XV - Le Devin

5 minutes de lecture

Tu ouvres les yeux. De la poussière t’enserre, et au zénith, c’est un infime point de lumière.
Tu as glissé au centre de la Terre ; dans une cavité, sœur de bien d’autres.

Relève-toi, ton voyage n’est pas encore achevé. Tu as affronté l’ardeur de l’erg et sa violence, pour maintenant t’égarer dans les entrailles du Monde, des limbes de l’Oblivion.

Ta main suit des contours informes, tristes et froids ; ainsi les parois sanglotent, c’est l’écho de leurs larmes que tu entends là-bas.

Tu trébuches, te rattrapes malhabile. Tu as déjà glissé, tu t’es déjà rattrapé à ce même rebord. Ou était-ce un autre ?
Dans le noir, tu perds le compte du temps et des distances. Un but, une direction ? Seulement le mouvement ; tu marches pour ne pas croupir, car ce n’est plus l’espoir de voir les étoiles du soir qui t’habite.

On gratte la pierre avec une furieuse énergie, là-bas au fond d’un boyel obstrué. Tu t’approches prudent, plissant ces yeux qui ne connaissent que la Lumière. Une toison grisée d’ombre, des griffes fourbues et un blaire abîmé d’évider la pierre.

Il murmure des mots qui ne te sont pas destinés, entre grognement et geignement.

« Où est-elle ‽ »

Plus loin, toujours plus loin, lui répondent les échos.

« Combien, combien donc devrais-je encore creuser ‽ »

Jusqu’à l’épuisement ? Jusqu’au dernier souffle ? Jusqu’à ce que le Ciel s’effondre ? Les gravats qu’il laisse derrière lui ne murmurent aucun augure.
Tu t’abaisses, et dans l’obscurité perçois l’éclat de diamants.

Couvert par les clameurs des cailloux, les pleurs d’une lutte sans limite. Alors tu l’appelles, tentes comme tu le peux de le détourner un instant de sa quête essorante.

« Qui es-tu, toi qui écorches le ventre sec de la Terre ? »

Sans se détourner, il te répond, quelque peu las.

« Tu m’appelleras Ἀρεϊκός. Et je ne creuse pas en vain, ni ne blesse le sol pour rien. Je cherche de quoi étreindre mon cœur de contentement.

— Et qu’est-ce ? Je ne vois rien ici, si ce n’est pénombre, flaques crasses et débris. »

Enfin il se retourne, et tu perçois une moustache se redresser d’un sourire.

« C’est bien pour ça que je creuse encore ! Le Beau, le Parfait, ça se mérite ! Il faut suer et pleurer bon sang ! A quoi bon cueillir la mauvaise herbe qui pousse à même le sol, lorsque certaines fleurs ne se trouvent qu’aprés les plus infames voyages, aprés des souffrances dont je tairai le nom… »

Et aussitôt le silence poursuit, laissant seulement les stalactites tapoter leurs mélodies, et l’odeur ocre de la terre vous flatter férocement.
Aussitôt, tu remarques les mains de ton compagnon d’infortune ; elles sont recouvertes d’une huile noire, une encre indélébile. C’est elle qui dégage cette senteur agressive, qui tache les murs, sali ton corps tout entier.

« Ah ça… C’est le signe qu’on creuse bien. C’est le carbur qui coule dans nos veines, dans la Terre. À s’enfoncer çà et là, et retourner en arrière et recommencer un peu plus haut, un peu plus bas, différemment ; on s’en met partout, haha ! Mais c’est pas mauvais hein ! Ça laisse des traces, et c’est bien, ça, de laisser des traces ; comme ça on sait d’où l’on vient, et où l’on va ! Et moi je cherche un beau diamant d’abord, ça je ne l’ai pas oublié !, merci le carbur ! »

C’est alors qu’aprés un dernier coup de griffe, la galerie éventre une cavité immense, éventant les miasmes et leurs ruminations.
Vous posez pieds dans une eau claire qui reflète de faux-cieux grimés d’estelles. Tu laisses s’échapper un soupir d’émerveillement, ainsi les tréfonds ici aussi miment l’Empyre. L’eau froide te caresse avec familiarité, sans se mélanger au carbur ; et sous ses vives vaguelettes, tu te saisis d’une de ces petites étoiles qui scintillent partout ici, dans cette caverne onirique.

