Chapitre 14

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Le jour n’était pas encore levé lorsque Diane suivit le sentier qui serpentait entre les rochers. Le monde semblait retenu dans une respiration unique, suspendue. Son esprit, lui, ne cessait de courir. Les images de la chute d’Annah se mêlaient à ses doutes, à cette sensation de ne plus tenir son propre corps.

Arrivée au bord de la falaise, elle s’immobilisa.

C’était là.

Le vide, le vent, la mer noire absorbant tout.

La marée avait effacé la moindre trace. Pas une pierre déplacée, pas un morceau d’écorce brisée. Rien n’indiquait qu’une vie avait basculé ici. Diane sentit un souffle d’air passer contre sa peau, presque comme une caresse. Elle en fut reconnaissante.
Elle n’était pas certaine d’avoir supporté d’en voir davantage.

Plus bas, la plage de la Blanche Patte apparaissait en un long ruban clair, étendu à perte de vue. Quelques silhouettes y formaient un cercle silencieux.

Le rite d’adieu.

Quand la barque recouverte d’un tissu sombre fut mise à l’eau, un frisson remonta le long de sa nuque. Le mécanisme se mit en route, entraînant lentement l’embarcation loin du rivage. Elle glissa, droite, sans hésitation, comme guidée par une main invisible. Puis la barque suivit son propre chemin, portée par le mouvement des eaux.

Diane suivit sa trajectoire du regard, jusqu’à ce qu’elle arrive presque sous elle, au pied de la falaise. Elle sortit alors la pierre violette qu’elle gardait dans sa poche : celle qu’elle avait récupérée lors de la descente avec Annah.

Elle aurait dû la détester pour ce qui s’était passé.
Elle aurait dû.
Mais aucune haine ne venait.

Elle laissa tomber la pierre.
Le bruit sourd se perdit dans l’écume.

C'était fait.


Diane se redressa. La barque continuait sa route, minuscule ombre sur le bleu profond. Après plusieurs minutes, elle fit volte-face pour repartir.

Un craquement retentit derrière elle. Léger, mais suffisant pour figer son pas.

Une brûlure nette la transperça au poignet, comme si quelque chose dans l’air avait répondu à sa présence.

Et là, entre deux troncs, elle le vit : Maël.

Il ne bougeait presque pas. Juste assez pour prouver qu’il était bien vivant, et non une illusion. Mais surtout : il n’était pas seul.

Un aigle gigantesque s’agrippait à son épaule, les ailes repliées mais immenses, le plumage sombre strié de reflets métalliques. Ses yeux dorés étaient fixés sur Diane avec une intensité presque humaine. L’oiseau frotta doucement son front contre la mâchoire de Maël, cherchant manifestement un ancrage.

Diane sentit sa gorge se serrer.

— Maël…, souffla-t-elle.

Elle déglutit, incapable de détacher ses yeux de l’aigle massif.

— Qu’est-ce qu’il se passe, Maël ?

Il resta silencieux une seconde, le temps de trouver les mots. Quand il répondit, sa voix était sèche, mais pas hostile :

— Je n’en ai aucune idée.

Un tic nerveux anima sa mâchoire.

— Il me suit depuis plusieurs jours. Pas pour me faire du mal. Pas avec de mauvaises intentions.
Son regard glissa vers le rapace.
— Je ne sais pas ce qu’il veut. Je ne sais pas pourquoi il s’accroche à moi.

Un frisson parcourut Diane.

— Et tu trouves ça normal ? lança-t-elle, plus fort qu’elle ne l’aurait voulu.

— Rien dans tout ça n’est normal, répondit-il, le ton brusque.

L’aigle remua. Maël serra davantage la mâchoire, mais ne broncha pas.

— Je ne comprends pas, reprit-il plus bas. Mais je maîtrise. Pour le moment.

Il inspira lentement, comme quelqu’un qui refuse de laisser la panique remonter.

— Tu maîtrises ? répéta Diane, la voix tremblante. C’est cet aigle qui a attaqué Annah ! Tu… tu y es pour quelque chose ?

— Certainement pas ! rétorqua-t-il. Je suppose qu’il a son libre arbitre. Et tu devrais t’estimer heureuse qu’il soit intervenu.

Elle en resta soufflée. Il n’avait pas forcément tort.

— J’ai promis à Adalric Van Grendal de l’avertir de tout ce qui concernerait cet aigle, avoua-t-elle, sans trop savoir pourquoi elle se montrait aussi franche alors qu’il restait froid et distant.

— Diane… Si le Conseil apprend ça maintenant, ils vont réagir sans chercher à comprendre. Ils voudront me séparer de lui. Ils tireront des conclusions trop vite.
Son regard s’assombrit.
— Et je n’ai pas envie de découvrir lesquelles.

Il fit un pas vers elle, assez pour lui montrer qu’il ne plaisantait pas.

— Je ne te demande pas de mentir. Je te demande juste quelques jours. Pas plus. Le temps de comprendre ce qu’il se passe réellement.

Il expira, lentement.

— Je ne veux pas que le Conseil mette la main là-dessus avant que je sache quoi leur dire.

Diane sentit sa respiration se bloquer.

— Très bien, dit-elle finalement. Je ne dirai rien.

Les yeux de Maël se plantèrent dans les siens. Il ne sourit pas, mais quelque chose se détendit légèrement en lui.

— Merci, dit-il simplement.

Il posa sa main sur le plumage de l’aigle.
L’animal plissa les yeux, comme satisfait.

Un frisson parcourut Diane.

— Tu crois que… ?

Elle n’osa pas prononcer le mot. Trop grand. Trop lourd.

Maël la regarda avec une intensité brute.

— Je cherche des réponses. On ne nous a jamais enseigné ça. Les livres sont incomplets. Les archives d’Istéria, dans le royaume de Velorya, contiendraient des réponses… mais nous n’y aurons pas accès avant longtemps.

Il hésita.
Comme s’il savait que ce qu’il allait avouer déclencherait quelque chose.

— Je ne veux pas dire ce mot tant que je n’en suis pas sûr.

Diane inspira. Et le dit à sa place :

— Protecteur.

Le mot sembla vibrer dans l’air.

L’aigle releva brusquement la tête.
Maël, lui, ne cilla pas.

De certitude ou de peur… elle ne sut pas.

Mais une chose était sûre :

Plus rien ne serait jamais comme avant.

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