il se redressa.

— Je dois y aller, si je veux éviter d’être en retard.

— Je ne connais même pas ton nom, lança-t-elle alors qu’il s’éloignait.

Il se retourna et recula en direction de l’Académie avec un sourire en coin.

— N’est-ce pas plus mystérieux ?

— Non, pas vraiment, répondit Diane.

— Alors on se recroisera, Calven.
Son clin d’œil fut presque insolent.
— Je ferai en sorte de te croiser.


***


Diane resta seule un long moment, bercée par le vent et les herbes hautes qui fouettaient ses jambes. Elle ne pensait plus à la colère. Ni à l’aigle. Ni aux regards effrayés.
Elle voulait simplement… souffler.

Elle ne revint que lorsque le soleil glissait derrière les hauts arbres.

Mélissa avait laissé sa porte entrouverte pour entendre sa venue. Elle avait prétexté auprès du soigneur devoir rester allongée, mais elle était revenue avec une pile de sandwichs qu’elle partagea avec Diane dans le silence réconfortant de la chambre.

— Tu n’as pas peur de moi ? demanda Diane en prenant une bouchée.

— Parce que tu as mis une raclée à Vanelle ? s’esclaffa Mélissa. Tu plaisantes ? C’est probablement le meilleur moment que j’ai vécu depuis qu’on est ici. Elle en avait bien besoin.

Diane esquissa un sourire, fragile.

— C’est la première fois que je ressens ça… C’était comme si mon corps agissait tout seul.

— Hm, fit Mélissa en haussant un sourcil. Avec tout ce que tu encaisses en ce moment, je serais même étonnée que ton cerveau n’ait pas décidé de prendre une pause. C’est typique en cas de stress intense.

Diane ne répondit pas.
Elle hocha simplement la tête, même si une impression persistante lui rongeait le ventre.
Ce qu’elle avait ressenti pendant le duel… ce n’était pas seulement du stress.
Ça avait été autre chose.
Une impulsion qu’elle n’arrivait pas à nommer, ni à expliquer.

Mélissa rangea les restes du repas, puis vint lui serrer doucement la main.

— Repose-toi, d’accord ? Et si tu veux quelque chose, même à manger, dis-le-moi.

Elle referma la porte derrière elle.

Diane resta immobile un moment.
Elle baissa les yeux vers la couverture que Mélissa avait réajustée, sur la corbeille soigneusement rangée, sur l’ordre discret qu’elle avait laissé derrière elle.
Ces petites attentions, silencieuses, avaient fait retomber quelque chose en elle.
Elle sentit son corps se détendre un peu, enfin.


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