Un crystal, diaphane et déviant ; une couronne de pétales comme une petite reine des souterres. Là, entre tes doigts ocreux, tu as trouvé un trésor, et autant qui chantent à l’unisson une musique magnifique et terriblement muette.

Tu tends cette étoile tombée à ton nouveau féal, mais ses yeux ne s’y arrêtent pas, ils traversent la fleur de pierre, glissent le long de ton bras pour finir par se perdre en toi.

« Il n’y a rien ici. Encore un abysse sans fond, un abîme sans raison. Il n’y a rien. Seulement du Noir à tout recommencer. Ahah. »

Le Noir.

Ton cœur se serre.
Tu recules hagard, trébuches et perds de vue ce regard grave qui finit dévoré par l’obscurité ; et alors, les grattements recommencent.
Les échos de tes pas perdus t’assaillent. Ce ténèbre sans tison, il t’effraie. Alors de marche tu passes à cavalcade ; tu t’hâtes, le pied hésitant dans des flaques fatales, tu t’hâtes, l’oreille scrutant les sussurrations qui grondent dans l’ombre, tu t’hâtes, le regard quêtant, égaré, le moindre poussier nitescent…

o̴͠

Un miroitement Émeraude ! Un éclat glauque ? D’Or !
On te montre le chemin qui s’élève au milieu des méandres, un layon au cœur des colonnades absconses, entre des murs sans témoin ni mémoire.

Rampe ! Grimpe !

Toi qui vagabondes sur un pavé adestiné.

Vrille et gravis !

Ignore cette enveloppe transie.

Jusqu’à la dernière marche !

Un mur.
C’est une impasse. Tout ce chemin pour rien ? Une ire sourde en toi. Et de désespoir, la poigne sur le manche incandescent, tu abats accablé le don qui t’a été fait.

Lors fissures serpentent dans l’obscurité, un rayon perce et te réchauffe, t’assèche.

Voici que ta flamme s’exalte, tu ne t’étais pas trompé ! Ainsi tu frappes de plus en plus fort ce piteux obstacle !

Et bientôt tu poses pieds sur une mer-névé, incane tapis qui te renvoie toute la splendeur de l’Orbe d’Or.

Elle est à son zénith, et elle te contemple.

Ton regard se perd sur un horizon indistinct. Blanche neige, à blancs nuages, aucune saillance, aucune couleur ; sinon cette jaune figure dansante, plus bas dans le vallon, entre les trois pics sévères.

Tu poursuis ta marche, rasséréné de pouvoir respirer, mais tu te sens également fébrile, car si haut, si proche de l’Orbe, tu es totalement captivé, capturé par l’empreinte qu’elle dépose sur ton âme.
Tu en perds tes repères, le flou se fait entre infame et fame, veule et vaillant, divin et vil. Sa Jaune auréole, sa Jaune couronne, sa Jaune écorce ; c’est une image qui se grave en fond de tes yeux, sur ton feu.

« Frappe ! »

D’une voix que tu reconnais.

« Brise la perle sur cette enclume tombée du Ciel ! »

Un nouveau glapissement, et tu te rappelles ta quête. Face à toi, la deuse larme des Étoiles sur laquelle jà est posé ton second trésor.
Une enclume prête à recevoir le coup donné aux vœux.
Et c’est une deuxième frappe furieuse qui vient disperser en fraisil le météore.

☾*☽︎


Le ciel a cligné.

Tu n’en es pas sûr ; l’Orbe d’Or se serait voilé, et la Myriade aurait dardée vers toi ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Caracal Le Scribopolite ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0