Valérie

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— Tu veux en parler Bichette ?

J'ai haussé les épaules, tant la réponse à cette question me paraissait aussi utile qu'un paquet de clopes pour une grenouille.

— Qu'est-ce que tu veux que ça change ?

— Parfois ça fait du bien.

Je me contentai de lui sourire en secouant la tête. Sur la table en formica de la salle de repos, le compte-rendu de l'AMH sous les yeux détaillait l'étendue de mon échec. La feuille avait été pliée en trois dans son enveloppe, comme pour y enfermer mes espoirs. J'avais aplati le second pli des deux mains, dans l'espoir que le taux de 0.32 ng/ml que je croyais lire était en fait un 8.32, ce qui eut été un record en soi. Mais non, les erreurs de cet ordre n'appartenaient qu'aux films de Noël. Un cadeau inattendu. L'amour à tout prix. Un bébé pour Valérie.

La clochette stridente m'arracha à mes pensées amères. Je penchai la tête vers le couloir. La chambre 108 avait sonné, sa lumière rouge clignotait comme un feu de passage à niveau. Le train du désespoir en approche. Je pris le dossier de liaison dans la banette des entrées du jour et me dirigeai vers la porte.

Je frappai deux coups rapides et ouvris, un Entrez résonnant simultanément avec le claquement sec du pêne.

Une femme d'une quarantaine d'années, les cheveux défaits et les yeux rougis, était assise sur la chaise au cuir fendu à côté du lit. Elle me sourit timidement.

— Bonjour. Vous êtes l'infirmière qui s'occupe de Pierre ?

J'acquiescai et me plantai au bout du lit, le dossier coincé sous le bras.

— Oui, que puis-je pour vous ?

— Eh bien...

Elle soupira, jetant un regard de pitié mêlé de honte à son mari, le probable père de leurs putains d'enfants.

— Je...vous savez comment il s'est retrouvé là ?

Oui je sais. Il s'est fait percuter par une trottinette électrique, pas la façon la plus glorieuse de finir comme ça, nourri en intraveineuse, probablement le seul légume que ses gosses apprécient.

— Votre mari a été victime d'un accident, nous ignorons...

Elle secoua la main, les lèvres pincées, retenant visiblement ses larmes.

— Je sais ça. Non je veux dire, que faisait-il dans ce quartier ?

Comment voulait-elle que je sois au courant, bon Dieu ? Je pris le dossier et en sortis la feuille d'admission.

— Je suis désolée madame Dunou.

Je pris place sur le bord du lit, pour me retrouver presque à sa hauteur.

— Le médecin qui a opéré votre mari nous a préparé un document que je dois vous faire signer. Il s'agit d'une formalité administrative pour son séjour.

Il eut certainement été plus juste de parler de retraite plutôt que de séjour, mais je ravalai mes sarcasmes en lui tendant la feuille, avant de prendre le stylo orné du logo du CHU dans ma poche de blouse. Elle enclencha le poussoir et entreprit de dater et signer, les yeux perdus dans l'immensité d'un tout autre chose que la suite de termes techniques relatifs à l'accueil d'un patient longue durée. Elle secoua le stylo comme un shaker, et se remit à écrire en lettres invisibles.

— Il ne fonctionne pas.

Je le repris et le remis dans ma poche, prête à me lever, quand elle se tourna vers la table de nuit et y récupéra un autre stylo, translucide, au bouchon bleu, que je reconnus pour l'avoir vu trainer dans le bac métallique près de la table d'opération: Pierre Dunou le serrait dans sa main lors de son arrivée.

Elle signa et me tendit la feuille et le stylo.

— On a deux fils...gémit-elle en fondant en larmes.

Je pris la feuille, la posai sur la table de nuit, et mis machinalement le stylo dans ma poche, avant de la prendre par les épaules.

— Madame Dunou, votre mari est entre de bonnes mains ici. Nous avons l'un des meilleurs neurologues de France à la Timone, gardez espoir.

Je n'aurais pas dû lui parler d'espoir, lui donner la lumière qui manquait à sa vie depuis quelques heures.

Je n'y croyais pas moi-même.

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