Chapitre 1

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En ce temps-là (je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre…) vivait une jeune femme prénommée Cendrillon. Elle était employée comme « femme à tout faire », boniche en fait, par sa tante. Celle-ci l’avait recueillie lors du décès de sa maman qui était morte de la petite vérole. Elle exerçait dans un bordel – pardon, une maison close – la profession que vous imaginez bien. Quant au père de Cendrillon, personne n’a jamais su qui il était.

Le seul problème de cette jeune fille concernait ses pieds. Car oui, Cendrillon était affublée d’arpions chaussant du 49. Ce qui fait que dans la maison et donc la plupart du temps, elle allait pieds-nus. Ça coûte une blinde les pompes en grande taille. Pour aller dehors ? Déjà, elle n’avait aucune raison de sortir, si ce n’est pour faire les courses pour la famille. Ces jours-là, elle prenait les bottes de feu l’oncle. Malheureusement pour elle, il ne chaussait que du 42. Du coup, en se rendant à la supérette, les orteils recroquevillés au fond du caoutchouc, elle avait une démarche qui hésitait entre le canard et l’ours, mais qui se souciait d’elle ou de son allure ?

Sa harpie de tante n’avait pas une minute pour la tenue de la maison. En effet, elle avait deux filles auxquelles elle entendait consacrer toute sa vie. Elles avaient pour occupation (profession ?) celle d’être des influençeuses sur Insta. On peut le dire, c’étaient des pouffes, des BCBG – beau cul, belle gueule – mais avec le QI d’une huitre de l’année précédente. Elles avaient le niveau de celles et ceux qui les suivaient sur les réseaux sociaux. Les échanges avec leurs followers les avait amenées à des réflexions intellectuellement de très haut niveau, carrément philosophiques parfois…

  • T’as vu l’autre, elle n’a eu que 12 likes sur sa dernière photo.
  • Oh la tehon !
  • Tiens, prends moi en photo avec la fleur à côté de moi, ça va faire joli. Mais non, pas moi derrière la fleur, faut qu’on me voie bien quand même ! C’est qui la star ? Pas la fleur quand même !
  • Dommage, ça aurait fait écologiste, intervint Cendrillon.
  • Logique, ben non, c’est pas logique ! De qui c’est le compte Insta d’abord, pas celui de la fleur, pas vrai ?
  • Vrai ! lui répondit sa sœur.
  • Vrai quoi, que c’est le compte de la fleur ? railla leur bonniche de cousine.
  • Mais non !
  • Rhooo tu nous embrouilles, t’as rien à faire ? lui cria la cousine ainée.

Elle renversa sur le sol un tube de crème de nuit ET de jour coutant plusieurs centaines d’euros le litre et réputée pour donner le cancer de la peau avant trente ans. Mais pour ces deux filles, trente ans, c’était tellement vieeeeuuuuux.

  • Allez, va bosser maintenant et laisse nous entre personnes importantes.

Prenant son rouleau de papier absorbant, la pauvre Cendrillon s’exécuta, n’ayant pas le droit de se rebeller, sous peine de se retrouver à la rue. Elle n’avait pas à se plaindre, elle était hébergée et nourrie gratuitement par sa tante, qui, dans sa grande bonté, l’autorisait à manger les restes de leurs trois repas, que Cendrillon avait bien sûr préparés. Elle les cuisinait mais n’y avait pas droit. Elle était également habillée par sa si généreuse tante, enfin habillée, un truc qui lui couvrait le corps, quoi, une espèce de blouse informe et grise…

  • Va nettoyer !
  • T’as vu, Cendri y est…. À nettoyer
  • Oh putain ! T’as fait des vers ! On dirait madame d’un jour !
  • T’as vu, Cendrillon, j’fais des mots pareils à la fin, comme dans le théâtre relou. On dirait que j’serais mademoiselle Molière. On dirait même du slam !
  • Il n’y a pas forcément des rimes dans le slam, c’est une question de flow et d’allitérations.
  • Ecoute la, l’autre intellectuelle, comme si elle savait ce que c’est que le slam
  • Tu vas voir, tu vas prendre notre flow dans la gueule, tu feras moins la maligne !
  • Eh ouais !

Dépitée, Cendrillon se tut et continua à nettoyer tout en laissant son flow interne jaillir dans son esprit dans sa tête et dans son cœur :

Un jour je vais les taper, ces deux greluches, conne à s’taper

La tête contre les murs. Vraiment, elles sont mures

Voire carrément blettes, tellement elles sont bêtes

Un jour mon prince viendra et dans ses bras

Je partirai loin très loin, à brûle pourpoint

Je les laisserai le bec dans l’eau, ce sera rigolo

….

Le temps passait plus vite comme ça et elle arrivait à ne pas s’énerver contre leur crétinerie abyssale.

Les deux filles étaient encore en pleine réflexion stratosphériques sur le sens de la vie, toussa, toussa :

  • Tu crois que je mets le vernis rouge avec le rouge à lèvres rose ou le rouge à lèvres rose avec le vernis à ongles rouge ?
  • Chais pas… Faudrait essayer…
  • Euh, c’est pareil les deux, non ? Intervint encore Cendrillon.

La connerie à ce point, elle n’arrivait pas à s’empêcher de leur mettre le nez dedans. C’était plus fort qu’elle. Pas moyen de résister.

  • Ben non, c’est pas pareil !
  • Si…
  • Non !
  • Si !
  • Non, la première fois je mets le vernis d’abord et le rouge à lèvres ensuite et la deuxième fois je mets le rouge à lèvres d’abord !
  • Et toc ! surenchérit la seconde pétasse.

Ça change tout, en effet… Respire, Cendrillon, ça va passer. Laisse pisser…

La vie suivait son cours, de façon répétitive chaque jour, rythmée par le comptage horaire des followers, du nombre de likes et par la publication de magnifiiiiiques photos d’elles deux sur cette application dont tout le monde rêve. Cendrillon continuait à astiquer la maison, à faire les courses, la cuisine, laver le linge, le repasser, le ranger, pour ces deux pétasses et leur mère.

Un beau jour, elles découvrirent dans une story de cette application que le célèbre rappeur, Baaboo89, organisait une fête de folie dans sa « villa de ouf », située sur la commune voisine. Il y avait 100 invitations dont l’attribution allait être tirée au sort. Comme il n’y a de chance que pour la canaille, les deux pouffes décrochèrent le précieux Graal ! Leur joie éclata bruyamment.

  • Yahou on va y aller !!
  • Yahou, allez, on y va !!

Non, rassurez-vous elles ne parlent pas comme un Jedi. Pas elles…

Cendrillon rongeait son frein. Encore une soirée à passer à astiquer, balayer, nettoyer et se faire chier devant la télé. Et encore, si par bonheur elles oubliaient de la fermer à clé dans le buffet du salon. Bah, au moins elle lirait ou écrirait du slam ou de la poésie sur son petit carnet rouge. Le seul objet qu’elle tenait de sa mère et qu’elle cachait pour que personne ne mette la main dessus. C’était aussi un genre de journal intime. Pas question que la harpie et ses deux pouffes ne le découvrent. Sur ces pages blanches, elle vidait son cœur et ses tripes et crachait ce qu’elle ne pouvait dire tout haut. Le dernier en date exprimait toute la rage liée à sa situation :

Un jour je brûlerai cette maison. Oui, j’ai tellement de raisons

Et quelle que soit la saison, je dirai leur oraison

Elles finiront toutes en enfer. Non, ne plus se taire

Ne plus la fermer, mais de colère et de rage hurler

Je mérite l’amour, être heureuse un jour

Comme on dit chacun son tour et ça fait longtemps

Que je passe le mien. Mais c’est bientôt la fin

J’aurais ma revanche, un jour je partirai

Je mérite l’amour, être heureuse un jour

Comme on dit chacun son tour et ça fait longtemps

Que je passe le mien. Mais c’est bientôt la fin...

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